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Carnet de voyage : une journée à kw’Ibubu, là où poussent désormais  les présidents

Il n’y a pas longtemps, je vous racontais l’histoire de vadrouille d’une bande de troufions qui, ayant le cafard, ont emprunté la RN1 à la quête d’un ciel plus clément. Pendant cette errance qui les a menés au centre du pays, une de ces brebis galeuses s’est écartée du troupeau  et s’est retrouvée comme par hasard à kw’Ibubu, le Saint des Saints, ‘’Ahera ha hera’’. Dire que kw’Ibubu fait peau neuve serait un vulgaire euphémisme. Comme un phénix qui renaît de ses cendres, il vêt ses plus belles parures.

Charles de Gaulle est né à Lille, le grand Pythagore à Samos, Bonaparte Napoléon à Ajaccio. Oui, les grands naissent de quelque part. Le 1er des Burundais est aussi né quelque part. Un matin, alors que les mouflons roupillent encore à point ferme dans un hôtel de Gitega, une furieuse envie d’aventure me prend aux tripes. Que faire pour sortir de cette affligeante routine d’une mission ennuyeuse ? Préparer un papier du genre : Comment Gitega s’orne-t-il de ses plus belles parures pour mériter sa nouvelle classification de capitale politique ? Trop radin ! La problématique de la mobilité dans la capitale politique ? Trop peu pour moi (et entre nous, c’est mieux qu’à Bujumbura).

Je me rappelle que je suis ku Murwa, la caput, qui plus est, a vu naître notre Président. Certes, il n’est pas né dans la ville, mais Giheta n’est pas loin, kw’Ibubu non plus. Ereuka ! De fil en aiguille, je me rappelle qu’un ami a un jour loué les brochettes de chèvre de cet endroit, un régal. D’ailleurs, moi aussi je salive chaque fois je passe par là et que l’exquise fumée des mbabula  vient violer mes pauvres narines. Bon, bref je décide seul, comme un grand, de faire faux bond aux collègues pour aller à l’aventure ?  Partir sans avertir personne est quand même dangereux par les temps qui courent. Un jour, un chef grincheux, à cheval avec le règlement, a failli me couper la tête pour avoir fait l’école buissonnière. Je décide donc de texter le chef de la meute : « Je sors ».  Pas assez informatif, d’accord mais suffisant pour que la bande de zouaves n’alerte pas  Ndondeza pour signaler ma disparition.

Fouler mes pieds kw’Ibubu ou rien d’autre

Je quitte donc la ville de Gitega. Nyambeho, Ku Kirato, Giheta,  Ruvyironza, Kwa Tumbu, Ryanyoni, toutes ces localités défilent devant mes yeux.  Aucun doute possible,  je suis bien à Kirimiro. Arrivé à la bifurcation de Murayi, une petite appréhension jaillit de mon esprit de paparazzi et disparait aussitôt. On dit que le coin est vachement bien gardé par les forces de sécurité et que même les agents des services de renseignement y grouillent. « J’en ai vu d’autre », me murmure une voix intérieure. Et puis, j’excelle dans l’art de me fondre dans la masse.  C’est la tête bourdonnant de ces réflexions que j’atterris devant une chèvre à faire pâlir d’envie le plus végétarien des végétariens ! Tête coupée, pendue haut et court, dodue comme tout, fraîchement dépecée, grasse comme il faut, je me léchais les babines en m’installant dans une des buvettes  où je comptais bien me goinfrer, pas seulement de viande, mais aussi de la vue imprenable de kw’Ibubu dans toute sa splendeur. Quelques brochettes plus tard, je partageais déjà une table avec les gens du coin et on causait comme si on était de vieux potes. « Kw’IBubu se transforme à vue d’œil », me murmure un de mes nouveaux amis. « Combien coûte une parcelle ici ? ». Il m’observe comme si je venais de Mars. «Oya ntiwoba ukironka. Hariya epfo gato y’igisagara, ugize imana woronka ku miriyoni 100 » (Il n’y en a plus. Avec un peu de chances, plus loin du centre, tu peux en avoir pour 100 millions de BIF). C’est à mon tour d’écarquiller les yeux. « Et ici, au centre ? ». « N’y pense même pas, à moins que tu sois un orpailleur. Il y en a qui ont dû débourser 300 millions de Fbu. Vous voyez ces étages ? ». J’ai du mal à imaginer cette flambée de prix de l’immobilier dans ce bled perdu qui était fait d’un pâté de maisons, il y a quelques années. Jusque-là, pour moi, kw’Ibubu représentait ce lieu sinistre où plus  de 150 élèves ont été brûlés vifs. Je connaissais un de ces élèves, un certain Séraphin Suguru parce qu’on avait fréquenté la même école primaire de Gihanga, même si lui était devant moi. Bien entendu, je n’ai pas partagé cette information, irigukunze rikuguma mu nda, si vous voyez ce que je veux dire !

Maintenant, tout a changé. Des maisons ‘’Gasekebuye’’ poussent comme des champignons, même dans des bananeraies. Des immeubles en étages bordent la RN1 qui traverse la localité. Il y a des hôpitaux modernes, des alimentations, des hôtels, des banques, et beaucoup de bars. Il y a même une boulangerie. J’allais poser la question qui me brûlait les lèvres, à savoir : qui sont ceux qui viennent investir ici, et d’où tirent-ils autant d’argent. J’ai préféré la boucler, surtout que je parlais à de parfaits inconnus.

En tout cas, le patelin est animé. Quand on y passe un moment, on a une vague impression que les gens passent leur temps à faire la fête. Hommes, femmes et enfants, tous sont fiers comme des paons. Les voyageurs, qu’ils soient en transport en commun ou dans des véhicules privés, qu’ils soient des fonctionnaires, tous s’arrêtent à kw’Ibubu, soit pour faire des emplettes, soit pour boire un coup (il ne viendrait pas à l’idée d’un Murundi qui se respecte ‘’guta ibarabara mu nda nsa’’). Kw’Ibubu est devenu un arrêt obligé.

 « Là où rien ne pousse, sauf la hiérarchie politique »

On siffle quelques boissons pour descendre les brochettes qu’on avait avalées. Je repense à cette méchante pique qu’on lançait aux ressortissants de Bururi, du temps où Major Pierre Buyoya (soit dit en passant, 3ème président ressortissant de cette province à diriger le pays) était encore aux affaires : « Bururi, là où rien ne pousse, sauf la hiérarchie politique ». Gitega en est à son deuxième président quand même, puisque Sylvestre Ntibantunganya aussi vient de Gishubi, une des communes de Gitega,  là où……..poussent tout de même les bananes, les colocases, les avocats, les haricots, la liste est longue. Vous aurez compris chers lecteurs que comparaison  n’est pas raison. Revenons à nos moutons (nos chèvres, devrais-je dire). Répit de viande et de bière, j’exprime mon souhait de visiter le lycée et l’hôpital de Kibimba. En réalité, je voulais voir la maison du Président. A mon grand étonnement, un de mes nouveaux copains me dit qu’il a une moto. Je pensais qu’il allait me conduire, mais il me dit qu’il a encore une bière qu’il ne peut pas laisser orpheline (admirez quand même la tournure de la phrase !). Il me brandit la clé de contact au nez et me demande si je sais me débrouiller. Je réponds que oui. Il m’indique la direction à prendre et j’enfourche la bécane. Quelques renseignements discrets m’ont permis découvrir où le Président crèche  quand il est de passage dans sa terre natale. Des bâtiments entourés   par un long mur en briques cuites et gardés par des agents de sécurités. C’est tout ce que je peux dire, car je n’ai fait que passer à vive allure, vous comprenez pourquoi. Plus loin, à une source fiable je demande : est-ce qu’il est né ici sur la colline Kibimba ? Non, c’est là. Un doigt me montre un endroit précis de la colline Musama. Je ne constate rien de particulier autour. Quelques minutes après, je prends la direction inverse pour  rendre la moto. J’ai assez joué avec le feu comme ça. Le temps de remercier mes hôtes, je m’efface discrètement pour retrouver les lascars que j’ai laissés à l’hôtel.

 

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