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Le centre Rumuri, là où les enfants malvoyants réécrivent leur avenir

Au cœur de la capitale politique du Burundi s’élève quelque peu modestement un centre appelé Rumuri. C’est un espace d’accueil et de formation destiné aux enfants aveugles et malvoyants, également dénommé centre d’éducation spécialisé pour déficients visuels. À première vue, le lieu semble sans éclat ni artifice. Cependant, les enfants qui y sont éduqués insufflent une ambiance vivante et dynamique. Loin de se laisser abattre par leur handicap, ils débordent de vitalité. Nous avons visité cet endroit.

14 h 45. Je gravis les quatre marches de l’escalier qui mène à la basse-cour, devant les salles de classe du centre Rumuri de Gitega. J’ai des idées préconçues par rapport au centre, mais je change d’avis rapidement. Je m’attendais à une rencontre avec des enfants qui marchent à tâtons. C’est tout le contraire qui s’offre à mes yeux. Les petits jouent au foot avec beaucoup d’entrain. Ils ont une dextérité extraordinaire et, surtout, ils ne ratent pas un tir. J’en vois qui sautent les marches de l’escalier avec l’agilité d’un chamois. J’ai la chair de poule à l’idée qu’ils pourraient se fracasser les côtes. Mais les garçons ne semblent pas s’en soucier du tout. Pendant quelques minutes, je me laisse emporter par la souplesse de ces merveilleux bouts de vie.

Le centre Rumuri est une idée du Père Vincent Garcia, missionnaire d’Afrique. Il a vu le jour le 5 août 1991, avec la bénédiction de Mgr Joachim Ruhuna, d’immortelle mémoire. Placé aujourd’hui sous la gestion des sœurs de Sainte Bernadette, il offre une formation morale, intellectuelle et professionnelle aux enfants aveugles, tout en luttant contre toute forme de marginalisation à leur égard. Ces enfants sont, pour la plupart, issus de milieux modestes, sans beaucoup de moyens. Grâce à l’appui de quelques âmes de bonne volonté, le centre parvient à leur offrir un havre de paix.

Des talents à revendre…

Les petits aveugles, qui n’ont aucun mal à se mouvoir dans la cour intérieure de leur établissement, le doivent à une adaptation bien soutenue. Selon Jean-Marie Nzigira, enseignant au centre et lui-même aveugle, les enfants apprennent à développer leurs capacités sensorielles et à maîtriser leur environnement de vie. Les éducateurs doivent tout de même vérifier s’il n’y a pas d’obstacles que les enfants pourraient heurter pendant leurs récréations. La sensibilité n’est pas en effet la même selon que la cécité soit congénitale, acquise avec l’âge ou des suites d’une complication. A l’intérieur de l’enceinte, l’enfant n’a généralement pas besoin de guide. C’est une fois en dehors de ce périmètre que cette aide devient indispensable.

Le centre Rumuri grouille de talents hors du commun. Le petit Jimmy, âgé d’une dizaine d’années, est un véritable phénomène. Grand amoureux du football devant l’Eternel, il connaît par cœur presque toutes les équipes locales et internationales. Ses connaissances proviennent des émissions diffusées sur les différentes chaînes de radio. Il va même jusqu’à sermonner les entraîneurs internationaux, leur reprochant certains matchs ratés. Lorsqu’il commence à jouer les reporters de matchs passés, on dirait un perroquet bien instruit à l’école de l’éloquence.

À la fin de l’une de ses retransmissions simulées, un ami lui tend un billet et lui demande combien il vient de recevoir. L’adolescent tâte soigneusement le billet et répond sans hésiter une seconde : « Tu viens de me donner un billet de 1000 BIF ». Ce n’est pas tout ! Des fillettes, elles aussi sous les soins du centre Rumuri, vont et viennent avec des seaux d’eau et assurent la propreté des lieux. C’est vraiment impressionnant. L’éducation progressive qu’elles reçoivent leur permet de s’adapter et de se sentir à l’aise dans les tâches quotidiennes, sans négliger leur travail intellectuel.

Aux origines de Peace and Love

Les élèves du centre vont à l’école comme tous les enfants du cycle fondamental. Comment s’en sortent-ils sans pouvoir lire au tableau noir ? Grâce au braille, une méthode bien connue depuis des lustres mais souvent difficile d’accès aux enfants aveugles et malvoyants. Des machines Perkins et des tablettes sont utilisées pour la transcription des notes. Les élèves passent les épreuves de l’examen d’État, et ceux qui réussissent peuvent être orientés vers le Lycée Notre-Dame de la Sagesse de Gitega (anciennement CND). De nombreux diplômés lauréats de cette école ont fait leurs premiers pas au centre Rumuri. Ce n’est pas seulement en classe que les élèves aveugles brillent : ils se distinguent également dans les arts, la musique en particulier. Ici, de jeunes talents se perfectionnent de manière spectaculaire.

Le chanteur Vichou et Bobo, son ancien partenaire de scène au sein du groupe Peace and Love, d’illustre mémoire, y ont passé des moments inoubliables. Dans sa mélodie autobiographique History, Vichou revient sur son passage au sein du centre Rumuri. Il incarne parfaitement l’œuvre de ce centre. Des milliers d’autres, ayant évolué ici, se débrouillent bien dans l’artisanat, diverses activités culturelles, l’art culinaire, etc. Depuis vingt-cinq ans, bon an mal an, le centre sauve des vies.

Toutes les bonnes volontés sont encouragées

 Si les élèves du centre Rumuri parviennent à réaliser de telles prouesses, cela ne signifie pas que le centre roule sur l’or. Pour pouvoir boucler l’année, il doit être soutenu. Sœur Aline Karerwa, directrice de l’école, ne cesse de solliciter l’aide de bienfaiteurs pour soutenir cette noble cause. Des organisations comme l’UPHB (Union des Personnes Handicapées du Burundi), qui lutte contre la stigmatisation, et bien d’autres, apportent une aide précieuse tandis que d’autres se retirent, laissant les enfants livrés à eux-mêmes. Des machines Perkins adaptées, des tablettes, du matériel didactique, etc., tout cela fait partie des besoins essentiels du centre.

Au terme de ma visite au centre Rumuri, l’admiration a laissé place à la curiosité. L’action que les responsables de l’établissement accomplissent dans des conditions très difficiles est vraiment louable. Toute forme de soutien est vivement encouragée.

 

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