Quelle est la relation entre la Principauté de Monaco, ce paradis de casinos et de banques qui roule sur l’or et la petite localité de Kagwema du Nord-Ouest du Burundi ? Ce n’est pas évident et pourtant, la ministre des Relations extérieures et de la coopération monégasque vient de visiter ce petit bled perdu de la province de Bubanza. A la clé, la signature d’une aide d’un montant d’1 million d’Euros pour financer le projet des cantines scolaires d’excellence mise en œuvre par le PAM. Un blogueur de Yaga s’est glissé dans le cortège de cette illustre personnalité. Immersion.
« Monaco, c’est un petit pays situé en mer Méditerranée, mais il a un grand cœur. Son président est un prince ». C’est avec ces mots simples que la ministre Isabelle Berro-Amadeï essayait d’expliquer aux petits écoliers de l’Ecofo Kagwema I la situation géographique de son pays. Les petits, déjà attablés dans un réfectoire de fortune, fourchettes et cuillères à la main, ne comprenaient pas certainement ce qui se passait, ni pourquoi ils devaient patiemment écouter cette muzungu donner une petite leçon de géographie alors que le repas était déjà servi. Mais, c’était pour une bonne raison.
Si Monaco est riche, il en fait profiter les moins riches que lui. C’est pour cela qu’il finance le programme national d’alimentation scolaire mis en œuvre par le PAM au Burundi depuis 2015. La Principauté a ainsi décidé de soutenir l’introduction de 100 cantines scolaires dans 3 provinces à hauteur d’1 million d’Euros. Ce programme s’étendra sur 3 ans (2024-2027). C’est pour voir in situ les bénéficiaires finaux de ce projet que madame la ministre avait fait le déplacement avant d’apposer sa signature sur l’accord de financement avec le PAM. Pas sûr que les gamins qui attendaient d’attaquer le repas, les armes à la main, l’aient compris. Toutefois, c’était nécessaire de marquer le coup avec solennité.
Ventre affamé n’a point d’oreilles
On ne va pas faire la fine bouche, les discours prononcés à ce genre d’occasion sont parfois soulants. Nous avons quand même retenu quelques faits intéressants. De sous un arbre où nous nous abritions du soleil ardent de Kagwema, une phrase bien construite prononcée par la directrice pays du PAM a aiguisé notre attention : « L’alimentation scolaire est bien plus qu’un repas. C’est un investissement dans l’avenir du pays ». Foutrement bien dit ! Cette idée a été renforcée par la tirade du représentant du ministre ayant l’Éducation que je vais vous citer tout de suite : « Selon le rapport ‘‘Etude coûts-bénéfices de l’alimentation scolaire au Burundi’’ réalisé en 2023 par le ministère de l’Education (…) en collaboration avec l’université de Harvard, le taux de réussite est de 5,1% plus élevé, le taux de redoublement 3,6% plus faible dans les écoles bénéficiant des repas scolaires ». Le fonctionnaire, citant toujours le même rapport, a enfoncé le clou en affirmant que chaque dollar investi dans l’alimentation scolaire rapporte 5,8 dollars à l’économie burundaise.
Encore plus intéressant est le fait que nourrir les écoliers avec les produits locaux est plus bénéfique (40,61dollars par enfant et par an) que si on achetait ces produits ailleurs (46,85 dollars). Le programme d’alimentation scolaire, quand il est basé sur l’achat des vivres locaux, permet aussi de promouvoir l’agriculture locale et d’augmenter les revenus des coopératives et des petits agriculteurs locaux ; et ça, ce n’est pas le bureaucrate du ministère qui l’a dit, mais Mme Sibi Lawson-Marriot, responsable du PAM au Burundi.
Les bénéficiaires sont-ils aussi optimistes ?
Sous l’arbre dont je vous ai déjà parlé, entouré d’une petite troupe d’enfants en uniforme scolaire, je me penche vers Shadrack, 13 ans, de la 3ème année, habitant la 4ème avenue de Kagwema. Dans une main, une petite assiette orange et une cuillère. Je décide de troubler sa tranquillité : « T’as fini de manger ? ». « Non, on attend ». « On vous sert quoi d’habitude ? ». « Du riz, des haricots toujours ». Un des condisciples de Shadrack se joint à la conversation et ajoute : « Aujourd’hui, il y a des champignons ». « Vous n’aimeriez pas qu’on varie le menu et qu’on vous amène par exemple les patates douces, les pommes de terre, les colocases, etc., à côté des haricots ? ». Cette fois-ci, 3 ou 4 gamins répondent en chœur : « Non, on aime le riz ».
« Avec 1 million d’Euros (…) on peut manger jusqu’à ce que Jésus revienne »
Je me tourne vers une maman qui se trouvait quelques mètres plus loin. Elle murmurait à son petit enfant : wabonye abazungu ? (Tu as vu les blancs ?). « Votre enfant est scolarisé ici ? ». « J’en ai 3 ». « Intéressante la cantine scolaire ? ». « Très ! On n’a plus qu’à se soucier de nourrir les enfants le soir ». « Des défis déjà remarqués ? ». « S’ils pouvaient augmenter la quantité, ce serait encore bien. Parfois, les enfants ne sont pas rassasiés. Ce serait également bien si on pouvait varier le menu ».
Les mamans qui étaient en cuisine au moment de notre passage ont également soulevé un autre défi : le manque de bois de chauffe, cela malgré l’utilisation de foyers de 2ème génération consommant pourtant 67% moins que les foyers classiques.
A la fin des cérémonies, pendant que les illustres personnalités paraphaient l’accord de financement, j’entends le speaker dire : « 1 million d’Euros, c’est beaucoup d’argent chers amis. Si on vous le donnait, vous mangeriez sans travailler jusqu’à la mort…ou jusqu’à ce que Jésus revienne ». Sacré farceur !