Le congrès n’a peut-être pas eu lieu, avec aussi « moins de bruits ». Les Burundais ont une drôle façon de voir les choses. Mais ne leur jetons pas le tort, ce peuple est habitué à un certain rythme de danse…
Pour débuter 2023, les ténors de la destinée du Burundi jusqu’en 2027 se sont réunis à Gitega, dans un congrès, sans trop de remous. Et moi à Bujumbura dans mon train-train quotidien, souvent je fais fi aux conseils d’un ami qui m’explique que donner un lift n’est pas toujours prudent. Ce matin, je prends des « lifteurs » dans ma petite caisse. Vite fait, leurs conversations dans la voiture m’envoient triturer les méninges. Une dame dans la cinquantaine lance, toute étonnée : « Ko atagakakaza ? » (rien ne cloche ?, Ndlr). Un autre passager aborde dans le même sens : « Ordre du jour ni iyahe ? » (quel est l’ordre du jour ?, Ndlr). Va-t-on suivre leur pensée ou ils ont tout simplement raison de s’inquiéter ?
Sur le net, beaucoup étaient dans un état de vigilance, après l’invitation au congrès du patron de la diplomatie burundaise aux corps diplomatiques et consulaires. S’en sont suivis, comme nous en sommes habitués, questionnements et analyses. Partout, dans les bus, au bureau, et autour d’un verre. Je vous épargne les gymnastiques dans les rédactions pour dénicher l’info depuis l’annonce des congrès. Mais tout le monde a peut-être raison, c’est d’usage de se poser ces questions surtout au vu des discours et agissements actuels du président de la République en même temps président du Conseil des sages du parti Cndd-Fdd.
R.A.S (Rien à signaler)
Quelques heures avant le congrès, les Burundais avaient plus ou moins le cœur tranquille : c’est le Secrétaire-général adjoint du parti (actuellement président de l’Assemblée législative de l’EAC) qui va être remplacé. Le message, perplexe, est partagé doucement. Les sentiments sont apaisés.
Verdict ? C’était une fausse alerte. Mais qu’attendre de ce congrès qui fait autant parler ? J’ai un sinistre résumé avant de passer l’encre à mon collègue politologue-maison : si avoir l’esprit en alerte à chaque fois qu’un parti au pouvoir organise un congrès est devenu le reflexe naturel à nous tous, c’est qu’il y a anguille sous roche dans la santé du pays en général, mais plus parlant dans le modèle de gouvernance installé par les dirigeants. Nul besoin de rappeler qu’une maladie répétitive est plus inquiétante dans le corps d’un humain.
Traumatisé.e.s, mais jusque quand ?
On le voit donc. Les congrès, ordinaires ou extraordinaires du parti de l’aigle font parler d’eux. Ce serait exagérer de dire qu’ils inspirent même la peur mais admettons tout de même qu’ils mettent le pays en alerte. Et c’est tout ce qu’il y a de normal, ai-je envie de glisser. Parce qu’il y a une explication. Plutôt des tentatives d’explications.
Il faut d’abord le reconnaître : nous sommes un pays au lourd passé. Un passé qui n’a apparemment pas envie de passer. Un passé chargé de mémoire. Ou des mémoires. Il serait en effet trompeur de se dire que les crises que le pays a traversé sont derrière nous. 2015 est venue comme pour nous le rappeler. S’il n y a pas crépitements d’armes, le Burundais ne reste pas moins traumatisé. Normal donc que le congrès d’un parti aussi « puissant » lui fasse d’effets. Surtout que ce n’est pas n’importe quel parti.
Aux affaires depuis plus de 15 ans, le parti de feu Nkurunziza nous aura montré qu’il n’est pas champion de la transparence. Il nous aura aussi montré qu’il n’est pas imperméable aux crises intestines. Depuis son premier mandature, qui oserait oublier la saga Hussein Radjabu, l’homme fort du parti, l’aigle en chef à l’époque, 2007 pour être précis ? L’évènement fait date et ne pèse pas moins sur la politique actuelle. Qui oserait oublier la profonde crise de 2015 et la fronde, jusqu’aujourd’hui dans les anales de la vie politique du pays ? 2007 et 2015, entre autres, ont connu des congrès qui ont laissé des tumultes loin d’être oubliés par le Burundais traumatisé.
Il est donc tout à fait normal que celui qui vient de se tenir à Gitega fasse parler de lui et fasse objet de plusieurs « raisonnements ». Des spéculations d’ailleurs compréhensibles dans un contexte de dynamiques qui anime la vie politique actuelle.
Ce dimanche encore, le locataire de Ntare House s’est illustré en berger dont certains brebis continuent à errer sur les chemins, d’autres fugitivement, en son absence. Face au fort discours aux autorités, aux appels ciblés au changement des grands commerçants (qu’il qualifie, plutôt sans gène, des « commissionnaires »), aux mises en garde régulières, face aux rumeurs de coup d’Etat qu’il a lui même confirmé après deux ans aux commandes, face aux rumeurs de conflits au sein même des principaux « aigles », il n’est plus à cacher à personne qu’un congrès qui se tient dans ces contextes suscite des peurs et des craintes ou crée des attentes.
Et j’ai envie de dire que nous risquons de continuer sur la même lancée, aussi longtemps que notre passé n’aura pas pris son chemin de non retour. Et que le Burundais restera traumatisé, profondément.