Un conflit violent répandu et soutenu peut produire une génération complète de jeunes victimisés. Comment alors sortir de cet engrenage et aller de l’avant pour une réconciliation effective ? Quid du Burundi où Hutu, Tutsi et Twa attendent tous que la vérité, une des ingrédients indispensables de la réconciliation, soit dite ? Réponses pratiques.
Dans les pays qui ont connu des conflits violents, il se met souvent en place un processus de réconciliation. Et qui dit réconciliation, dit normalement prise en compte de toutes les parties prenantes du conflit, quelle que soit sa nature. De ce fait, les victimes sont au centre de tous les niveaux du processus de réconciliation surtout dans des sociétés qui émergent de plusieurs années d’un conflit violent car ces derniers entrainent dans la foulée, différentes sortes de victimes. Cependant, pour que leurs cas puissent être tenus en compte, il faut d’ores et déjà qu’ils acquièrent ce statut de « victimes ».
Déjà, qu’est-ce qu’une victime ?
Conformément à la Déclaration des Nations Unies des principes de base de justice pour les victimes de crimes et d’abus de pouvoir, résolution de l’Assemblée générale 40/34 du 29 novembre 1985, on entend par « victimes » des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui enfreignent les lois pénales en vigueur dans un Etat membre, y compris celles qui proscrivent les abus criminels de pouvoir.
Selon toujours cette Déclaration, le terme « victime » inclut également, le cas échéant, la famille proche ou les personnes à la charge de la victime directe et les personnes qui ont subi un préjudice en intervenant pour venir en aide aux victimes en détresse ou pour empêcher la victimisation.
Victimité Vs victimaire
Selon Evelyne de Mévius, assistante en l’éthique à l’université de Genève, une distinction est à établir, entre le fait d’être reconnu comme victime, « la victimité », et le fait de se vivre comme victime, « le victimaire ». La victimité est un statut accordé par une instance tierce, le victimaire est une identité, issue d’un processus de victimisation, qui enlève à la victime tout pouvoir d’agir sur sa propre existence.
Un conflit violent répandu et soutenu peut produire une génération complète de jeunes victimisés à des titres divers, d’après l’International IDEA. Ces victimes d’agressions politiques, ethniques ou religieuses portent les stigmates de leurs expériences traumatisantes pendant toute leur vie et le risque est que ce mal et ce ressentiment non cicatrisés soient à la base de nouvelles violences.
Comment alors sortir de cet engrenage et aller de l’avant ? Trois pistes de solution sont proposées par De Mévius : la reconnaissance par le droit, la reconnaissance par le pardon et la reconnaissance dans l’action.
De l’importance de la reconnaissance de ce statut
La reconnaissance juridique du statut de victime est d’une importance capitale car elle permet, en désignant les personnes concernées comme victimes, de réinsérer ces « exclus » dans la société au titre de sujets de droit.
Un second pas est franchi quand, dans la demande de pardon, c’est la souffrance de la personne qui est reconnue. La reconnaissance de cette dernière réintègre les personnes concernées dans un monde partageable de la sensibilité.
Quant à la reconnaissance dans l’action, elle consiste à pouvoir réfléchir à un dépassement du statut de victime pour ne pas rester enfermé dans une histoire et une identité victimaire.
Quid du Burundi ?
Aujourd’hui, les Hutu, les Tutsi et les Twa attendent toujours que la vérité soit proclamée et que justice soit rendue, ce qui constitue un défi majeur pour la réconciliation. L’autre grand obstacle que l’on pourrait relever se situe au niveau du pardon comme le montrent les auteurs Anne AëlPohu et Emmanuel Klimis dans leur ouvrage « Justice transitionnelle. Oser un modèle burundais ».
A ce niveau, les deux auteurs relèvent la peur des victimes que des aveux les condamnent, l’absence de bénéfice d’un aveu dans un contexte où les lois d‘immunités ont permis la libération de milliers de prisonniers politiques sans prérequis, l’impossibilité pour les victimes de pardonner la souffrance dont elles ont été l’objet, etc.
Ainsi, face aux trois pistes de solutions proposées ci-haut pour pouvoir aller de l’avant et enterrer le passé derrière nous grâce à l’acceptation des souffrances des victimes, le Burundi est hélas, loin de remplir ces conditions.