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« Kamenge 94 », une allégorie de la cécité identitaire

Les Enfoirés de Sanoladante signaient leur come-back ces 25 et 26 mars avec la pièce de Patrice Faye mise en scène par Sheilla Inangoma. La pièce, jouée à l’Institut Français de Burundi (IFB), tourne en dérision une certaine idée de l’ethnisme au Burundi.

L’art est un mensonge qui dit la vérité, disait Picasso. Les planches de la salle des spectacles de l’IFB ont été le théâtre de la démonstration du postulat posé par l’illustre Andalous. Les cinq personnages sortis de la plume et de l’imagination de Patrice Faye ne sont pas moins des images de notre société, de nos rapports avec l’Autre et nos rapports avec l’identité.

ALERTE SPOILER ! « Kamenge 94 », c’est l’histoire de quatre hommes qui se retrouvent coincés dans une bâtisse délabrée de Kamenge. Audry le tutsi, Francis le hutu, Senegambi le twa et Arthur le Congolais dont la femme, Bella, intervient à la fin pour signer le côté cocasse de la pièce. Ils ont fui les rafales de balles qui sifflent dans Kamenge. On croirait que ces braves gens fuient réellement la guerre, mais c’est sans compter sur les rebondissements du texte de sieur Faye !

Audry s’est incrusté dans une maison inconnue pour sauver sa peau. Peu de temps après, Francis arrive. Les deux amis d’infortune ne tardent pas à oublier leur sort commun pour se chamailler sur la sempiternelle question de l’identité. Audry semble ne pas douter de l’ethnie de Francis, « c’est Kamenge ici, territoire des hutu. »

Peu de temps après, les deux protagonistes se traitent de tous les noms : les hutus sont des sauvages, lourds et primitifs ; les tutsis sont mesquins rancuniers et faux. Les hutus sont voleurs, menteurs et tricheurs ; les tutsis prétentieux, arrogants et complexés.

Ce que la pièce dit de nous

Senegambi, le twa rentre chez lui et trouve deux énergumènes terrés chez lui. Ils le prennent pour un fuyard et lui lancent la question, comme pour savoir si c’est un frère. « Tu es de quelle ethnie ? ». Une question révélatrice : la fiction ethniste nous a fait croire qu’Untel est un frère, un des nôtres, à partir du moment où il est de notre ethnie.

La petite maison de Kamenge est un Burundi miniature. Ce n’est pas que là où l’on entendra que les dates sombres de notre histoire sont cités à coups de « en 1972 vous nous avez fait ceci, en 1993 vous nous avez fait cela. »

Ce qui se passe dans cette maisonnette est une allégorie de nos réactions épidermiques quand le spectre des ethnies et leur baromètre pointent : le nez. Les crépitements d’armes qui sont à l’origine de la débandade décrite dans la pièce n’ont été causés qu’après une scène de ménage, plus précisément une histoire de c**, d’un certain Arthur qui a une liaison adultère avec sa voisine, « une belle petite qui remue bien les fesses. ». Sa femme, l’imposante Bella (elle fait ses 100 kilos) ne digère pas cette perfidie. Ayant surpris son mari en pleine partie de jambes en l’air, le mastodonte tire avec son revolver. La détonation suffit pour réveiller les vieux démons. Une telle ethnie attaque, il faut que l’autre soit aux aguets.

Au fil de la pièce, Audry et Francis découvriront une réalité renversante : le jeune tutsi est amoureux de Nadine, la sœur de Francis. S’il est à Kamenge, c’est pour rendre visite à la famille de sa dulcinée. Ils ne manquent pas de se rire de la méprise, ce que l’on devait d’ailleurs faire souvent face à la grande histoire mâtinée du duel hutu-tutsi qui est souvent prise à contre pied par la petite, plus nuancée.

 

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