Au-delà du mythe occidental du « vampire », au Burundi, le terme « Ibinywamaraso » a profité du contexte des violences innommables qui ont endeuillé le Burundi pour s’enraciner dans le langage courant. Un mot pour qualifier l’horreur ou diaboliser.
Le vocable «Ibinywamaraso» est un substantif rundi composé de deux mots : «Ibinywa-amaraso». Le mot «Ibinywa» est dérivé du verbe rundi «Kunywa» qui signifie boire et «amaraso» c’est-à-dire «le sang». Ce mot signifie littéralement des «buveurs de sang».
Dans le livre ‘‘Burundi, la fracture identitaire : logiques de violence et certitudes ethniques (1993-1996’’, paru en 2002 aux éditions Karthala, les historiens Melchior Mukuri et Jean Pierre Chrétien, respectivement enseignant à l’université du Burundi et professeur de français aujourd’hui à la retraite, indiquent que le vocable «Ibinywamaraso» serait apparu pour la première fois après l’assassinat du président Ndadaye.
«Il a été utilisé en octobre 1993 par le premier ministre burundais, Madame Sylvie Kinigi, pour désigner le groupe militaire burundais qui avait organisé le putsch, puis il fut appliqué aux tueurs de tous bords. Il avait été utilisé contre l’armée mono-ethnique tutsi dans la campagne électorale du Frodebu en juin 1993», peut-on lire dans la partie réservée .
Gertrude Kazoviyo, analyste des discours et professeure au département des langues et littératures africaines de l’université du Burundi, estime que ce mot était proportionnel à la violence d’alors : «La violence avec laquelle on a tué le président de la République était rare et unique au Burundi».
Son collègue du même département indique, sous anonymat, que le terme «ibinywamaraso» est une métaphore pour désigner un tueur, un meurtrier, un assassin, etc. Ce mot le compare à un fauve, un félin, etc.
Souvent, par euphémisme, certains lui préfèrent le mot «Ibikoko, inyamaswa» c’est-à-dire «des animaux, des sauvages». Il précise que les sens des deux vocables sont proches.
Des influences indirectes?
D’après Athanase Karayenga, intellectuel burundais, les origines de ce mot plongeraient aussi leurs racines dans la tradition burundaise car selon l’ancien journaliste, « pour qu’un mot de stigmatisation ait la force instantanée, il faut chercher ses sources d’inspiration dans les profondeurs de l’anthropologie. Les mots ne poussent pas dans un désert linguistique et culturel».
Il rappelle que les Burundais anciens avaient un art culinaire qui consistait à manger du sang des animaux, particulièrement des vaches et chèvres. Pendant l’abatage d’un animal, l’on laissait le sang couler dans une casserole. Par la suite, on le mettait sous le soleil pour qu’il devienne visqueux. Ainsi, on le préparait et le mangeait contre généralement de la pâte. C’est ce que l’on appelle «Ikiremve». Dans l’art culinaire français, poursuit-il, la même tradition de cuire du sang existe : «Cuit et assaisonné avec du sel et des épices, le sang du porc principalement est roulé comme une saucisse délicieuse».
Athanase Karayenga parle également de la secte de «Nangayivuza», fondé sur le cannibalisme. Ressortissant de la province de Ngozi, il confie que cette secte était en vogue dans les régions de Ngozi et Muyinga dans les années 1950. Il estime que le mot «Ibinywamaraso» est inhérent à cette secte : «Celle-ci suppose que les pratiquants de ce rituel boivent du sang des victimes».
Mot pour marquer l’immoralité
De son côté, Siméon Barumwete, politologue et enseignant au département d’Histoire de l’Université du Burundi, fait savoir que ce mot vise la diabolisation. Il montre à quel degré l’on qualifie un crime : «Le sang représente la vie. Verser le sang humain, c’est interdit, ça ne se fait pas».
Personne n’a le monopole de l’usage du mot «Ibinywamaraso» en ce sens qu’il marque l’immoralité d’un crime. Ainsi, telle personne ou telle communauté peut se permettre de l’utiliser en vue de la diabolisation de ceux qu’elle prend pour ses ennemis. Parfois à raison, souvent à tort.
A relire : « Inyankaburundi » : plus qu’un mot, une idéologie d’exclusion