En exil au Burundi depuis quelque temps, Kinyoni II Félix, ancien roi de la chefferie des Barundi en RDC, revient sur l’histoire méconnue de cette communauté établie depuis des siècles dans la plaine de la Rusizi. À 80 ans, mémoire vive et regard lucide, il évoque la succession des souverains, les temps de paix révolus et la guerre qui ravage aujourd’hui l’Est du Congo. Entre nostalgie, inquiétude et appel pressant à la paix, il livre un témoignage rare sur une chefferie singulière et un passé que la violence menace d’effacer.
Beaucoup de Burundais ignorent sans doute qu’il existe, à l’Est de la République démocratique du Congo, une chefferie dirigée historiquement par des Barundi. Yaga vous en avait parlé il n’y a pas très longtemps. Cette communauté s’y est installée depuis plusieurs siècles. Dès le XIVᵉ siècle, elle était organisée sous l’autorité d’un roi, à l’instar des Bafulero, des Balega, des Babembe et d’autres peuples de la région. Après un long périple qui l’a conduit sur les hauteurs de Kamanyola, un reporter de Yaga a découvert que l’ancien roi des Barundi, qui a abdiqué en 1982 au profit de son fils, Kinyoni II, vit aujourd’hui en exil dans une localité de l’actuelle commune de Cibitoke. L’occasion était idéale pour s’entretenir avec lui. De l’histoire singulière de cette chefferie à la guerre qui ravage l’Est de la RDC, la conversation fut à la fois cordiale et riche.
Un roi âgé, mais une mémoire intacte
Kinyoni II Félix, désormais octogénaire, a dirigé la chefferie des Barundi située dans la plaine de la Rusizi, à l’Est de la RDC, de 1958 à 1982. Nous sommes allés le rencontrer chez lui, là où il a trouvé refuge depuis que l’Est de la RDC est replongé dans l’instabilité. Malgré quelques soucis de santé, il conserve une étonnante vivacité d’esprit. Sa mémoire, surtout, reste intacte. Il se rappelle clairement la succession des souverains qui ont régné sur cette chefferie.
Trois siècles de succession dynastique
« C’est Ntorogogwe l’ancêtre de la dynastie qui a dirigé la chefferie depuis 1725. Puis sont venus Makoro, Rugendeza et Rushimba, qui se sont succédés après sa mort. Après Rushimba, ce fut son frère, Kinyoni I, puis Kinyoni II, remplacé ensuite par son fils Mugabo. Après Mugabo est venu Ndabagoye Edmond. C’est moi, Kinyoni II, qui ai pris la relève après la disparition de ce dernier », raconte-t-il avec précision. Après lui, c’est Ndabagoye Floribert qui a dirigé jusqu’à son assassinat en 2012. Aujourd’hui, c’est Ndabagoye III Richard qui est à la tête de la chefferie.
Je lui pose alors la question qui me brûle les lèvres : « Comment les Burundais se sont-ils constitués en chefferie en RDC ». A quoi il répond : « Vous savez, les frontières qu’on connaît aujourd’hui ne tiennent pas compte de l’histoire des communautés. Les Burundi vivaient là-bas même avant la colonisation. Les autorités coloniales se sont appuyées sur les chefs coutumiers pour diriger et cela a continué avec l’indépendance »
« Il faut arrêter la guerre »
J’oriente l’entretien vers l’actualité. Pour l’ancien roi, la situation actuelle de la plaine de la Rusizi est douloureuse. Lui qui a connu une époque paisible peine à comprendre comment une telle vague de violence a pu ravager la région. « C’est triste ce que vivent aujourd’hui les communautés de là-bas », déplore-t-il. « À notre époque, les Barundi, les Bafulero, les Babembe vivaient en harmonie. Lorsqu’un conflit surgissait, les rois et les notables se réunissaient et le réglaient pacifiquement. »
Je reviens à la charge : « Comment voyez-vous le conflit entre les Banyamulenge et le gouvernement congolais ? » Il répond immédiatement : « Les Banyamulenge sont une communauté à part. Moi, je suis de la communauté des Barundi. Leurs problèmes ne sont pas les nôtres. Mais, quoi qu’il en soit, les conflits doivent se résoudre pacifiquement, sans recours aux armes. Trop de morts… trop de vies perdues inutilement. Il faut arrêter la guerre. »
« À Kagame, je lui demanderais de rester au Rwanda »
Je poursuis : « Que diriez-vous au président congolais s’il était en face de vous ?»
Il soupire légèrement avant de répondre : « Je lui demanderais de tout faire pour ramener la paix à l’Est. Cela fait tant d’années que les gens se battent… Il faut, à un moment donné, laisser les populations vivre en paix. Qu’ont fait les Congolais pour mériter autant de souffrances ? »
J’insiste :« Et au président Kagame, que lui diriez-vous ? » Il esquisse un sourire avant de me taquiner : « Vous, les journalistes, posez vraiment des questions embarrassantes ! » Puis il répond finalement : « Je lui demanderais de rester au Rwanda, chez lui. »
Pour terminer, je pose une dernière question : « Espérez-vous retourner un jour en RDC ? » Il réfléchit un instant, baisse les yeux, puis répond doucement : « Si Dieu le veut. »
