Une chanson appelant les réfugiés burundais à ne pas rentrer au pays fait le tour des réseaux sociaux ces derniers jours. Ce sont des militants du parti Congrès National pour la liberté (CNL) qui chantent, et dansent. Des tels mots à l’approche d’une échéance électorale ne rassurent pas. Surtout que des dénigrements, des provocations orales, des déshumanisations s’observent souvent en période électorale. Analyse.
Malheureusement, nous n’apprenons pas de notre passé. Rappelons-nous des années 90. Nous aspirions à la démocratie, les partis politiques refaisaient surface. A cette époque, la campagne électorale était des plus violentes : deshumanisation, invectives, etc. tout était bon, pourvu que les esprits soient chauffés à bloc ! Nous nous souvenons encore des chansons telles : « Baraguhenze kinyamwamira » (On t’a trompé l’oiseau de mauvaise augure, Ndlr) ; « Iyo Mporona kari akarimi », (Uprona, ce n’est que des paroles, Ndlr) et bien d’autres. Nous savons tous ce qui a suivi.
2005, 2015, 2020, à quelques paroles près, les chansons étaient les mêmes : provocations, menaces, dénigrements, déshumanisations…Certains artistes et chanteurs, oubliant leur rôle de réconcilier et d’éduquer se rangeront du côté d’un tel ou tel autre parti. Nous avons eu droit à des « bacemwo ntibabona » (driblez-les, ils ne voient pas, Ndlr), « hongora injavyi » (Cassez les dents aux insoumis, Ndlr) ; « iyo mihimbiri irasara » (ces imbéciles sont fous, Ndlr) ; « kura insiha mu bigega » (sortez les taupes des greniers, Ndlr) ; etc.
Ici aussi, nous avons vu ce qui a suivi.
Bis repetita…
A l’approche de 2025, le risque est de revivre ce genre de contenu. Aujourd’hui, une chanson des militants du parti Congrès National pour la liberté (CNL) qui est en train de faire le tour des groupes whatsApp devrait interpeller les responsables de tous les partis politiques.
Alors que le pouvoir actuel appelle les réfugiés à rentrer au pays pour contribuer à son développement, dans cette chanson, on décrit une situation de famine dans le pays. « Murigumira hiyo, inzara mu Burundi yabaye umurengera » (Restez là où vous êtes, au Burundi, la famine s’aggrave, Ndlr », ont-ils lancé alors aux réfugiés burundais en République démocratique du Congo (RDC), au Rwanda et en Ouganda.
Dans cette vidéo, ces mots sont suivis des acclamations de la foule. Mais, dans la tribune d’honneur où se trouve tout l’état-major de ce parti, les applaudissements sont très timides.
Et vite, le parti d’Agathon Rwasa va tenter de s’expliquer. Le 19 avril, ils ont appelé les journalistes pour une conférence de presse. A Mutanga-nord, c’est finalement un communiqué de presse signé par le secrétaire général qui sera lu par le président de ce parti.
Sur place, il nous sera indiqué que cette chanson a été présentée lors de l’accueil d’Agathon Rwasa, à Gitega, le 16 avril 2023. « Il était là pour expliquer aux militants du CNL le nouveau découpage administratif », précisera Rwasa, tout en reconnaissant que dans son contenu, « il y a des mots pouvant être gênants pour les uns et les autres ».
Ainsi, Agathon Rwasa appelle à ne plus partager cette chanson ou son audio. Il dit même ne pas comprendre comment elle a atterri sur les réseaux sociaux. « Nous demandons aux différents responsables du parti de veiller à ce que les contenus des chansons soient non-violents et réconciliateurs », a-t-il lancé, rappelant que depuis son agréement en 2019, son parti milite pour que tout « Burundais réside dans son pays natal ».
« Il faut une éducation à la paix et à la communication non violente »
« C’est la faute aux responsables de partis politiques. Et là, c’est sans exception. Et dans le cas actuel du Burundi, deux partis politiques sont très concernés et doivent faire beaucoup attention : le Cndd-Fdd et CNL », commente un sociologue. S’exprimant sous anonymat pour des raisons personnelles, il indique que normalement, dans tous les organes des partis politiques, il y a un commissariat ou un service chargé de la culture. Ce qui sous-entend, selon lui, qu’il est chargé de tout ce qui est folklore, des idées qui doivent figurer dans les chansons, slogans, etc. « Je ne comprends pas comment on peut permettre à un groupe de jouer une chanson qui n’a pas été écoutée à l’avance pour analyser son contenu. Et pourquoi le parti CNL a réagi trois jours après ? », s’interroge-t-il.
Pour lui, si l’état-major de ce parti n’était pas d’accord avec le contenu, c’est ce jour même qu’il devait faire un clin d’œil à ce groupe et à tous les militants présents.
D’après ce sociologue, ces chanteurs peuvent avoir balancé ces mots innocemment, sans mesurer leur portée. « Il revient alors à leurs supérieurs de les redresser rapidement », insiste-t-il.
A l’approche des prochaines échéances électorales, ce sociologue appelle les responsables des partis politiques à jouer leur rôle : « Chers politiciens, épargnez-nous de tout dénigrement et appel à la violence. Que ceux qui sont chargés du suivi des contenus de vos chansons, vos slogans, veillent à ce qu’il n’y ait plus des provocations, des injures, des mots déshumanisants, etc. Je pense que le Burundi a besoin de vivre des échéances électorales pacifiques qui ne soient pas toujours suivies par des contestations, des heurts. C’est dans ces seules conditions qu’on pourra décoller économiquement ».
D’après lui, même dans les chansons du parti au pouvoir, il y a des mots à corriger : « Ce n’est pas seulement pour les chansons, les présidents des partis politiques devraient tenir des langages non violents, qui ne sous-estiment pas d’autres partis ».
Le sociologue évoque en exemple le cas où le parti au pouvoir se qualifie de lion invincible : « Vous entendrez souvent dire Inkona ntiyaruzwa. Que le Cndd-Fdd n’est pas un parti mais un pays. Cela a une signification », analyse-t-il.
Enfin, il trouve que les contenus des chansons devraient se focaliser sur les projets de société et les programmes des partis politiques au lieu de s’attaquer aux autres partis politiques ou à leurs membres. Aux militants, il leur rappelle qu’en cas d’infraction pénale, la punition est individuelle. Et de les conseiller : « Mesurez vos mots, vos phrases ! Ne soyez pas dupes, et émotionnels. La communication non-violente est source de paix et de cohésion ».