Alors que le Burundi vient de commémorer le 63ème anniversaire de l’assassinat du Prince Louis Rwagasore, l’ancien politicien et diplomate, Jean Marie Ngendahayo revient sur les condamnations qui ont touché les membres de sa famille biologique.
12 mars 1962. Les présumés assassins du Prince sont entendus pour la toute première fois devant les juges. Ils sont huit sur le banc des accusés. Ils s’appellent Kageorgis Jean, Ntakiyica Jean Baptiste, Nahimana Antoine, Ntidendereza Jean Baptiste, Iatrou Mihel, Birori Joseph, Bigirindavyi Pascal et Archaniotis Liverios. Ils doivent se prononcer sur quatre chefs d’accusation : meurtre avec préméditation, complicité de meurtre avec préméditation, détention illégale d’armes ainsi qu’atteinte à l’autorité de l’Etat. Sous les ordres de la tutelle belge, les autorités burundaises élues sont mises à l’écart.
Malgré les efforts des avocats de la défense, le verdict finira par tomber. Kageorgis et Nahimana Antoine sont condamnés à la peine capitale, Ntakiyica Jean Baptiste à 15 ans de prison ferme, Archaniotis Liverios pour 2 ans et 7 mois, Bigirindavyi Pascal écopera de 7 mois fermes. Quant à Ntidendereza Jean Baptiste et Birori Joseph, leur sentence a été mise en délibéré. Ce verdict est contesté par l’Assemblée nationale du Burundi, nouvellement indépendant. Un second procès aura lieu.
Le vingt-septième jour du mois de novembre, soit quatre mois après la déclaration d’indépendance, un nouveau verdict est prononcé, plus sévère cette fois-ci : condamnation à mort pour Birori Joseph, Ntidendereza Jean-Baptiste, Nahimana Antoine, Iatrou Michel, la prison à vie pour Ntakiyica Henry qui conduisait le véhicule qui déplaça Kageorgis au lieu du crime et une réclusion criminelle de dix ans pour Archianotis Liverios.
Au matin du 15 janvier 1963, au stade de Gitega, devant une foule évaluée à dix mille personnes, la sentence est exécutée et les condamnés sont mis à mort par pendaison.
Entre complaisance et déni de justice
Selon Jean Marie Ngendahayo, le premier procès avait plus ou moins respecté les standards sur le plan de la forme. De fait, les accusés ont été jugés en présence de leurs avocats au cours d’un procès ouvert au public. Quant au verdict, il reconnaît que l’on pourrait lui reprocher une certaine complaisance au jugement. Difficile en effet d’expliquer la fermeté de la peine pour celui qui a appuyé sur la gâchette, pendant que les commanditaires et les concepteurs de l’attentat s’en sortent avec des peines plus ou moins atténuées.
Quant au second procès, Ngendahayo lui reproche un déni de justice flagrant. Selon lui, les suspects n’ont pas eu droit à une justice équitable puisque les avocats présents lors du premier procès ont été tout simplement interdits de siéger lors du second procès. Une faute grave dont la réparation s’avère difficile puisque, dans de nombreux cas, c’est la peine capitale qui a été prononcée.
Tout n’est pas perdu
Vous avez dit réparation ? Difficile certes, mais pas impossible. Pour l’ancien diplomate, il y aura réparation lorsque l’on permettra à des experts de revisiter l’affaire – et non le procès – dans un climat apaisé, sans que le dossier ne soit pris en otage par aucune des parties au procès. Par ailleurs, il fait savoir que de telles initiatives ont déjà été menées aussi bien par des membres de la famille de Rwagasore que ceux issus de la famille des condamnés. « Certes, il y a encore du pain sur la planche, mais l’optimisme est là », concède-t-il.
Redorer l’image d’une famille vilipendée
Neveu des accusés du meurtre, âgé de seulement 5 ans à l’époque, Ngendahayo garde dans sa mémoire et dans son cœur des souvenirs d’une enfance traumatisée. « J’ai vu des parents en peine et en pleurs, des oncles et toute une famille disloquée. Les premiers réfugiés politiques sont les membres de ma famille. Cela a aussi été un choc sociologique. Nous vivions à l’intérieur du pays, à Cibitoke. Je garde l’image d’une foule très en colère contre nous qui étions de la famille de sang des suspects. Pendant longtemps, j’ai toujours craint la foule, qui était comme une menace pour moi. C’était pénible, car notre famille a été stigmatisée. Elle n’a même pas eu le droit de faire de deuil ».
Dans son combat, Ngendahayo fait tout son possible pour que le pays ne revive plus jamais ce genre de tragédie, mais aussi pour redorer l’image de sa famille ternie par cette triste affaire : « Je dois aussi contribuer à redonner une meilleure image de ma famille. Elle ne doit pas être étiquetée uniquement de l’assassinat de Rwagasore. Ma famille a une histoire qui va au-delà de cette affaire. Elle a de belles choses qu’elle a à donner en plus de ce qu’elle a déjà donné à l’histoire du pays ».