Pour votre info, c’est la première fois dans l’histoire du pays qu’une Constitution succède à une autre…
Jeudi 7 juin, ville de Gitega. Au petit marché du quartier Magarama, des négociations âpres se déroulent entre un marchand et une femme qui vient acheter les minuscules pommes de terre qui trônent sur les étals. Dépitée du prix excessif des tubercules, la femme tourne les talons en maugréant et va acheter des bananes vertes. Au dos de son tee-shirt blanc, on peut aisément lire : « Tora Ego » en lettres rouge sang, le mot d’ordre du CNDD-FDD pour le référendum constitutionnel du 17 mai dernier.
À des milliers de kilomètres de Gitega, un Burundais en exil assis sur une terrasse d’un appartement à Bruxelles, tasse de café dans une main et smartphone dans l’autre, balance d’un ton rageur sur Twitter : « Cette Constitution qui va être promulguée ne nous concerne pas ! »
À quelques kilomètres de Magarama, sans se douter du dilemme de la femme au tee-shirt floqué CNDD-FDD et ignorant royalement la fureur qu’il déclenche par-delà les océans, le président Pierre Nkurunziza, dans sa veste à quadruple pochettes, appose sa présidentielle signature sur la nouvelle loi fondamentale qui va régir désormais le pays. Tout le beau monde qui y assiste retient son souffle. Un moment d’histoire s’écrit.
Malédiction
Il fallait effectivement retenir son souffle car le Burundi n’a jamais été tendre avec ses « constitutions », et vice-versa. Le site www.uantwerpen.be fournit de précieuses informations sur l’histoire constitutionnelle du pays du tambour. On y apprend que la première Constitution (du royaume du Burundi) est proclamée le 23 novembre 1961 par le Mwami Mwambutsa. La version définitive sera proclamée le 16 octobre 1962.
Cette première loi maîtresse vivra six ans avant que le fantasque capitaine Michel Micombero ne lui réserve le même sort qu’à la monarchie. De 1966 à 1974, malgré l’institution en 1967 d’une commission chargée d’élaborer le projet de Constitution et dont le sort ne fut jamais connu, le Burundi vivra dans un « vide constitutionnel » qui ne put qu’arranger le jeune président réputé signer les décrets sur le comptoir des bars enfumés. Mais deux ans avant d’être déposé lui-même par le président bâtisseur Bagaza, il aura mis en place, avec 27 officiers composant le conseil suprême de la République, une Constitution à la durée de vie éphémère : deux ans, de 1974 à 1976.
Quant au président maçon, le sieur Bagaza qui aura gouverné de 1976 à 1987, il ne pensera à mettre en place une loi fondamentale qu’en 1981 (celle-ci consacrant le parti-État au Burundi), six ans avant d’être éjecté du fauteuil présidentiel lui et sa Constitution par le major au sourire rare Pierre Buyoya. À croire que cette fichue Constitution donnait la poisse.
Malédiction bis
Décidé à conjurer le sort, Buyoya, l’homme à l’origine de la Charte de l’Unité nationale, ne s’empressera pas de faire rédiger une nouvelle loi centrale. Il attendra 1992, à la veille des premières élections démocratiques du pays, qu’il était sûr de gagner haut la main.
Mais c’était sans compter sur la malédiction tenace du texte fondamental. Il sera battu à plate couture en 1993, mais reviendra en découdre définitivement avec cette loi en 1996 par un deuxième coup d’État survenu trois ans après l’assassinat du premier président au nez très commun du Burundi.
Ayant appris la leçon, le président Pierre ne s’embarrassera plus d’une vraie Constitution. Jusqu’à son départ définitif en 2003, il aura seulement autorisé la mise en place d’abord d’un décret-loi portant organisation du système institutionnel de transition en 1996 puis d’un acte constitutionnel de transition en 1998 et une Constitution de transition en 2001, sous pression internationale.
Conjuration
Le 18 mars 2005, une nouvelle loi fondamentale sera promulguée après une sorte de Constitution intérimaire post-transition mise en place quatre mois avant. Le 26 août 2005, un nouveau Pierre accède la magistrature suprême. Celui-là aura comme passions le ballon rond et les croisades. Et c’est grâce à lui (ou à cause, c’est selon) qu’on aura la toute récente Constitution de 2018, qui vient succéder directement et pour la première fois dans l’histoire à la précédente.
Au final, comme la France avec ses rois, le Burundi aura connu une histoire compliquée avec ses « constitutions ». Celle de 2018 laisse supposer que la malédiction de la loi fondamentale a été enfin exorcisée. Les croisades présidentielles auront finalement servi à quelque chose.
A relire : [Référendum] «La réforme constitutionnelle en cours ne vient pas enterrer les accords d’Arusha »