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[OPINION] L’UA a-t-elle refilé une patate chaude au président Ndayishimiye ?

Il y a des nouvelles qui font hausser les épaules et d’autres qui suscitent des questions. La nomination du président Évariste Ndayishimiye comme envoyé spécial de l’Union africaine (UA) pour le Sahel, c’est un peu des deux. Sortons du mode pilote automatique, et regardons ça avec les yeux grands ouverts. Au-delà des applaudissements, comment est-ce que le 1er des Burundais pourrait-il contribuer à pacifier cette région en ébullution alors que les défis, tant nationaux que régionaux, ne manquent pas ? 

Actuellement, le Sahel, le temps n’est propice pour la diplomatie. C’est un terrain miné, au propre comme au figuré. Des régimes militaires sur les nerfs. Des alliances rompues. Des populations épuisées. Et une Alliance des États du Sahel (AES) qui se méfie de tout ce qui ressemble à une injonction venue d’ailleurs.

Et pendant ce temps, les groupes djihadistes dansent sur la braise. Plusieurs autres factions multiplient les attaques, profitant du chaos politique pour s’implanter et recruter. Le Sahel est à la croisée des chemins : entre pouvoirs militaires instables et menace djihadiste qui s’enracine, c’est toute la sécurité et l’avenir des populations qui sont en jeu. C’est ce climat chaud et tendu qu’hérite le président Evariste Ndayishimiye. Est-ce pour son passé de maquisard que l’UA lui confie cette mission de tous les dangers ?

Entre militaires, le courant passe facilement, mais…

Oui, le Burundi a ses galères. On ne va pas se le cacher, le pays connaît des difficultés actuellement. Il y a une crise des devises qui fait flamber les prix. Les files de véhicules devant les stations-service sont devenues le pain quotidien. Il y a aussi cette tension avec Kigali qui ne faiblit pas, etc.

Mais faut-il pour autant dire que tout est synonyme de chaos ? Non. Parce qu’il y a la paix. Disons-le, terre à terre :  nta masoro ariko aravuga ! Pas de sirènes, pas de crépitement d’armes, pas de détonations de bombes, et Dieu merci. Les gens rentrent tard à pied sans peurs, les taxis, tournent à des heures creuses. Des églises pleines, des matchs de basket en mood « On ne lâche rien », des spectacles, des road shows ici et là. Tout ça c’est bien. Ce n’est pas suffisant, diraient certains mais ce n’est pas rien, surtout en Afrique.

Quand on regarde l’intervention des casques bleues burundais en Somalie ou en Centrafrique, on ne parlerait pas d’échec. Ils ont su tenir le cap bien que l’intervention en RDC reste le talon d’Achille de ces interventions salutaires.

Neva est-il l’homme de la situation au Sahel ? Peut-être. C’est un militaire, et les militaires n’écoutent que les militaires, dit-on. Ndayishimiye n’a pas appris la guerre dans les livres. Il sait ce que c’est que diriger en bottes et négocier entre deux silences armés. Il parle le langage des treillis, celui qu’on ne traduit pas dans les discours officiels, mais qui se comprend d’un regard entre militaires.

Avoir des soucis d’ordre économique n’équivaut pas à échouer partout. On peut rater en maths et exceller en histoire. Peut-être qu’il aura la bonne parole au bon moment. Mais ce ne sera pas une promenade de santé ni un poste honorifique. Ce sera un test.

Édouard Nduwimana, le joker ?

Alors qu’Évariste Ndayishimiye s’apprête à sillonner le Sahel en héraut de la paix, voilà qu’Édouard Nduwimana s’est déjà discrètement installé en décembre 2024 au Burkina Faso. Un hasard ? Peut-être pas. Dans la diplomatie burundaise, les hasards ne sont pas fréquents.

Sa présence là-bas ressemble à celle d’un émissaire officieux, l’homme qui travaille dans l’ombre, qui tisse les liens, qui ouvre les portes quand la diplomatie officielle parle fort mais avance lentement.

Pendant que Neva jouera le médiateur en haut lieu, Nduwimana sera peut-être la cheville ouvrière, celle qui manœuvre en coulisses, capte les informations, négocie les petits détails que personne ne voit, mais qui font toute la différence. Un rôle stratégique, crucial, souvent sous-estimé, mais essentiel pour maintenir la présence et l’influence sans doute discrète du Burundi dans cette zone sensible.

Trop de chantiers à la fois ?

Le véritable enjeu réside peut-être là : le président burundais est déjà confronté à de nombreux défis. Entre une économie en difficulté, les tensions persistantes avec le Rwanda, l’implication dans la crise en RDC, les obligations régionales au sein du COMESA, et une situation sociale de plus en plus tendue, l’agenda du chef de l’État est déjà saturé.

S’engager pour le Sahel peut être perçu comme un acte noble. Et ça l’est. Mais cet engagement n’est pas sans risques, tant sur le plan régional que pour le Président lui-même. Contrairement aux missions traditionnelles du Burundi en Somalie ou en Centrafrique, ce n’est pas un contingent militaire qui est mobilisé, mais la figure même du Chef de l’État dans une zone orange tendant vers le rouge. Une implication personnelle, à un moment où les défis internes ne manquent pas.

Peut-on véritablement aider à stabiliser une autre région quand les urgences s’accumulent chez soi ? La question mérite d’être posée. En tout cas, Neva a tout intérêt à éviter tout faux pas sur ce terrain miné ou glissant.

 

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