Le Burundi vient d’adopter la monnaie chinoise (le Yuan) comme l’une des devises utilisées dans ses transactions internationales. Ce système, qui vise à « faciliter » les opérations financières entre le Burundi et la Chine, n’est pas du tout un fait isolé. La Banque de la République du Burundi (BRB) parle d’une stratégie de gestion des réserves au profit des opérateurs économiques, mais ses implications économiques dépassent largement la fluidité des échanges commerciaux entre les deux pays. Analyse.
Dans un contexte de tensions commerciales entre les puissances économiques mondiales, l’Empire du Milieu propose d’autres alternatives pour contourner l’hégémonie du billet vert dans le commerce international. Ils sont nombreux, les pays du Sud qui optent pour la dédollarisation de leurs économies au profit du Yuan. Pékin vise à accroître son influence économique dans le monde. Une attitude qui n’est pas du goût des USA, qui viennent de lancer une deuxième vague de droits de douane visant leurs partenaires commerciaux. Washington prend la menace au sérieux, alors que Pékin avance ses pions pour contrebalancer l’hégémonie du billet vert.
Les pays du Sud pataugent entre dollarisation et dédollarisation, stimulées par le manque de confiance dans les monnaies nationales et les crises monétaires intermittentes. Ils adoptent la dollarisation de leurs économies en espérant une stabilité qui reste, par ailleurs, hypothétique, explique Jean-François Ponsot, professeur de sciences économiques à l’Université Grenoble Alpes, dans son article.
Le Yuan pour faciliter les importations
Entre-temps, le Burundi rallonge la liste des pays ayant déjà adopté le Yuan pour faire des affaires avec Pékin. « La BRB est en train de mettre en place une stratégie de gestion des réserves visant à faciliter les opérateurs économiques en général, et ceux œuvrant dans les domaines de la production, de l’industrie et de la transformation en particulier, à procéder au paiement en Yuan chinois et, à l’avenir, en d’autres monnaies, pour les importations en provenance de la Chine », apprend-on du communiqué de la banque centrale adressé à toutes les banques commerciales du pays, en date du 31 juillet 2025. D’après ce communiqué, il s’agit d’une phase pilote profitable à une vingtaine d’entreprises déjà identifiées, mais dont la liste n’a pas été dévoilée. Ainsi, les banques commerciales devront s’adresser à la BRB pour les demandes de paiement en faveur de leurs clients.
De profondes implications sur l’économie nationale ?
Un expert en relations sino-africaines qualifie ce système financier de révolutionnaire dans le commerce bilatéral. L’adoption du Yuan réduit les risques pour les gouvernements et les entreprises africaines, explique Shen Shiwei, analyste des relations sino-africaines, fondateur du magazine China Briefing Newsletter, et chercheur non permanent à l’Institut d’Études Africaines de l’Université Normale du Zhejiang.
Pour les gouvernements, la détention du Yuan réduit les coûts d’emprunt en raison de ses taux d’intérêt relativement bas par rapport au dollar américain sur les marchés financiers. « La devise chinoise atténue également les vulnérabilités systémiques liées à la domination du dollar américain, telles que l’exposition à des sanctions externes ou encore la volatilité des taux de change. La diversification des réserves en Yuan crée un tampon contre les chocs », selon toujours le même analyste.
Pour les entreprises, explique-t-il, le Burundi, le Kenya et l’Ouganda autorisent désormais les règlements en Yuan, offrant de meilleurs taux de change que les canaux en dollars, surtout dans le commerce avec la Chine. Les entreprises chinoises bénéficient d’un risque de change réduit et d’un financement moins cher, tandis que les entreprises africaines, sur des marchés contraints par le change, obtiennent des sources de liquidité alternatives. Avec la croissance du commerce et des investissements sino-africains, la liquidité en Yuan devient de plus en plus accessible et largement utilisée dans les opérations financières.
Les effets de l’adoption du Yuan se font-ils déjà sentir ?
La mesure de suspendre les visas aux ressortissants burundais n’est pas un fait du hasard. Une certaine opinion estime qu’il s’agirait d’une conséquence directe de la décision du Burundi de se tourner vers le Yuan pour financer ses importations. Le Burundi s’associe aux autres pays qui veulent se passer du billet vert et casser la suprématie de la Réserve fédérale des États-Unis (FED) dans le système financier international. À travers les restrictions de voyage imposées aux ressortissants burundais, les États-Unis enverraient-ils un message aux autres pays africains qui tenteraient de rejoindre le mouvement de dédollarisation de l’économie mondiale en cours ? Rien n’est moins sûr.
Les autorités burundaises doivent faire preuve de plus d’attention avant de prendre des décisions qui risqueraient d’enfoncer encore le pays dans une grave crise économique en cas de sanctions. À ce sujet, la société civile redoute un gel des aides au développement en provenance de pays occidentaux, alliés historiques des États-Unis. « Les aides étrangères pourraient être compromises si le Burundi s’aligne trop étroitement sur la Chine sans prendre les précautions nécessaires », alerte Faustin Ndikumana, de l’ONG Parcem.
Il ne s’agit pas de substituer le dollar
« Le dollar est une monnaie puissante à travers le monde, loin d’être remplacé au Burundi. Face à l’augmentation des importations en provenance de Chine, la BRB a ajouté le Yuan chinois dans le portefeuille existant pour diversifier les devises et, partant, réduire considérablement les coûts liés au taux de change », a indiqué Édouard Normand Bigendako, gouverneur de la BRB, en réponse aux critiques concernant la mesure de règlement des importations en Yuan chinois.
L’analyste corrobore les propos du patron de la banque centrale. « L’adoption du Yuan comme monnaie d’importation ne vise pas à remplacer systématiquement le dollar américain dans le commerce international. L’internationalisation du Yuan vise plutôt à renforcer la stabilité financière mondiale et la sécurité économique, et non à remplacer le dollar américain », précise Shen Shiwei.
Dédollarisation vs Yuanisation
La communauté scientifique reste divisée sur la question de la dédollarisation de l’économie mondiale. Certains prédisent la fin brutale de l’hégémonie du billet vert au profit du Yuan, alors que d’autres relativisent les effets de la dédollarisation de l’économie mondiale.
Dans son article, le chercheur Xavier Dupret est convaincu que la montée du Yuan dans les relations commerciales transfrontalières de la Chine s’explique avant tout par l’utilisation massive de la devise chinoise dans les échanges avec la Russie voisine. À l’instar de la livre sterling autour des années 1960, le dollar perd progressivement sa puissance au profit du Yuan chinois. Il associe le phénomène de dédollarisation rapide au surendettement des pays du Sud en dollars et aux tensions géopolitiques (notamment la crise russo-ukrainienne). L’autre facteur est que Pékin renforce sa production industrielle, obligeant la plupart des pays du monde, y compris les pays développés, à s’approvisionner en produits bon marché.
Cependant, selon François Ponsot, le déclin du dollar prendra du temps, car la dollarisation des économies émergentes et en développement tend à conforter son hégémonie. Certes, la contestation du dollar est forte, en particulier de la part des BRICS, et l’érosion de sa suprématie a débuté. « Mais le déclin d’une monnaie internationale hégémonique est un mécanisme qui prend beaucoup de temps. Historiquement, la monnaie dominante le reste encore plusieurs décennies après le début de la fin de son empire », nuance-t-il.
Doper les échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique
La Chine se positionne comme principal partenaire commercial de l’Afrique. D’où l’utilisation croissante du Yuan et des devises locales dans le commerce bilatéral. Aux yeux de Shen Shiwei, le récit d’une « rivalité » entre les devises néglige les avantages de la diversification. Le dollar et le Yuan étant les principales monnaies de réserve mondiales, leur coexistence favorise la résilience. « L’influence économique croissante de la deuxième puissance mondiale et l’adoption par l’Afrique du Yuan dans les swaps de devises et les règlements commerciaux, à l’instar du Burundi (mesures récentes), démontrent le rôle irremplaçable du Yuan dans la facilitation des transactions locales », conclut-il.
La prudence reste de mise
Les centres financiers internationaux chinois, comme Shanghai et Hong Kong, pourraient jouer un rôle clé dans la finance verte, la technologie des stablecoins, et la coopération sur le marché financier international, dans le cadre de la coopération financière Chine-Afrique. Pour ce faire, des initiatives existantes, telles que le cadre de financement vert Casablanca-Shanghai, sont déjà opérationnelles pour aligner les objectifs de durabilité sur le financement en Yuan, révèle M. Shen.
Toutefois, l’ONG Parcem appelle à la prudence et met en garde contre une utilisation précipitée du Yuan chinois au Burundi. Des études approfondies sont indispensables avant toute mise en œuvre, afin d’éviter des pertes économiques, selon Faustin Ndikumana, son Directeur national. La balance commerciale du Burundi étant déficitaire au profit de la Chine, cela pourrait accentuer le déséquilibre économique s’il advenait de substituer le dollar sans garanties suffisantes. Il craint également que l’État n’impose progressivement aux commerçants de s’approvisionner uniquement en Chine, réduisant ainsi leur liberté économique.
