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La détaxation des produits alimentaires : une fausse bonne idée

Fin mars 2023, le gouvernement a pris la mesure d’exonérer certains produits alimentaires importés. Un mois après, les prix ne fléchissent pas. Pourquoi la détaxation de ces produits ne produit aucun effet ? La raison est simple : la hausse des prix n’est pas passagère. Pire, cette inflation est principalement domestique. Analyse.

Le citoyen burundais ne sait que faire. Il navigue à vue, tirant le diable par la queue. Les boutiques des produits alimentaires affichent des prix exorbitants. Toutes les marchandises sont hors de portée. Pour remédier à cette situation, le ministère des finances a pris la mesure de l’exonération de la taxe ad valorem de 1,5 % sur le haricot sec, le riz, la farine de manioc, le sucre, la farine de maïs, le manioc et les graines de maïs importées. Pour la plupart des consommateurs, cette décision est une véritable bouée de sauvetage. 

Après un mois, une virée sur le marché de Kanyosha, l’un des marchés de  Bujumbura nous a permis de tâter le pouls. Le constat n’est pas surprenant : les prix des produits importés sont toujours aussi élevés. A titre illustratif, le riz tanzanien s’achète entre 5500 Fbu et 6000 Fbu.  Par contre, les prix du riz et du maïs produits localement ont légèrement baissé. A Kanyosha, le week-end dernier, le kilo du riz local s’achetait 3150 Fbu. Il a diminué de 850 Fbu. Le kilo des grains de maïs local, lui, s’achète à 1700 Fbu, soit 500 Fbu de moins.     

Une mesure salutaire, certes…

La détaxation des produits alimentaires importés est une mesure louable, mais à elle seule, elle ne peut pas faire baisser les prix. Avouons-le, nous faisons face à une inflation qui dure depuis des années. Elle n’est donc ni passagère ni importée. Elle est causée principalement par une insuffisance de l’offre, notamment agricole sur le marché local, et non par une taxe sur les produits alimentaires importés. D’où cette détaxation ne résoudra pas le problème. 

Durant la période inflationniste comme la nôtre, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne.  Face à cette inflation, nous ne luttons pas à armes égales. C’est le cas notamment de ceux qui ont un revenu fixe et qui n’ont pas les moyens de défendre leur pouvoir d’achat. Ces derniers supportent une érosion de leur pouvoir d’achat, du fait de ce gap entre le budget et la valeur des biens et des services qu’ils désirent se procurer. Ainsi, leur panier est de moins en moins rempli ou même s’il est rempli comme avant il coûte beaucoup plus cher. 

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que lorsque l’inflation s’installe dans la durée, elle s’auto-entretient. Cela signifie qu’une augmentation du prix de la bière provoque une hausse, souvent en plus grande proportion d’autres produits et services et ainsi de suite jusqu’à ce que les prix galopent.  

La monnaie n’inspire pas la confiance

En ce moment, la monnaie burundaise elle-même perd sa valeur. Les faits sont là. Certains détenteurs avisés d’argent en Fbu veulent s’en débarrasser le plus vite possible. Et pour cause, aujourd’hui, beaucoup préfèrent acheter un terrain, une maison ou de la monnaie étrangère, ce qui leur reviendra plus tard multiplié par 15 ou 20%.   

De ce fait, la monnaie nationale n’inspire plus confiance. Les commerçants, les entreprises et les propriétaires des maisons veulent facturer les biens et services en devises. Cette réticence devant le Fbu est une réaction naturelle de la part d’une personne ou d’une entreprise car la dépréciation monétaire conduit à la recherche d’une autre monnaie de valeur. 

 L’inflation nuit à la planification

L’inflation entraîne d’autres conséquences tel que l’embarras dans lequel se trouvent les sociétés quant à l’amortissement des machines, des voitures et des meubles. Le remplacement de ces outils de production exige des dépenses plus lourdes que prévues au moment de l’acquisition.  

De plus, en période de l’inflation, l’Etat se trouve lui aussi perdant. En effet, alors que ses recettes proviennent le plus souvent des impôts directs correspondants aux  revenus de l’année antérieure, 2021 par exemple, ses dépenses ont été facturées aux prix de l’année en cours 2022 qui étaient plus élevés que ceux de 2021. De ces deux cas, nous pouvons facilement comprendre que l’inflation fausse toute planification à long terme. 

La concurrence étrangère s’accentue

L’inflation affaiblit les entreprises. Elle menace aussi bien les sociétés exportatrices que celles qui produisent uniquement pour le marché local. Pour les premières comme pour les secondes, la concurrence étrangère sur les deux marchés devient farouche et difficile à contrecarrer, faute d’une compétitivité suffisante au niveau des prix. Les conséquences se ressentent immédiatement. Les importations étant encouragées et les exportations freinées, un déficit de la balance commerciale se creuse. 

Malheureusement, ce gap ne peut même pas être compensé par des entrées de capitaux, car il arrive un moment où l’inflation atteint un niveau ou les investissements étrangers rebroussent chemin et vont se placer ailleurs.

Recours à la thérapie de choc

L’inflation va au-delà des prix. Une fois déclenchée, cette hausse des prix ne se limite plus à un dérapage des prix mais affecte tous les secteurs de la vie économique. De telle manière qu’il n’est pas audacieux d’affirmer que l’inflation s’apparente à une drogue à laquelle s’adonnent certains jeunes bujumburois et dont les effets sont toujours contraires aux aspirations qu’ils avaient nourries au départ. 

La comparaison peut être poussée plus loin. En effet, à l’instar de ce jeune drogué, l’économie souffrant de l’inflation, croit souvent trouver le remède dans la fuite en avant.  

Par conséquent, il faut que l’on se rende compte que nous sommes dans une situation où l’agriculture doit faire sa révolution pour changer de système de production, aller vers une souveraineté alimentaire et produire pour ce que nous consommons en premier lieu, avec, dans la mesure du possible, la réalisation des progrès techniques et technologiques pour améliorer les rendements.

 

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