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Six minutes avec Agnès et Christine

Le 5 juin 2020, l’appel du Groupe de presse Iwacu pour la libération de ses quatre journalistes a été rejeté par la cour. Dans l’après-midi de ce dimanche 7 juin, j’ai été voir mes amis journalistes à la prison de Bubanza. Un moment de pleurer-rire et d’interrogations.

Alors que je suis à l’église, pendant la consécration, cette partie la plus importante de la messe, mes pensées sont à Bubanza. À me voir, on penserait que je suis concentré dans la prière mais, loin de là. Cela me déstabilise, si bien que je ne vais pas communier. 

Vers 15h, je décide d’aller à Bubanza, même s’il est tard. « Même si on refuse la visite, peu importe car j’aurai accompli ce devoir moral », me dis-je dans mon cœur.

Sans me soucier de ma vieille voiture qui peine à démarrer et qui peut tomber en panne chemin faisant, départ vers Bubanza à 15h. Ma nièce qui étudie à l’université m’accompagne.

Il me faudra toute une heure pour parcourir moins de 45 km à cause du mauvais état de la RN5.

Et la Covid-19 s’en mêle

A 16h 02 min, me voici à la prison centrale de Bubanza, qui a changé de visage suite à l’élévation d’un grand mur, mais aussi la construction d’une extension. « Les pensionnaires ne doivent pas manquer », me dis-je en mon for intérieur. Un jeune homme en short vert me montre un fût avec un robinet pour me laver les mains. Aucune goûte d’eau n’en sort. 

Un policier sourit et dit qu’on ne met pas d’eau parce que ce n’est pas un jour de visite. Je lui explique que je viens voir Agnès Ndirubusa, Christine Kamikazi, Egide Harerimana et Térence Mpozenzi.

« Mon frère, demande à cette dame », me dit-il tout en me montrant à qui m’adresser. 

La dame en tenue civile demande si je leur amène un peu d’argent. Je confirme. Elle accepte de me laisser leur parler, mais à travers la grille. Très gentiment, celle qui parait quinquagénaire appelle Agnès et Christine.

Salutations chronométrées…

Sans tarder, elles arrivent et je les vois sursauter en me voyant. Quelle émotion ! Elles me tendent les mains à travers la grille, mais impossible de les toucher ! Le coronavirus a tout compliqué. 

Nous voulons parler de tout de rien, mais les mots me manquent. Plongé dans mes pensées, j’imagine mal comment elles vont passer 2 ans et demi en prison, et le fils d’Agnès qui ne pourra pas être avec sa maman, … Je n’arrive plus à en placer une.

C’est finalement elles qui me lancent des blagues, mais je sens qu’elles le font malgré elles.  

Apparemment compatissante, la maman qui m’a laissé les voir, me rappelle de leur donner ce que je leur ai amené et de partir. Ce que je fais avec un au revoir. Alors que je repars, j’entends : « Non. Reste un peu. » Cette courte phrase que prononce Christine me fait mal au cœur. Je regarde ma montre. Cela fait exactement six minutes que je suis avec elles.

À quelques pas d’elles, la mort dans l’âme, je me retourne. Je vois mes consœurs me regarder à travers les barreaux, le chagrin se lit sur leur visage, elles lèvent la main en signe d’au revoir. Je retiens difficilement un sanglot.

Arrivé dans ma voiture, mes larmes coulent. Je me sens ridicule de pleurer en présence de ma nièce qui est restée dans la voiture.

Je démarre et ma vieille voiture, toute aussi compatissante, nous ramène à Bujumbura sans problème.

Le droit, rien que le droit !

Vive le droit ! Selon légende burundaise, le droit est un héritage de Ngomayasacega, le  mushingantahe (sage) qui a dit le droit en déclarant que la mort était fautive, celle-ci le tua. Il a dit le droit, rien que le droit, sans peur de mourir.

Quand je vois Agnès et les autres accusés de « tentative de complicité d’atteinte à la sécurité de l’État », je me demande comment cette journaliste, avec sa santé si fébrile, se joindrait aux rebelles. À l’université, Agnès a fait le droit. Je me demande ce qu’elle ressent quand elle pense à ses notes en cours.

Je ne vais pas faire une quelconque analyse. Mais je l’ai vu plaider. Plaider devant ces juges. Ces juges qui auraient dit « le droit, rien que le droit », en les condamnant à 2 ans et demi de prison, avec une amende d’un million de francs burundais, chacun. 

Je n’en dis pas grand-chose. Peut-être que le droit a ses raisons que nous et hommes et femmes des lettres, ignorons. 

 

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Les commentaires récents (8)

  1. L’injustice me revolte. Merci pour ce partage très émouvant et courage à nos soeurs et frères emprisonnés injustement. Un jour…

  2. L’interprétation des droits dépend de l’idéologie c’est pourquoi vous verrez les mêmes magistrats expliquant les mêmes codes différemment
    Espérons qu’un jour nous verrons un miracle car ils ne sont pas seuls qui gémissent dans les prisons. Le temps nous apprendra à réfléchir pourquoi pas à réagir

    1. Un jour ceux qui croient lire le droit et rien que le droit en verront la lecture sur leur propre compte tel que appliquée aux autres

  3. Je fus journaliste des années 2000 a 2006 j’ai abandonné ce métier que j »aimais beaucoup puis que j »ai vu que le métier commençais à changer la couleur d »une manière subjective je suis une dame je me suis mis dans la place de ces dames je ne cesse pas de pleurer puisque je me rappelle de ce qui c »est passé pour moi Février 2001 en quittant Kinama pour un reportage de la guerre civile l’attaque du FNL à l »epoque arriver a cibitoke (Bujumbura) enceinte de 6 mois heureusement on a respecter ma grosse on m »a laissé dehors en garde a vu. courage mes amis C’est Dieu qui a le dernier mot!!!!