Pour gérer le lourd héritage de la guerre et des atrocités qui ont été commises dans notre pays, quelle doit-être la part du droit de savoir et celui de la vérité dans le processus de la réconciliation ? Est-il encore nécessaire de maintenir la mémoire sous les verrous ? Quelles peuvent être les conséquences ? Quelques éléments de réponse.
Dans un pays qui sort d’une crise comme le Burundi où il y a nécessité de cicatriser les cœurs brisés par un passé sombre et douloureux, d’aucuns aspirent à la réconciliation et au rétablissement d’un ordre juste et équitable, base de la paix durable. Pour faire face à des exactions commises dans le passé, une justice transitionnelle est proposée à toutes ces communautés ravagées par la guerre. Elle est comme une boite à outil pour gérer avec plus d’humanité les situations de crise que notre pays a traversées mais…tout ce processus serait peine perdu s’il n’est pas orienté vers l’ultime objectif de la réconciliation.
Des pièces maitresses de la justice transitionnelle
Selon la définition des Nations Unis, la justice transitionnelle s’entend comme l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation (Secrétaire général de Nations Unies devant le Conseil de sécurité, Rétablissement de l’Etat de Droit et l’administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit, rapport, Doc. S/2004/616, 02 août 2004, p. 7, §8).
Théorisée par l’éminent juriste français Louis Joinet, cette justice est fondée sur quatre piliers à savoir le droit de savoir, le droit à la justice, le droit à la réparation et le droit aux garanties de non répétition. Ici, le droit de savoir nous renvoie au droit à la vérité, le devoir de mémoire, droit de savoir des victimes, l’écriture de l’histoire et la mise en œuvre des mécanismes d’établissement des faits, etc.
Certes, la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) semble efficace pour apporter plus de réponses à une série d’interrogations sur les crises du passé. Avec la mise en œuvre du droit de savoir et du droit à la vérité, cette commission offre des garanties de possibilité d’explication du passé. Néanmoins, le droit à la vérité bien que lié au droit de savoir n’est pas assimilé à ce dernier car juridiquement il a été reconnu pour les victimes des violations graves des droits de l’homme par des organisations onusiennes. (voir Commission des droits de l’homme, « Promotion et protection des droits de l’homme. Étude sur le droit à la vérité. Rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 8 février 2006 », E/CN.4/2006/91)
Un mur de l’oubli équivaut-il à une épée de Damoclès ?
Au Burundi, le rôle de la justice transitionnelle déjà entreprise à travers divers mécanismes et surtout actuellement avec la CVR ne sera pas de préciser le gagnant ou le perdant mais de créer des conditions pour un mieux vivre ensemble sur le même territoire et parvenir ensemble à un plus jamais ça. Quand la page de ce passé rythmé par des crises et des guerres est tournée sans la lire, c’est un oubli ou un silence synonyme de complicité.
Ceci étant, la shoah ne pourrait jamais être oubliée car elle est la preuve pour les générations ultérieures qui démontre jusqu’où peut aller la méchanceté de l’homme. Luc Huyse, auteur de Tout passe sauf le passé, montre comment une guerre civile ou une répression brutale ne meurt jamais dans l’esprit de ceux qui ont survécu. Ils luttent toujours contre une douleur fantôme qui ne veut pas les quitter.
C’est pourquoi, il faut que la CVR crée toutes les conditions favorables pour que soit mise à jour la vérité entière. Mais quelle vérité ? Celles des victimes ou celles des auteurs ? De toutes les façons, le peuple a le droit de savoir ce qui s’est passé. C’est seulement à partir de la vérité que même le mode de réparation pourrait être défini. Cela demande d’aller loin en intégrant l’exigence de vérité sur les origines de cette crise récurrente. Néanmoins, cela ne pourra pas être une vérité pour une minorité heureuse mais une vérité qui aide à déclencher le catharsis comme le dit Mgr Barrigah Président de la Commission Vérité du Togo parce qu’elle permet de ne pas oublier ce qui s’est passé (Extrait de la justice Transitionnelle : une voie vers la réconciliation et la construction d’une paix durable, document de la conférence de Yaoundé). Dans le cas contraire les victimes risquent une revictimisation.
Bafouer le droit de savoir et le droit à la vérité, quelle conséquence ?
Nous risquons de tomber dans des répétions fâcheuses des guerres causées par un esprit de vengeance et de soupçon qui risquent de naître dans n’importe quel autre conflit et qui fait surgir des mauvais slogans comme baradusibiriye (ils recommencent). Or, comme le dit un proverbe burundais ibuye riserutse ntiriba ricishe isuka (Vaut mieux prévenir que guérir). La vérité sur le passé peut beaucoup nous apprendre.
Il est une sorte de confusion qui ressort de notre langue. En parlant de l’ikiza, urwimo nous courons le risque de tout généraliser comme si la responsabilité est toujours collective dans ces crises récurrentes. En plus, en cas d’identification des fosses communes, ne pas savoir si telle fosse date de 1972,1988 ou 1993 peut aussi conduire à une confusion quant à la vérité. D’où, il faut plus de patience, de délicatesse et parfois même, comme le recommande l’Article 36 de la loi n°1/18 portant création de la CVR du 15/5/2014, des experts pluridisciplinaires pour connaître la vérité.
Le silence très nourri par la culture burundaise quand il s’agit de traverser des difficultés, depuis la famille jusque dans la communauté, nous empêche parfois de briser la glace et étaler la vérité au grand jour. Des fois le Burundais préfère se résigner et se taire en vertu de certains adages ou proverbes iconoclastes tels que : Niko zubakwa, ntakuzura akaboze ou umurundi aguhisha ko akwanka nawe ukamuhisha ko ubizi, etc. Ce silence est toujours hypocrite car il cache un passé lourd qu’on ne veut pas dévoiler.
Certaines barbaries de ces crises cycliques ne sont pas suffisamment éradiquées. Certaines des graves infractions qui se commettent actuellement montrent comment ces crises ont érodés les normes morales et culturelles sur la dignité humaine qui inculquaient la sacralité de la vie selon certains proverbes comme ubuzima ni katihabwa,…
Somme toute, la réconciliation n’est pas une œuvre facile, ni un consensus de bureau. Elle est à chercher et à construire. Je dirais qu’elle est artisanale. Dans ce long processus, le droit de savoir et le droit à la vérité ne sont pas une option mais un passage obligé pour bien arriver au final cut, dirait-on à Hollywood.