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La fistule obstétricale : « J’ai prié pour que Dieu m’ôte la vie »

La fistule obstétricale, source d’exclusion et de discrimination, touche les malades bien plus que dans leur corps. C’est l’essence même de la femme qui est meurtrie. Ce récit nous plonge dans le vécu traumatisant des femmes qui ont souffert de cette maladie.

Vendredi le 26 janvier 2024. Il est 11h quand nous démarrons tout droit vers le centre du pays, à Gitega. Un vent glacial nous accueille quand nous arrivons. Je regrette presque d’avoir quitté Buja. Nous nous y rendons pour échanger avec les femmes qui ont souffert de la fistule obstétricale. Sur les lieux, nous rencontrons 3 femmes, toutes belles et joyeuses. Pourtant derrière ces visages radieux, se cachent des blessures profondes. Il faut les entendre pour s’en rendre compte. 

Gloriose, la trentaine, est une maman de 4 enfants. 10 années plus tôt, elle a eu la fistule : « Lors de ma première grossesse, des sages-femmes m’ont assuré qu’elles pourront m’aider à accoucher à la maison. Je ne me suis donc pas rendue à l’hôpital. Cependant, lors de l’accouchement, j’ai fait une complication. Le lendemain, j’ai remarqué quelque chose de particulier. Mes selles, souillées de sang, sortaient par mes organes génitaux externes. C’était le début de mon calvaire. » 

Au moment des faits, Gloriose, comme la plupart des femmes, ignore ce qui lui arrive. D’autant plus qu’elle est jeune à l’époque : « J’avais 21 ans. Quand j’ai vu cela, je croyais que c’était normal pour les femmes qui viennent d’accoucher. » Mais très vite, elle se rend compte que c’est une malédiction, car son mari commence à la battre après l’acte sexuel : « Après la pénétration, il était furieux quand il voyait des selles sur lui. Il était rempli de dégoût et commençait à me battre. », se souvient-elle.

Quand elle se confie à sa mère, celle-ci accorde une toute autre signification à ces symptômes, « ni ugucibwamwo bisanzwe » (C’est une simple diarrhée, Ndlr) et lui donne des comprimés, croyant mettre fin à ces symptômes, mais en vain.

Pendant presque 5 ans, la jeune femme vivra ce calvaire, seule et abandonnée. « Je me sentais de plus en plus incomprise, sale et déprimée. Mon mari découchait de plus en plus,  quittant même pendant des mois la maison familiale pour rejoindre d’autres femmes. », relate Gloriose d’une voix éteinte. Ce n’est que plus tard qu’elle apprendra le nom de son affection : « Indwara yo mu kigo » (Fistule obstétricale). Une perforation entre le vagin et la vessie et/ou le rectum due à un travail prolongé lors d’un accouchement.

Un jour, en écoutant la radio, Gloriose apprendra que des médecins étrangers sont vénus soigner cette maladie. Et c’est comme cela qu’elle fut soignée. Aujourd’hui encore, elle porte les stigmates de cette horrible maladie, dit-elle : « Il me faudra beaucoup de temps pour oublier la honte et la solitude que j’ai vécues pendant toutes ces années. »

Une prise en charge multidisciplinaire

Annonciate, 35 ans, originaire de Busoni est une autre victime de la fistule obstétricale. « Mon entourage m’a rejetée à cause de cette maladie. À un certain moment, j’ai prié pour que Dieu m’ôte la vie plutôt que d’endurer des moqueries de mon entourage », raconte cette mère de 3 enfants, la gorge nouée. Elle avoue qu’elle ne souffre plus de cette maladie, mais qu’elle garde toujours quelques séquelles liées au traumatisme.

Le salut d’Annonciate a commencé le jour où elle a franchi les portes du centre Urumuri basé à Gitega : « Pour la première fois, je me suis sentie comprise, comme si je n’étais pas si différente que ça. J’ai retrouvé mon intégrité sociale et ma joie de vivre. »

Bénigne Niyubahwe, une assistante psychosociale au centre Urumuri qui prend en charge les femmes atteintes de fistule obstétricale, nous dresse leur profil : « La première fois, ces femmes nous arrivent déprimées avec un sentiment de désespoir et de culpabilité, pouvant même les pousser au suicide. Le traitement médical à lui seul ne peut pas suffire. Il faut savoir que le suivi psychologique est indispensable pour elles.», explique-t-elle.

C’est dans ce but, ajoute-t-elle, que le centre emploie des assistants psychosociaux qui les accompagnent durant tout le processus. « Dès leur arrivée, nous leur offrons un accueil chaleureux, une écoute attentive. Nous établissons une confiance mutuelle. Aussi, nous nous informons sur leur situation psychosociale, leur vécu avec la maladie et le degré de leur blessure psychique. »

 

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