S’il y a une chose qui distinguait Mwaro des autres provinces, en plus peut être du soi-disant caractère radin de ses ressortissants, c’était le fait d’être la seule province sans route goudronnée. Mais ça c’est du passé puisque depuis le 27 Octobre 2017, jour de l’inauguration de la RN18, la province est désormais dotée d’une route macadamisée.
Sept mois après, qu’est ce qui a changé pour les habitants de Mwaro ? Partant des buts du projet qui étaient de faciliter la circulation des biens et des personnes et améliorer les conditions de vie des populations de la zone d’influence du projet (ZIP), un rapport de l’Office des Routes du Burundi, sorti en Mars de cette année, détaille les impacts socio-économiques de la route après un suivi-évaluation basé sur quatre thèmes majeurs de changements observés à savoir: la situation économique et sociale, l’évolution du trafic routier ainsi que la question environnementale.
Un peu plus riche qu’avant
La principale activité économique de Mwaro étant l’agriculture de subsistance faite de bananes, des tubercules, des haricots et du maïs, Il y a eu un dynamisme de cette agriculture vivrière entre 2015 et 2017 : augmentation de 9,4% des superficies emblavées, 17 704 hectares en 2015 pour 19 374 ha en 2017 et augmentation des productions, 30 450 tonnes de céréales en 2015 pour 35 451 tonnes en 2017, « une telle croissance annuelle, supérieure à 8%, conforte les initiatives locales ainsi que les capacités exportatrices des produits vivriers vers d’autres régions », lit-on. Il y a eu aussi une très forte progression des productions maraîchères dans la zone : les superficies cultivées sont passées de 254ha en 2015 à 400ha en 2017, soit une augmentation de 57% pour une production de légumes de 929 tonnes en 2015 contre 3130 tonnes en 2017, soit une progression spectaculaire de 237%. « Cet exemple montre l’intérêt économique de la route qui a permis de dépasser les appréhensions légitimes des producteurs à propos de la conservation de fraîcheur des produits maraîchers ainsi que leur propre capacité à répondre à une forte demande de Bujumbura à des prix plus rémunérateurs », dixit le rapport. Le moyen de transport le plus couramment utilisé pour écouler les produits vivriers étant à pied, le prix moyen de transport pour 50kg/km à pied est passé à 658BIF contre 759BIF avant le bitumage, soit une baisse de 13.3%.
Pour les activités non-agricoles, il y a eu aussi un important accroissement de l’offre commerciale selon un recensement post-bitumage qui a noté 251 boutiques en 2017 contre 216 en 2015, soit une augmentation de 16%, 239 cabarets en 2017 contre 215 en 2015, soit une augmentation de 10.6% et les restaurants sont passés de 21 en 2015 à 33 en 2017 ayant eu le plus de bénéfices lors de travaux, soit augmentation de 56.1%.
Les recettes communales ont fortement augmenté après bitumage dans les trois communes, Kayokwe, Gisozi, Rusaka, par lesquelles passe la route : de 13 334 639BIF par mois en 2015 à 19 972 680BIF par mois en 2017 soit une augmentation de 49.8%, les taxes de marchés étant les plus représentatives, de 6 178 600BIF en 2015 à 12 757 500BIF en 2017 soit une augmentation de 106% pour le seul marché de Mwaro.
Là, c’est sans parler des emplois directs générés par le projet, l’enquête montre que l’effectif des personnes ayant déclaré un travail rémunéré est passé de 21.4% à 36.5% dont 37%, soit 239 sur 659, sont originaires de Mwaro. Parmi ceux-ci, 13.2% disent avoir investi une partie du salaire pour un bénéfice moyen de 34 571BIF par mois.
Globalement le rapport dit que le secteur de transport a contribué à une augmentation de 1% du PIB avec un taux de 60% de la population de Mwaro vivant sous le seuil de pauvreté en 2018 contre 63% en 2014. Le désenclavement a joué un rôle majeur vu que l’Indice d’Accessibilité Rurale(I.A.R.) autrement dit le taux de la population ayant accès à une voie praticable en toute saison à une distance inferieure à deux kilomètres dans la ZIP est passé de 18.89% en 2014 à 22.47% en 2017 après bitumage.
Moins assidus à l’école, mieux soignés…
Les effectifs des élèves sont restés stables sauf quelques-uns qui ont abandonné l’école pour aller faire de petits services lors des travaux comme le commerce ambulant, être groom ou aide-maçons…Même situation à l’Université de Mwaro sise à Kibumbu mais ici les responsables envisagent une importante progression des effectifs du fait qu’avec le bitumage de la route, la distance de 65km avec Bujumbura pourra être effectuée avec les systèmes d’abonnement auprès des compagnies de bus qui reviennent dans la région grâce à la route. « Mais surtout avec le bitumage, les élèves arrivent à l’école propres, ils n’ont plus à marcher sur des pistes en terre en pataugeant dans des flaques d’eau ou dans la poussière », disent les responsables d’écoles.
En outre, il y a eu des campagnes de sensibilisation à la question du VIH/SIDA qui ont conduit à une augmentation du nombre de personnes dépistées, plus de 49% entre 2015 et 2017. Pour se rendre à l’hôpital le plus proche, le coût de transport moyen est 1420BIF à vélo, 1744BIF par véhicule et 3284BIF à moto et en comparaison à la situation d’avant, le prix a diminué respectivement de 4%, 42% et 38%.
Trafic routier
Sur le cumul d’un comptage effectué fin 2017 sur quatre sites, il en ressort que le trafic moyen journalier est globalement de plus de 75%, 249 véhicules après bitumage contre 183 avant. Cependant le nombre de camions recensés reste modeste, en raison, en partie, du mauvais état de la route au-delà de Kibumbu.
Parallèlement le coût de transport s’est nettement amélioré : pour se rendre au marché le plus proche, le coût moyen est de 367BIF à vélo contre 1200 avant bitumage et de 1533BIF à moto contre 3400BIF avant. Pour se rendre au bureau provincial de Mwaro, le coût moyen est de 891BIF à vélo, 1546BIF avec un véhicule, 2351BIF avec une moto soit une diminution moyenne de plus de 25% (59%,28%,33% respectivement), tout comme le coût d’exploitation moyen des véhicules poids lourds qui est passé de 2691,82BIF/km en 2014 à 1882BIF/km en 2017 soit une baisse de 30%.
Le temps de parcours a aussi diminué: de 0.8h en 2014 à 0.6h en 2017 pour un poids lourd effectuant le trajet entre Nyakararo et Kibumbu. La mauvaise nouvelle a été l’augmentation du nombre d’accidents de route : la moyenne par mois est passée d’un accident avec deux blessés avant bitumage à trois accidents avec un décès et trois blessés après.
L’environnement en souffre
Deux impacts négatifs sur l’environnement : l’amplification du risque d’érosion hydrique au niveau des zones d’extraction et d’exploitation des matériaux (latérite, sables…) qui n’ont pas bénéficié d’un remblaiement et l’accélération du phénomène de déboisement suite à la stimulation de la production du charbon de bois par l’amélioration des conditions de circulation.
Dans tous les cas, au vu de ce qui précède, il ressort que, mis à part les accidents de route et la dégradation environnementale, la route a eu globalement un impact positif et il est évident qu’en plus de cela, le plus grand bénéfice aura été la fierté de ne plus être taxée de « dernière province sans route goudronnée ». L’enquête à la base du rapport a été effectuée en Décembre 2017 soit deux mois après l’inauguration de la route… sans doute qu’à l’heure actuelle les effets positifs sont allés croissant.
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