Utilisés pour nuire, les réseaux sociaux peuvent détruire des vies et des carrières. Les conséquences de l’harcèlement en ligne sont encore plus graves lorsque la victime est jeune. C’est le cas de l’artiste Marlaine Felgia Kamikazi à Gitega. Elle a vu son année scolaire interrompue à cause de commérages par smartphones interposés. Récit.
Marlaine est une artiste talentueuse et bien connue à Gitega. Sa carrière a été marquée par des chansons populaires connues du grand public. Habitant le quartier Shatanya, elle s’est faite un nom grâce à sa voix unique et son engagement artistique. Cependant, sa vie prend un tournant dramatique lorsqu’elle est victime de harcèlement en ligne.
Marlaine est élève à l’une des écoles de la ville de Gitega lorsqu’elle commence sa carrière. Nous sommes en 2020 et elle n’a que 18 ans. « J’aimais écouter les chansons de Christophe Muneza, un chanteur, auteur-compositeur et interprète rwandais », se souvient-elle. « J’ai été motivée par sa voix, sa façon de chanter et la composition de ses morceaux.» Inspirée, elle développe peu à son propre art. « Petit à petit, cela m’a forgé. C’est ainsi que j’ai composé ma première chanson. Je l’ai envoyée au studio et elle a été appréciée. » Intitulée « Gitandani, » la chanson est un succès à Gitega.
Ses chansons, souvent axées sur des thèmes sociaux et culturels, touchent de nombreux auditeurs et sa « fanbase » s’élargit. « Mes chansons parlent des réalités de la vie et de notre culture, et je pense que c’est ce qui résonne avec les gens », relève-t-elle. Le succès lui souriait donc. Jusqu’à ce qu’elle devienne la cible d’une campagne de harcèlement en ligne.
Le début du calvaire
L’histoire commence avec une tragédie banale. Une mère du quartier, respectée et influente, commence à proférer des injures à son encontre sur les réseaux sociaux. « Elle disait que je suis sataniste et que j’ai déjà fait un pacte avec le diable », se rappelle Marlaine avec douleur. Cette voisine, autrefois considérée comme un pilier de la communauté, se rend à l’école pour demander son renvoi, l’accusant d’avoir un comportement immoral qui pourrait influencer négativement ses enfants qui fréquentent la même école que Marlaine. « La demande, de la part d’une personne proche de notre communauté, a rapidement pris une mauvaise tournure », indique la jeune fille.
Au moment où cette affaire éclate, Marlaine est alitée. C’est à son retour à l’école qu’elle découvre, horrifiée, qu’elle a été renvoyée. « J’ai demandé pourquoi je suis renvoyée » raconte-t-elle. Réponse du préfet de discipline : « C’est à cause de tout ce que tu as entendu sur les réseaux sociaux et ce qui a été dit ici par vos proches ».
Ainsi, pour des raisons purement extra scolaires, l’année scolaire de Marlaine est brutalement interrompue. « On m’a injustement traitée de traînée et de pute de la rue », déplore-t-elle.
Un tournant
Cette tragédie marque un tournant dans la vie de Marlaine. En plus de son parcours scolaire, sa vie personnelle et artistique ont sérieusement pâti du préjudice. « Cette condamnation m’a rappelée les injustices gratuites auxquelles les femmes artistes comme moi sont confrontées », indique-t-elle. Elle est venue comme une piqûre de rappel des obstacles auxquels les femmes doivent faire face dans leur quête de liberté d’expression et de reconnaissance.
Marlaine se rappelle aussi qu’elle a dû faire face à la stigmatisation sociale et à l’isolement, ce qui l’a paradoxalement rendue plus forte : « J’ai dû apprendre à vivre avec cette nouvelle étiquette qui m’était imposée. Mais cela m’a aussi donné la force de me battre pour mes droits. »
Après cette épreuve, elle a pu poursuivre ses études dans une autre école où la direction a fait preuve d’ouverture d’esprit. « Ce nouveau départ m’a permis de me concentrer sur mes études, et je suis fière du fait que je vais bientôt achever mon cursus scolaire dans la section des Banques et Assurances »
Dans cet océan aux eaux troubles qu’est l’industrie musicale burundaise, Marlaine Felgia Kamikazi continue de se battre pour se tailler une place .
Pour une société plus juste
L’histoire de Marlaine Kamikazi n’est pas un cas isolé. Elle est une illustration des défis systémiques et culturels auxquels sont confrontées les femmes burundaises. En continuant à se battre, Marlaine utilise sa voix, non seulement pour sa musique, mais aussi comme un outil de résistance et de sensibilisation contre les violences basées sur le genre. Elle le résume bien en ces termes : « La musique est mon refuge et mon arme. Elle me permet de continuer à me battre et à inspirer d’autres femmes ».
Malgré sa jeunesse et l’injustice qu’elle a subie, loin d’elle l’idée de baisser les bras. Son combat appelle à une société plus juste et plus égalitaire où le talent ne doit pas être une malédiction. Un monde exempt de préjugés et de discriminations.