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Rwagasore : retour sur sa mort

La documentation sur la courte existence du héros de l’indépendance du Burundi n’est pas abondante. Toutefois, le peu qu’il y a recense quelques éléments sur son assassinat et le procès qui s’en suivit. 

« On pourrait aller au Swiss Grill mais l’endroit n’est pas vraiment chaleureux », se désole une voix.

Ce vendredi 13 octobre 1961, tout le gouvernement s’est réuni à Usumbura pour la toute première fois autour du Premier ministre, le prince Louis Rwagasore. Cela fait presque deux mois que l’Uprona a remporté massivement les élections du 18 septembre. Dix jours après, le 28, Rwagasore est désigné par le roi pour former le gouvernement. Pas de répit. Le 29 le gouvernement prête serment.  Enthousiastes, les ministres brûlent d’envie de mettre le pays sur les rails du développement sous l’égide du fils aîné de Mwambutsa.

La journée a été longue. Rwagasore présente une mine pas du tout joviale. « Urazirikanye, urashushe ? », (Votre Altesse, vous êtes malade ?[en parlant de ceux qui ont le sang bleu, on utilisait Gushuha au lieu de Kurwara]). Non, il n’était pas malade. Ce fut sa réponse.

Sitôt la séance finie, certains ministres prennent congé de l’assemblée. Un proche parmi ceux qui sont restés propose une petite sortie autour d’un verre. Le prince n’est pas de refus. Mais un autre tente de raisonner le groupe. « Ce n’est pas prudent. Les rumeurs d’une éventuelle élimination physique bruissent ». Rwagasore temporise. « De toutes façons, s’ils en veulent à ma vie, ils me trouveraient même à la maison », argue-t-il.

Après un petit conciliabule, le dévolu est jeté sur le « Hotel Tanganyika ». Il a été question du Swiss Grill, mais non, ça ne sera finalement pas là. Le « Hotel Tanganyika » est à un cheveu de faire une bien triste entrée dans l’Histoire.

Et Kageorgis tira

Ils sont sept autour de la table. Le prince, ses collaborateurs Ndenzako Léon, Nimbona Rémégie, Ntiruhwama Jean, Katikati Félix, Nguzu Pierre et Mbugubugu Mélance.

Au loin, les lampes des pêcheurs scintillent sur le lac. Rwagasore est toujours comme perdu dans ses pensées. Il peine à suivre la conversation plutôt joyeuse de ses commensaux. Ce n’est qu’au moment du dessert que l’éclaircie pointe. Une blague sur la dernière campagne électorale lui redonne le sourire. Le dernier, le tout dernier.

Un coup de feu retentit. La balle d’une carabine 9.3 a touché le Premier ministre qui s’affaisse sur la table. Le sang gicle et coule sur tout le couvert. C’est la débandade. Chacun court pour se trouver un refuge.

Quelques minutes plus tard, on s’approche du corps massif. Le prince n’est plus. On ne peut plus sauver sa vie. Consternation. Abattement. Le médecin Van Bellighen qui est dépêché sur les lieux n’y peut rien. Il ne peut que constater le décès, impuissant. Contacté par téléphone, le résident Jean Paul Harroy lâche un « nom de Dieu ! ».

Ce même Harroy s’évertue pour que la dépouille soit rapidement transférée à l’hôpital Rodin qui deviendra plus tard la clinique Prince Louis Rwagasore. L’autorité coloniale craint une insurrection. Les troupes patrouillent dans Usumbura pour mater ab ovo tout balbutiement d’émeutes.

L’enterrement, un casse-tête

En moins de cinq heures après le forfait, le corps de Rwagasore est déjà à Gitega. Sous le choc, les hauts gradés de l’appareil administratif exigent que le cercueil soit ouvert pour qu’ils soient sûrs et certains que c’est bel et bien le Premier ministre qui y gît. « Nous voulons revoir ses beaux yeux même s’ils ne nous reverront plus », avancent-ils. André Muhirwa essaye de s’interposer : « Vous n’avez pas à douter. Je l’ai moi-même vu. J’étais là quand on a mis le corps dans le cercueil. C’est hélas vrai. »  

L’équivoque est levée, il n’y a plus aucun doute, le prince Louis Rwagasore est mort. Il faut alors préparer les funérailles, mais où ? Différents sites sont proposés. Le premier est Gitega. La capitale. Il y est né et c’est là où habite le roi, son père. Cela semble aller de soi.

C’est sans compter sur ceux qui avancent d’autres alternatives. Une certaine opinion penche pour Muramvya. « Là où tous les rois étaient intronisés, la capitale royale par excellence. Un repaire de choix pour garder intact le noble combat du prince qui honore ses royaux aïeux », justifient les tenants de cette option.

Finalement c’est Usumbura qui va être choisie pour des raisons qui ne sont pas moins symboliques que celles de Muramvya. La capitale économique actuelle représentait la main mise du colonisateur sur le Burundi. À telle enseigne qu’à une certaine époque un indigène qui devait entrer dans cette ville devait présenter un visa et courait le risque d’être puni de 7 jours de servitude pénale ou 200 francs d’amende quand il y habitait « illégalement ». « Qui osera dire que Usumbura n’est pas une terre burundaise alors que son héros y est enterré ? »

Surplombant la ville, la colline Vugizo est choisie pour être la dernière demeure de Rwagasore. Il laisse une veuve éplorée, mère d’une petite fille et enceinte ainsi qu’un peuple dépité. Sa mort est un prologue d’un procès qui s’avérera riche en rebondissements. À suivre.

 

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Les commentaires récents (5)

  1. Abana ba Rwagasore bapfuye ryari? Bishwe niki? Bitwa gute? Nyina wabo wewe ivyiwe vyagenze gute après la mort du Prince? Merci.

  2. Au niveau politique, le prince et l’ UPRONA venaient de faire gagné l’ idée de l’ Independence immédiate du Burundi contre l’ idée défendue par le Front commun et l’ Administration coloniale de faire gagner l’ idée de repousser l’ Independence du Rwanda—Urundi pour au moins 30 a 35 ans selon le rapport Van Bilsen (?).

  3. Cet article est juste dans la forme et le fond, à un détail près : parmis les convives autour de la table du Prince Rwagasore se trouve également le Muganwa André Muhirwa par ailleurs son beau-frère et proche collaborateur.
    C’ est aussi Muhirwa qui devient le 1er Premier Ministre du Burundi indépendant suite à l assassinat du Prince Rwagasore.

  4. A la même terrasse du Tanganyika se trouvait le consul de France ce soir là. On a aussi mentionné la présence d’un adjudant commando belge. Que faisait-il là cette heure de la nuit alors que les troupes avaient été consignées avant puis placées en alerte après l’assassinat. Qui a informé sa mère du danger qu’il courait ce soir là puisque elle l’a cherché une bonne partie de la soirée. Elle aurait eu ce soir là une altercation avec un des comploteurs(Ntidendereza) en lui disant qu’elle savait ce qu’ils préparaient .
    Comment se fait-il qu’on a jamais retrouvé l’assassin de la directrice du « Graal » de Muramvya (une école de filles)tuée quelques jours auparavant et qu’on ne parle presque jamais d’elle. Beaucoup de personnes on pensé que les deux meurtres étaient liés. On l’aurait soupçonné d’être proche de Rwagasore et de lui livrer des secrets.
    Après le procès des assassins un « Livre Blanc » a été publié sur l’affaire par le gouvernement burundais. Jules Chomé a écrit sur « l’affaire Rwagasore » et plus recemment c’est Ludo Dewitte qui a écrit sur le procès.