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Élisabeth Borne, « Maus », les Burundais et le poids du passé

Froide était souvent l’adjectif utilisé pour qualifier Élisabeth Borne qui vient de quitter le fauteuil de Première ministre française ce 9 janvier. Fille d’un rescapé d’Auschwitz et de Buchenwald, Madame Borne porte en elle les séquelles du passé. Comme la majorité des Burundais.

L’Histoire est universelle. Que l’on soit descendant d’un parent ayant vécu le génocide cambodgien ou cousin d’une victime de Hiroshima, neveu d’un témoin des massacres de 1993, le poids des événements vous atteint plus ou moins directement. Ne parlons même pas de ceux qui ont vu l’horreur se déroulait devant leurs yeux. Ceux qui ont vu le côté sombre de l’Homme.

Le père d’Élisabeth Borne qui a démissionné le 9 janvier 2024 est Juif. Son père, alors qu’elle a 11 ans, se suicide. Une tragédie pour une si petite fille. Un événement qui changea complètement sa vie.

Élisabeth Borne durant une décennie a côtoyé un ancien des camps de concentration nazis (plus de 2 millions de victimes à Auschwitz-Birkenau, 56 milles pour Buchenwald). Une enfance difficile, inimaginable. Dans laquelle on côtoie un parent mort de l’intérieur. Qui, avec le traumatisme d’un passé qui ne passe pas, pesant sur son âme meurtrie, décide de rejoindre l’au-delà de son propre gré. Élisabeth Borne est, comme le décrit le blog de Slate.fr, « avant tout une fille de déportée. D’un survivant d’Auschwitz. D’un père qui, comme la majorité de ceux revenus de cet enfer, n’ont jamais prononcé la moindre parole à ce sujet. Qui jour après jour se sont obstinément tus dans un effort pour protéger leurs enfants des traumatismes dont ils avaient été les victimes. Qui ont gardé pour eux, en eux, les souvenirs de ces années passées ». 

Un livre, particulièrement, est venu témoigner de ce que vivent ces enfants des victimes de la Shoah – des victimes de la cruauté humaine.

 « Maus » : témoignage d’un enfant côtoyant les âmes meurtries 

« Maus » (Flammarion) est un roman graphique d’Art Spiegelman, publié entre 1979 à 1981. Il s’agit de nombreux entretiens que l’auteur a eu avec son père d’origine polonaise rescapé des camps de concentration et sa relation difficile avec lui. « Maus est écrit en deux parties : la première où son père, Valdek, lui raconte ce qu’il a vécu durant la déportation, et la seconde où Valdek narre le difficile quotidien avec son père.

La deuxième est celle qui nous intéresse. En effet, durant l’enfance d’Art Spiegelman, ses parents avaient l’habitude de crier la nuit. Sans doute, leurs âmes traumatisées n’ont pas pu s’apaiser. Jusqu’à ses 16 ans, le petit Art croyait encore que tous les parents criaient la nuit.

Le père d’Art était absent. Froid. Distant. C’était « un père qui, comme la majorité de ceux revenus de cet enfer (la Shoah), n’ont jamais prononcé la moindre parole à ce sujet. Qui jour après jour se sont obstinément tus dans un effort pour protéger leurs enfants des traumatismes dont ils avaient été les victimes ». Pour de nombreux survivants de l’Holocauste qui ont émigré aux USA, ils ont trouvé une société qui ne pouvait pas comprendre ce qu’ils avaient vécu. Un documentaire, «Shoah », permettra de faire sortir les victimes de leur silence. Du moins, certains.

Valdek, le père d’Art Spiegelman, sortit de son silence aussi (sans l’aval de « Shoah » puisque celui-ci sort en 1985). Ce silence qu’il s’efforça, par la force des circonstances, pour protéger son enfant. Art ne le voyait pas. Comment le voir quand on a connu l’enfer et y être revenu encore vivant ?

Elisabeth Borne, Valdek ne diffèrent pas des nombreux Burundais que nous côtoyons chaque jour : ce sont nos parents, nos grands frères, nos collègues, etc.

Une société blessée

La guerre est une abomination. Ses blessures ne guérissent pas en un coup. Aujourd’hui, au Burundi, les victimes de 1993 sont encore dans la fleur de l’âge. Ils ont des familles. Des enfants. Qui sont à leur tour victimes de ce que leurs parents ont vécu. 

La question ethnique a du mal à se faire oublier au Burundi. Marier une personne qu’on aime de l’autre ethnie reste un sujet tabou. La rencontre avec la famille tourne en un rendez-vous chez un inspecteur de nez. On reluque son nez pour savoir si tel est Hutu ou Tutsi. Qui sont ses parents ? Uri uwo kwa nde ? Uva he ? Pour savoir, que dis-je ? Pour deviner son ethnie. Pathétique certes, mais les choses sont ainsi.

Nous vivons avec des âmes meurtries. Dans une société blessée qui a besoin d’être soignée. Est-ce que le temps sera le seul remède ? Difficile de le croire.

En attendant, traitons tous les Élisabeth Borne avec amour et compréhension. Si le poids du passé leur est lourd, ce n’est pas de leur faute. Et s’ils n’arrivent pas à s’en débarrasser, une thérapie est envisagée. Le vrai remède.

 

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