article comment count is: 0

[Opinion] L’enseignement burundais à la croisée des chemins ?

L’année scolaire 2024-2025 est déjà achevée. L’examen d’État des classes terminales a débuté. Nombreux sont ceux qui estiment que l’enseignement burundais, en profonde mutation, est en régression. La formation perd progressivement en qualité et en substance, au point qu’on se demande vers quelle destinée s’achemine un pays qui accorde si peu de considération à l’un des piliers essentiels de son avenir. Un penseur libre souhaite aujourd’hui ouvrir un débat constructif sur cette question cruciale.

 L’illustre président sud-africain Nelson Mandela affirmait que « l’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde ». Si cela est vrai, on pourrait dire que le Burundi risque de sombrer dans la misère. En effet, la qualité de l’éducation nationale régresse jour après jour. Il n’est pas rare de rencontrer des étudiants universitaires incapables de formuler correctement une phrase en français. Cela peut paraître exagéré, mais c’est une triste réalité.

Pour appuyer cette affirmation, citons ce récent tweet du Dr Alexis Manirakiza, professeur de droit à l’Université du Burundi, à propos de cette incompétence grandissante :
« On le remarque lorsqu’on enseigne à l’université. Certains étudiants ont un niveau équivalent à celui de certains élèves du primaire. Même en Master. »

Il faut toutefois reconnaître que, dans chaque classe, coexistent des esprits brillants et d’autres plus faibles. Mais lorsqu’on s’adresse en français, qui reste, faut-il le rappeler, la langue officielle d’enseignement aux lauréats de l’enseignement public, il devient évident que le problème est profond et généralisé.

Le ministre de l’Éducation nationale et de la Recherche scientifique, François Havyarimana, a lui-même reconnu, lors d’une séance plénière au Sénat le 24 septembre de l’année dernière, la régression du système éducatif burundais. Il a pointé du doigt plusieurs défis : pénurie d’enseignants, surpopulation dans les classes, manque de matériel scolaire, incompétence de certains enseignants, etc. Ces problèmes sont régulièrement dénoncés, mais rarement pris à bras-le-corps pour redorer le blason de l’enseignement national.

Des défis structurels qui plombent la base

Le rapport de l’UNESCO publié en 2021 sur l’état de l’éducation au Burundi dresse un tableau sombre de nombreux défis structurels que rencontre le pays. Le contexte socio-économique y est décrit comme un frein majeur, rendant les conditions d’enseignement difficiles, voire parfois insoutenables.

En me rendant dans une école en périphérie de Gitega, j’ai pu constater certaines de ces réalités alarmantes : une salle de classe sans porte, bondée d’enfants assis tant bien que mal sur quelques bancs ; ceux qui n’en trouvent pas s’assoient sur des pierres ou à même le sol, et tentent tant bien que mal de prendre des notes dans leurs cahiers. Dans ces conditions, l’enseignant peine à maintenir le silence ou à instaurer une quelconque discipline. Certes, toutes les écoles n’en sont pas là, mais il est inconcevable de garantir un apprentissage efficace aux enfants qui étudient dans de telles conditions.

Les écoles privées offrent, pour leur part, un climat plus propice aux études, mais elles restent hors de portée de la majorité des familles, réduisant ainsi les chances d’accès à une éducation de qualité pour les enfants issus de milieux modestes. Outre les défis organisationnels, le système éducatif burundais semble miné de défis dès ses fondements.

Les tares des nouveaux systèmes

L’introduction du système fondamental dans le primaire et le secondaire, ainsi que du système Bologne (ou BMD : Bachelor, Master, Doctorat) dans l’enseignement supérieur, est vivement critiquée par de nombreux observateurs comme l’un des moteurs de la dégradation actuelle de la qualité de l’enseignement.

Ces systèmes, pris isolément, sont loin d’être inefficaces. Cependant, leur mise en œuvre au Burundi s’est faite de manière précipitée, sans préparation adéquate ni accompagnement sérieux. L’école fondamentale, prometteuse à son lancement, a vu ses ambitions trahies par une application défaillante.

Examinons, à titre d’exemple, les quotas d’admission au post-fondamental (lycées communaux) ces quatre dernières années :

  • 2021 : 44 %
  • 2022 : 36 %
  • 2023 : 34 %
  • 2024 : 32 %

Une baisse de 12 points en quatre ans : une chute aussi rapide que préoccupante. Peut-on raisonnablement espérer mieux cette année ? Rien n’est moins sûr. À ce rythme, où en serons-nous dans dix ans ? En avançant avec des têtes ni bien pleines ni bien faites, c’est l’avenir de la nation qui est en péril.

« Si tu as des projets pour un an, plante du riz »

Ce sont les élèves formés aujourd’hui qui deviendront les décideurs de demain : architectes, médecins, enseignants, entrepreneurs, et bien d’autres encore passent nécessairement par les bancs de l’école. Un système éducatif dysfonctionnel formera des architectes dont les bâtiments s’écrouleront, ou des médecins qui, au lieu de soigner, risquent de nuire.

La dilution de l’éducation est une véritable bombe à retardement. Un autre mal silencieux mais pernicieux est la politisation du secteur éducatif, où l’on privilégie trop souvent l’appartenance partisane aux compétences lors des recrutements. Les conséquences sur la formation intellectuelle sont désastreuses : on ne peut donner que ce que l’on a reçu, et l’on récolte ce que l’on sème.

Si la situation actuelle n’est pas abordée avec rigueur et lucidité, le pays risque de se retrouver avec une élite administrative et technique aux compétences douteuses.

« Si tu as des projets pour un an, plante du riz. Si tu as des projets pour dix ans, plante des arbres. Si tu as des projets pour cent ans, éduque les enfants », disait Mahatma Gandhi.

À bon entendeur, salut.

 

Est-ce que vous avez trouvé cet article utile?

Partagez-nous votre opinion