article comment count is: 0

L’intolérance politique, un mauvais augure pour 2025

Destruction des permanences, appel à la haine d’un ou tel autre parti, interdiction des réunions, ingérence dans les affaires internes, l’intolérance politique semble reprendre de plus belle, ce qui ne présage rien de bon pour les prochaines échéances électorales selon les politiques. 

Bubanza, commune Gihanga, colline Gihungwe. C’est de là où est apparue une vidéo de quelques minutes qui a fait le tour des réseaux sociaux. Le message est clair mais pas rassurant. Un responsable collinaire du parti Cndd-Fdd n’a pas caché sa haine envers le parti CNL : « Celui qui acceptera l’argent et donnera sa maison pour qu’on y plante le drapeau du CNL ici à Gihungwe alors que depuis 2005 cela n’est jamais arrivé, qu’il assume toutes les conséquences …toi qui auras mangé cet argent, il faudra aussi tout accepter. Tu accepteras que tu as mis le feu dans le centre urbain de Gihungwe. Cette guerre déclarée commencera et se terminera chez toi. », a-t-il averti, en langue nationale, Kirundi. 

Et cela s’est produit quelques jours après. La permanence du parti CNL, en commune Rutegama, province Muramvya a été vandalisée, démolie par des inconnus. Ce qui n’est pas d’ailleurs sa première attaque. Toujours au centre du pays, en avril, une permanence de ce parti avait connu le même sort sur la colline Rweza, commune Ryansoro, province Gitega.

A côté de ces incidents, des administratifs interdisent la tenue des réunions du parti d’Agathon Rwasa. Ce qui s’est passé à Kirundo où le 1er juin, Albert Hatungimana, gouverneur de la province Kirundo, a décidé de suspendre deux réunions qui devaient se tenir le 3 et 4 juin respectivement à Busoni et Kirundo.

Dans sa lettre, le gouverneur de Kirundo avance la sécurité des militants du CNL : « En se référant à la conférence de presse animée par le président du CNL, le 23 mai, il est clair qu’il y a deux parties en conflit au sein du parti. Ce qui peut provoquer l’insécurité de la population. Dans le but de protéger la population, si une fois les deux parties s’affrontaient lors de ces réunions, nous vous annonçons que ces réunions sont suspendues », a-t-il motivé, s’adressant au représentant provincial du parti CNL. M. Hatungimana a demandé au commissaire provincial de la police et les administratifs de faire respecter cette mesure.

Dans le même temps, le parti au pouvoir vient de terminer une tournée dans les communes urbaines où, en pleine heure de travail, des chansons de propagandes, de campagne étaient balancées. 

Un mauvais signe pour 2025

« Cela augure une intolérance au cours des prochaines élections, les uns voulant se maintenir et les autres voulant y accéder. Tous les prétextes seront bons pour justifier des actions maléfiques comme c’est le cas actuellement au Sénégal », commente Gaspard Kobako, politicien.   

Revenant sur le cas de ce responsable du parti Cndd-Fdd à Gihungwe, il est dépassé : « Cela est inacceptable. Un responsable de parti, fut-il du pouvoir, n’as pas le droit de donner d’injonctions à un bailleur qui veut jouir du fruit de son bien, et donc violer un domicile de quelqu’un. » D’après lui, la justice et même les forces de l’ordre devraient se saisir du cas, pour prouver leur neutralité et protéger les citoyens dans leurs propres biens.

Face à cette situation, M. Kobako regrette que la Commission électorale nationale indépendante (CENI) ne dénonce pas ce genre de comportements et  manifestations publiques qui se déroulent sous ses yeux. « Il en va de sa crédibilité, qui ne va pas passer sous silence certainement, quand les véritables campagnes autorisées seront ouvertes. » 

Pour sa part, Kefa Nibizi, président du parti Codebu Iragi Rya Ndadaye, le discours de ce responsable du parti Cndd-Fdd à Gihungwe n’est ni moins ni plus une preuve d’intolérance politique : « C’est un signe éloquent que cette intolérance est déjà présente notamment aux échelles locales, de l’administration mais aussi au niveau des représentants des partis politiques. » 

Pour lui, c’est un comportement inacceptable dans un pays qui se dit démocratique où toutes les autorités du pays clament haut et fort que le Burundi est un pays démocratique, que les droits de l’homme et les libertés publiques sont respectées : « Nous interpellons d’abord l’administration de mettre de l’ordre dans ce genre de comportements et les représentants de ce parti aux échelons supérieurs devaient sanctionner ce militant zélé si du moins il ne l’a pas mandaté », plaide-t-il, avertissant que cela crée un sentiment de haine, de suspicion, de méfiance entre différentes composantes de la population. « C’est un comportement à décourager parce que tous les partis politiques agréés ont le droit de faire des activités sur toute l’étendue du pays », rappelle-t-il.

Renforcer l’esprit de tolérance

« Malheureusement, c’est une pratique qui est là mais qui devrait être bannie », note Jean Bosco Harerimana, spécialiste en Consolidation de la paix, soulignant qu’après tout, la compétition politique, démocratique, requiert la tolérance mutuelle, la citoyenneté partagée, avec des valeurs, des idéaux démocratiques. 

Aux politiciens, il leur demande de renforcer l’esprit de tolérance surtout à l’endroit des jeunes. Car, justifie-t-il, on le voit depuis les élections de 93, les élections qui ont suivi, ce sont généralement les jeunes qui sont mobilisés, embrigadés jusqu’à se rentrer dedans. « Pour éviter cela, les politiques devraient éduquer leurs membres, leurs partisans avec une attention particulière à l’endroit de la jeunesse en leur apprenant les idéaux de paix, de tolérance, de cohésion sociale, du vivre ensemble. C’est ça qui fait la démocratie, sinon, les élections passent, les personnes et les partis politiques restent. Nous avons tout un avenir à construire avant, pendant et après les élections. »

D’après lui, il est très important aux politiques d’engager un dialogue franc, clair avec un message bien précis à l’endroit de la jeunesse surtout et leur inculquer ces valeurs afin d’avoir des élections apaisées et démocratiques. 

A la Ceni, il n’a pas un message particulier à lui passer. « Car, je ne sais pas si la Ceni qui est là va rester. Mais, je ferai un message à l’endroit des partis politiques, des organisations de la société civile, des églises et des médias de constater déjà la montée du thermomètre et de commencer à véhiculer des messages de paix, de tolérance, de cohabitation politique, etc. »

Quid de l’ingérence dans le fonctionnement interne des partis politiques ? 

Certaines voix dénoncent une ingérence aussi dans les affaires des partis politiques.  Approché, un politologue qui a requis l’anonymat donne l’exemple de la lettre du gouverneur de Kirundo. « Le parti au pouvoir, dans cette même province, a connu une crise interne.  Le climat était très tendu au sein de ce parti. Mais, jamais je n’ai pas entendu ce gouverneur interdire une réunion de ce parti sous prétexte que les militants risquent de s’affronter. Mais, aujourd’hui, il se montre très soucieux de la sécurité des militants du CNL. » 

Pour lui, le mieux serait d’autoriser ces réunions et de rendre disponible les forces de l’ordre pour y assurer la sécurité. Ce politologue estime que s’il y a un différend au sein d’un parti, il revient aux membres eux-mêmes de s’asseoir ensemble pour trouver une solution. « Ils peuvent peut-être chercher un médiateur consensuel », analyse-t-il, déplorant malheureusement que même au sein des partis politiques, la démocratie peine à s’installer. 

Vu l’histoire du Cndd-Fdd, et le CNL né dans l’ancien mouvement rebelle Palipehutu-FNL, il ne pense pas que les responsables administratifs regretteraient si le CNL venait à disparaître de la scène politique surtout son président Agathon Rwasa. « Je ne comprends pas comment des membres du bureau politique sont allés se plaindre auprès du ministère de l’intérieur au lieu de s’asseoir ensemble et trouver une solution à leur différend. Il y a une zone d’ombre à ce niveau », s’interroge-t-il, notant qu’il y aurait derrière ce conflit au sein du CNL des intérêts individuels : « Et là, ce qui est malheureusement une réalité dans nos faibles démocraties, chacun cherche par tous les moyens à disqualifier l’autre pour se maintenir », déplore-t-il. 

En ce qui est du CNL, toutes ses activités sont actuellement suspendues. Après avoir annulé les clauses du Congrès extraordinaire de ce parti, pourtant autorisé, ce 5 juin, le ministre de l’intérieur, du développement communautaire et de la sécurité publique l’a annoncé dans sa lettre du 2 juin 2023 : « Toutes les activités organisées par les organes irrégulièrement mis en place sont suspendues à travers tout le pays jusqu’à la mise en œuvre effective de toutes les recommandations. »   

D’après lui, seules les réunions de dénouement des tensions au sein du parti pourront avoir lieu après avoir demandé et reçu l’autorisation des autorités habilitées. Et avant d’arriver là, plusieurs lettres ont été échangées soit entre Agathon Rwasa et le ministère ou entre le ministère et un groupe des membres du bureau politique du CNL qui se dit lésé.

Démocratie interne des partis politiques 

Face à cette situation confuse au sein du CNL, Gaspard Kobako indique qu’il revient à Agathon Rwasa de prouver au ministre que son parti n’a pas violé ses statuts en organisant son récent Congrès. Au cas contraire, il conseille à Rwasa de se ressaisir, de revisiter les dispositions nécessaires. 

Pour sa part, Kefa Nibizi conseille aux membres de ce parti de résoudre leurs problèmes à l’amiable et laisser de côté le bras de fer.  « Quand des membres du bureau politique ne s’entendent pas avec le président même s’il a raison, vaut mieux s’asseoir et trouver des réponses consensuelles. » 

D’après lui, les partis politiques sont en compétition et quand il y a un problème au sein d’un parti adversaire, c’est évident que certaines personnes en profitent. « Ce qui se passe au CNL relève de la démocratie interne dans les partis politiques. Cette démocratie qui nous manque dans le pays, c’est la même chose à l’intérieur des partis politique surtout ceux nés des anciens mouvements rebelles. Il y a toujours ce comportement militaire, donner des ordres, une certaine dictature », décortique-t-il.

 

Est-ce que vous avez trouvé cet article utile?

Partagez-nous votre opinion