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Les élections de 1993 : un cas d’école ?

Après quelques décennies de dictature, et suite au contexte international qui prévalait, le Burundi a rejoint le grand mouvement de démocratisation des pays africains. En 1992, le multipartisme est restauré. En 1993, c’est la grande épreuve des élections présidentielles et parlementaires. Malgré une campagne électorale très mouvementée, les Burundais votent dans le calme. Pour autant, ces élections ont-elles été parfaites ? Certains s’accordent à dire qu’elles sont à saluer, abstraction faite de ce qui suivra.

Nous sommes en juin 1990. François Mitterrand convoque les présidents africains dans le cadre de qui s’appelle encore la France-Afrique. La conférence de la Beaule devient le Yalta africain où se dessine l’avenir du continent. Devant un parterre de présidents africains, dont d’indécrottables dictateurs avérés tels que Mobutu Sesse Seko du Zaire (RDC), N’Gnassingbé Eyadema du Togo, Hissein Habré du Tchad, mais aussi Juvénal Habyarimana du Rwanda et bien sur Pierre Buyoya (la liste est longue), le président français enjoint à ses hôtes d’instaurer la démocratisation par un passage au multipartisme.

Allez dans le sens du vent

Une phrase de son discours est restée pour la postérité : « (…) Il y aura une aide normale de la France à l’égard des pays africains, mais il est évident que cette aide sera plus tiède envers ceux qui se comporteraient de façon autoritaire, et plus enthousiaste envers ceux qui franchiront, avec courage, ce pas vers la démocratisation (…) ». Le ton est donné. Le président Buyoya ne traîne pas les pieds. Le 13 mars 1992, une nouvelle Constitution est promulguée. Quelques mois après, le multipartisme est instauré. Le 17 avril 1993, le Major Pierre Buyoya convoque par décret les Burundais aux élections présidentielles et législatives. Le 1er juin 1993, les Burundais en âge de voter empruntèrent le chemin des urnes pour élire leur Président. Trois candidats sont en lice : Pierre Buyoya de l’Uprona, Melchior Ndadaye du Frodebu et Pierre Claver Sendegeya du PRP.

Le fair-play après les urnes

Contrairement à la campagne électorale qui a été tumultueuse, l’élection se déroule dans le calme. À ce sujet, le rapport des observateurs internationaux de l’OIF mentionne ce qui suit : « Le déroulement du scrutin de l’avis général n’a suscité aucun incident majeur sauf le cas de Cankuzo qu’il importe de souligner. En effet, la liste du FRODEBU d’abord agréée par ordonnance du 7 juin 1993 du ministre de l’Intérieur a été radiée par ordonnance du 23 juin 1993 aux motifs que « (…) sur la base de fausses déclarations, la liste a été déclarée faite dans l’esprit d’unité nationale alors que les investigations ultérieures sur le terrain révèlent que là dite liste est mono-ethnique, faits contraires à la constitution de la République, à la loi sur les partis politiques et au code électoral(…) ». À la fin, c’est le candidat Mélchior Ndadaye qui l’emporte haut la main, avec un score de 64,75 %, contre 32,39 % pour Pierre Buyoya et 1,44 % pour Pierre Claver Sendegeya. Le sortant reconnaît sa défaite. Il est à signaler qu’après les élections, il n’y a pas eu de violences. Le pays est resté calme. Est-ce pour autant que ces élections étaient parfaites ? Paul Ngarambe, qui faisait partie du cabinet du Premier ministre Adrien Sibomana, qui s’est retrouvé, malgré lui, sur la liste des candidats des députés de l’Uprona de la province de Ngozi se rappelle : « Maintenant (avec recul), je dirais oui et non. Oui, le gagnant a gagné et le perdant a perdu. Non, parce que le gagnant a eu un score plus élevé que ce qui a été proclamé. Non, parce que le perdant a eu moins que ce qui a été annoncé ». M. Ngarambe revient sur les informations qui n’ont pas été portées au public à l’époque et affirme que certains organisateurs du scrutin ont proposé au président sortant de tricher sur les chiffres pour qu’il puisse rester au pouvoir. Ngarambe déclare que « c’est le président Buyoya qui a dit NON ! », avant de préciser que ces faits lui ont été confirmé par le président Buyoya lui-même, des années plus tard.

« Mais à ce moment-là, vu d’où le pays venait, c’était déjà un pas en avant. Malheureusement, ce qui a suivi le 21 octobre 1993 laisse penser qu’il y en a qui attendaient que les résultats soient connus avant de pouvoir balayer la démocratie », regrette M. Ngarambe.

Signalons que, contrairement aux autres pays africains qui avaient opté pour un gouvernement de transition impliquant l’opposition avant de passer aux élections démocratiques, le Burundi est passé directement aux élections sans passer par cette étape, chose que l’écrivain Jean Marie Sindayigaya reproche au président Buyoya dans son ouvrage Six décennies de suffrage universel. Quel bilan ?

Quelques jours après, c’est le tour des législatives. Au total 740 candidats se battent pour les 81 sièges du parlement. À noter que la Constitution de l’époque n’avait pas prévu l’institution de Sénat. Les législatives ont lieu le 30 juin 1993. Là aussi, malgré une bataille acharnée des candidats, l’élection des parlementaires se déroulera dans le calme. C’est encore une fois le Frodebu qui se taille la part du lion avec 65 sièges contre 16 de l’Uprona. Rappelons encore une chose. À l’époque, il n’y avait qu’une simple commission électorale nationale (CEN) présidée par feu Térence Sinunguruza. Cette commission était dirigée à partir du ministère de l’Intérieur sous la houlette de feu François Ngeze de l’Uprona.

 

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