Construite en 1996 à une centaine de mètres du campus universitaire de l’Université du Burundi à Mutanga, la Paroisse Esprit de sagesse aurait-elle joué un rôle dans l’apaisement des tensions au sein de ce milieu académique où les grenades faisaient trembler les gradins des amphithéâtres ?
Nous sommes en 1996. Dans un Continental Airlines Arena en feu. David Stern, le commissaire de la NBA (ligue de basketball américaine) à l’époque, avance vers le micro. Il prononce ces mots devenus iconiques : « Le premier draft de 1996, les 76ers de Philadelphie ont choisi Allen Iverson ». Un jeune homme de 21 ans se lève, embrasse sa famille et ses amis et se dirige vers David Stern. Une prise de photo, Allen Iverson met le chapeau des 76ers. Ce que la NBA ne sait pas encore, c’est qu’elle vient d’accueillir celui qui va devenir le joueur le plus influent depuis Michael Jordan. Pour la franchise des Philadelphia 76ers, AI (de son surnom) va devenir « la Réponse » (The Answer). En 2001, il mène cette équipe de la côte Est des États-Unis jusqu’en finale. Un exploit digne d’une légende Hall of fame.
1996 encore. Au Burundi, une paroisse va voir le jour près du Campus Mutanga de l’université du Burundi. Une année avant (1995), ce campus a été témoin d’un massacre. Des étudiants Hutus ont été tués, d’autres ont été chassés du campus par leurs condisciples. Dans un pays en proie à des tensions ethniques et une université du pays (le seul à l’époque) qui commence à fermer ses portes à une ethnie, la Paroisse Esprit de sagesse est devenue The Answer. Comment ?
« Kwa Ntabona »
Avant d’arriver en 1996, 36 étudiants avaient écrit une lettre aux évêques du Burundi, demandant qu’on leur octroie « des gens ordonnés pouvant venir rendre présent le Christ parmi eux ». Ainsi, Mgr. Evariste Ngoyagoye et l’Abbé Adrien Ntabona vont être appelés. Les deux étaient professeurs à l’université du Burundi. « Des offices de messes se sont donc célébrés. D’abord dans les amphithéâtres du Campus Mutanga, pour les étudiants, mais aussi au domicile de l’Abbé Adrien Ntabona. Mais après ça, son frère en Christ, l’Abbé Evariste Ngoyagoye, va être nommé curé de la paroisse Cathédrale Regina Mundi, il va le laisser seul », peut-on lire sur le site de l’archidiocèse de Bujumbura.
« Cependant, l’Abbé Ntabona était constamment préoccupé de voir que les brebis du Seigneur éprouvent des difficultés à trouver où paître, jusqu’à affluer massivement à son domicile pour profiter de moments de prière, dans son salon, et de messe, dans la cour. Il ne put donc se résoudre à rester indifférent. Il va ajouter un peu d’huile sur le feu de sagesse allumé par les 36 étudiants : il va effectuer la demande d’une nouvelle paroisse à l’évêque de Bujumbura de l’époque, Mgr. Simon Ntamwana ».
L’Abbé Adrien Ntabona sera nommé curé le 09 novembre 1996, date qui est considérée comme le jour de naissance de la Paroisse Esprit de sagesse. Elle sera construite près du campus Mutanga à la demande de son curé, Adrien Ntabona. D’où elle est communément appelée Kwa Ntabona (chez Ntabona). Elle va commencer à accueillir des étudiants et des habitants des alentours, et cela, dans un contexte difficile.
La paroisse réconciliatrice
« Je suis entré à l’université du Burundi dans un contexte difficile, en 1996. Pour les étudiants qui fréquentaient la Paroisse Esprit de sagesse, nous recevions un message qui nous touchait profondément. Ntabona avait sa manière de nous donner des enseignements qui nous incitaient à ne plus haïr l’autre », témoigne Jules (pseudo) qui étudiait au campus Mutanga à l’époque. Selon cet ancien étudiant de l’Université du Burundi, ces enseignements reçus, à travers les métaphores et les contes, leurs permettaient d’ouvrir les yeux, les cœurs.
L’Abbé Ntabona, s’exprimant sur le rôle d’« agent de la réconciliation » que la paroisse dont il a été curé a joué pendant la crise, dit : « À l’époque, les Burundais ne cessaient de s’entretuer. On a initié des projets qui permettaient de réunir la population avec un objectif commun. Je me rappelle qu’on a réuni les étudiants du campus Mutanga et les jeunes des quartiers aux alentours (Mutanga, Sororezo et Mugoboka) dans le but de construire des logements pour les plus démunis. » Cette action a créé des liens entre des populations qui n’arrivaient pas à s’attendre. Et ils ont pu construire 145 maisons. L’Abbé A. Ntabona explique entre autres qu’après les massacres de 1995 au campus Mutanga, ils ont commencé à dispenser à la paroisse des enseignements prônant le respect des droits de l’homme, la réconciliation et le vivre-ensemble. « Ces enseignements ont donné réellement des fruits », se réjouit-il.
L’année passée (2021), la Paroisse Esprit de sagesse a fêté son jubilé d’argent. En 25 ans, elle n’a cessé de veiller sur les âmes des étudiants du campus Mutanga. Les mêmes enseignements, sans doute encore octroyés aujourd’hui à ces jeunes que certains politiciens utilisent parfois pour leurs ambitions personnelles. On ne peut que souhaiter que cette paroisse continue sa noble mission. L’université du Burundi n’est jamais à l’abri.