De la présidence à la Banque centrale, les groupements financiers communautaires ou les tontines ne sont plus les bienvenus au Burundi. Cependant, certaines personnes affirment qu’ils contribuent au développement des familles.
« Nous nous sommes rendu compte que certaines personnes mal intentionnées se cachent derrière les groupements financiers communautaires pour arnaquer la population. Par exemple, il y a des individus qui ont été attrapés et qui ont déjà collecté deux milliards de Fbu, mais paradoxalement, ils n’avaient que sur eux 200 millions de Fbu seulement. Personne d’autre n’a compris où s’est volatilisé cette cagnotte », a déclaré le président de la République lors de l’émission publique organisée vendredi le 29 décembre 2023 en commune Kigamba de la province Cankuzo.
Evariste Ndayishimiye conseille aux Burundais de faire attention à toutes les personnes qui prennent l’argent de la population tout en proposant le remboursement avec un taux d’intérêt très élevé. Il ajoute que personne n’est autorisé à prendre l’argent des citoyens gratuitement, ce phénomène doit être banni. Selon le chef de l’Etat, les personnes qui seront surprises en train de le faire, elles seront punies et l’argent soutiré à la population, sera remis à cette dernière. Seules les banques et les institutions de microfinance connues sont légitimes.
Cette déclaration du chef de l’Etat survient après la note de la Banque de la République du Burundi (BRB) rendue publique le 14 décembre 2023, interdisant le fonctionnement des groupements financiers communautaires (tontines) ou « ibirīmba ». La cause avancée par cette banque est que certains Burundais y perdent de l’argent au profit de leurs confrères qui détournent ou dilapident les cotisations des membres. En plus de cela, il n’y a pas de règlementation là-dessus.
La mesure de la BRB n’a pas fait l’unanimité dans l’opinion
Certains ont salué la mesure prise par la BRB parce qu’ayant été victimes des vols de l’argent cotisé dans les groupements financiers communautaires. Mais il y en a d’autres qui estiment que lesdits groupements contribuent au développement du citoyen lambda.
« La BRB ne devrait pas bannir les ‘’ibirīmba’’, mais plutôt leur réglementation est nécessaire. Pourquoi ? Parce que beaucoup de citoyens ont des moyens financiers limités et n’ont pas accès aux banques et aux institutions de microfinances pour emprunter de l’argent. Pire, les taux d’intérêt que les institutions financières formelles proposent aux clients sont très élevés, ce qui n’est pas favorable pour tout le monde. »
Comme alternative, la population fait recours aux groupements financiers communautaires, précise Niyonsaba, une quinquagénaire de Cankuzo. A cela s’ajoutent d’autres tracasseries administratives comme les garanties. Pour témoigner de l’avantage des tontines, Mme Niyonsaba affirme qu’elle a pu bâtir une maison dans sa parcelle grâce aux frais cotisés.
Le phénomène des groupements financiers communautaires s’observe presque dans toutes les collines et les quartiers du pays. Ce qui démontre que la population a intérêt à intégrer ce système financier informel. Les personnes qui y participent cotisent parfois moins de 2000 Fbu hebdomadairement ou mensuellement dans le but d’accumuler une somme d’argent conséquente après une année ou deux ans, afin de réaliser certains projets.
« Les groupements financiers communautaires nous aident à nous développer. Que la BRB revoie cette mesure et qu’elle s’attaque au vrai problème, car en collaboration avec la police, elle est en mesure de sanctionner, conformément à la loi, les personnes qui détournent l’argent des autres membres. Qu’à cela ne tienne, tout le monde n’est pas de mauvaise foi », s’indigne Gilbert, habitant de Bujumbura. Il explique à quel point les groupements financiers communautaires sont importants dans sa vie. « Quand je vais à la banque pour emprunter même 500 000 Fbu seulement, explique-t-il, je dois présenter un avaliseur, sans oublier d’autres critères administratifs difficiles à remplir. Mais quand je demande par exemple 1 000 000 Fbu au sein d’« ikirīmba », je rentre avec cette somme le même jour. » Pour clore, Gilbert confie qu’il participe dans ce circuit financier depuis bientôt dix ans et qu’il n’a rencontré aucun problème.
Cet exemple n’est pas isolé, les groupements financiers communautaires aident les citoyens à se débrouiller dans de petits projets de développement. Si la BRB réglementait lesdits groupements, ce serait un atout.
Que disent les experts ?
Gilbert Niyongabo, expert en macro-économie, explique pourquoi la population préfère les groupements financiers communautaires : d’une part, l’engouement envers le groupement financier communautaire s’explique par le problème d’inclusion financière. Dans certaines localités, il n’y a ni banque ni microfinance. Le groupement financier est le seul moyen qui permet à la communauté rurale d’épargner ou de bénéficier des crédits.
En plus de cela, une grande partie de la population n’a pas accès aux services financiers. Même les services financiers par téléphonie mobile n’inspirent pas la confiance. C’est pourquoi beaucoup de personnes recourent aux groupements financiers communautaires afin de faire des économies ou emprunter.
« Il ne faut pas torpiller cette dynamique en les forçant à créer les microfinances. Chose difficile, voire impossible aux agriculteurs qui ont peu de moyens. Plutôt, il faut créer un cadre qui leur permet de continuer, tout en contrôlant l’argent en circulation. », suggère l’expert.