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Burundi : redonner ses lettres de noblesses au cours d’Histoire

Avec la réforme de l’école fondamentale, le cours d’Histoire a été supprimé dans les sections langues, scientifique et économique du cycle post-fondamental, et renforcé dans la section des sciences sociales. Entre nostalgie et amertume, un ancien professeur d’histoire plaide pour une dispensation à nouveau de ce cours dans toutes les classes du cycle post-fondamental. C’est un passage obligé vers le véritable amour de la patrie. Récit.

J’ai été professeur d’Histoire dans plusieurs lycées pendant plus de trente-cinq ans. J’ai commencé à aimer ce cours grâce à mon directeur d’école, en même temps professeur d’Histoire. Je n’avais que quinze ans. Dès lors, je n’ai jamais cessé d’adorer ce cours que j’étudiais et réussissais à merveilles. Après les études secondaires, j’ai été orienté à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Département d’Histoire de l’Université du Burundi. Ma joie était immense. C’était la réalisation d’un vieux rêve, celui de devenir un jour professeur d’Histoire, à l’image de mon ancien directeur.

Mes études universitaires ont été faites sans difficultés majeures en dépit de la rigueur du système éducatif burundais de l’époque. J’ose espérer que les conditions de passage ont été assouplies car depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts.

Dans ce monde universitaire, brassage de peuples et de cultures, mes idées se sont épanouies et diversifiées. Nos échanges entre étudiants étaient centrés sur les relations entre les Etats, la situation politique, économique et sociale des pays par rapport à leur passé, etc. Nous avions une vue globale de l’évolution du monde. J’ai rapidement compris, comme l’on nous le faisait réciter lors du bizutage, que l’Histoire est réellement une science qui étudie le passé pour comprendre le présent et préparer l’avenir. J’ai compris l’évolution politique de mon pays, évolution marquée par des périodes de grandeur et de décadence, l’origine des soubresauts tragiques qu’il a connus, mais aussi la richesse et la diversité de notre culture qui a toujours été le dernier rempart contre notre descente aux enfers.

Comme investi d’une mission

Au seuil de l’université, mes attentes ont été assouvies. J’étais fier et motivé comme ces missionnaires du Cardinal Lavigerie, envoyés pour « civiliser » les profondeurs de l’Afrique Centrale, « barbare et païenne ». J’allais prendre mon bâton de pèlerin, mon verbe et mon stylo, pour éduquer les jeunes.

Mon diplôme de licence en poche, je gravis tranquillement les contreforts escarpés des Mirwa, puis les hautes montagnes de la Crête Congo-Nil, pour enfin atterrir dans ce magnifique Lycée, première escale d’un long périple d’éducateur qui m’attendait.

C’est donc avec beaucoup d’enthousiasme que j’ai commencé ce noble métier d’enseignant, n’en déplaise à ceux qui le vilipendent, après tout la pensée est libre. Pendant ces trente-cinq années qui m’ont paru comme quelques semaines, je n’ai jamais éprouvé la moindre lassitude, le moindre dégoût. Chaque rentrée scolaire était pour moi comme une nouvelle baignade dans la fontaine de Jouvence. Je me rafraîchissais les idées et rajeunissais mon corps. Je voulais toujours recommencer, avoir de nouveaux élèves pour leur montrer la beauté du cours d’Histoire, la saveur de sa sève et la puissance de ses matériaux pour l’édification d’un monde meilleur. 

J’étais particulièrement à l’aise avec le programme des classes terminales, programme qui couvre la décolonisation et la naissance des jeunes nations, l’étude des civilisations contemporaines et l’Histoire du Burundi. Je n’ai jamais eu un programme aussi passionnant. Je me rappelle que j’ai failli tomber dans un trouble dépressif lorsque, peu satisfait du classement à l’Examen d’Etat, le directeur de l’école m’a déchargé de ce cours pour l’attribuer à un de mes collègues. J’étais profondément abattu. Sans aucune présomption ni chauvinisme, je peux déclarer haut et fort que je suis tombé follement amoureux de mon cours. Il m’a fallu de longs mois pour pardonner et oublier. Fort heureusement, deux ans plus tard, je recouvrais « mes droits » sur le cours. Ma fierté était d’autant plus légitime que la plupart de mes élèves éprouvaient un réel plaisir dans mes leçons. Plusieurs décennies après la fin de leurs études, beaucoup d’entre eux me l’avouent, sans hypocrisie et sans ironie.

Mon abattement fut encore plus profond lorsque j’ai appris qu’avec la réforme de l’école fondamentale, le cours d’Histoire sera supprimé dans la section langues, les sections scientifique et économique du cycle post-fondamental, mais renforcé dans la section des sciences sociales. La réforme en soi était une bonne chose, sauf que la grande majorité des élèves préfèrent être orientés dans la section scientifique, économique ou langues.

Plus qu’un cours, une fabrique de citoyens responsables

Quand on sait que le cours d’Histoire permet à l’apprenant de comprendre et d’interpréter certaines réalités sociales, de devenir un citoyen responsable et éclairé, de se situer dans le temps et dans l’espace, de déterminer les causes et les conséquences, de poser un jugement critique…, il me paraissait que l’élève burundais, en quête de son épanouissement et de sa personnalité, allait être déboussolé. Le faible bagage intellectuel acquis au cycle fondamental ne lui permet pas de comprendre les enjeux du monde moderne, loin s’en faut.

Dans beaucoup de pays, y compris les pays développés, le cours d’Histoire continue à être enseigné dans les collèges et les lycées, malgré la tendance à la spécialisation. Il fait partie du concept global de l’éducation à la citoyenneté, cher à tous les pays du monde. J’étais particulièrement content du fait que le patriotisme était inscrit en lettres d’or dans le programme du Gouvernement, mais en même temps, les élèves des sections ci-haut citées ne pourraient plus étudier l’Histoire du Burundi. Etrange paradoxe ! Les quelques bribes de l’Histoire du Burundi que l’enfant apprend en classe de 7ème année  fondamentale ont fondu comme neige au soleil. On n’enseigne pas l’Histoire à un gamin de la 7è année, on ne lui raconte que des histoires. J’ai eu souvent la gorge serrée et le cœur lourd au constat que les élèves qui terminent le cycle post-fondamental connaissent très peu de choses sur l’Histoire de notre pays. Des notions très élémentaires leur échappent complètement. Si on peut aimer et servir Dieu sans le connaître, le patriotisme passe absolument par la connaissance de l’Histoire de son pays. Non pas celle des érudits, mais une connaissance sommaire et générale.

J’ose espérer que l’évaluation de la réforme de l’école fondamentale permettra à nouveau de dispenser ce cours si important dans toutes les classes du cycle post-fondamental. C’est un passage obligé vers le véritable amour de la patrie.

 

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Les commentaires récents (1)

  1. C’est à la faveur d’une convalescence que tombe sur ce témoignage que je salue. Hélas, oui, le fait est flagrant. Il suffit d’avoir des étudiants tels que j’en ai en Bac l, pour leur donner un cours de littérature du Moyen-âge… Où tout simplement d’Histoire de cette période. Nous sommes souvent enclins à condamner nos étudiants. Ils sont alors deux fois victimes: victimes d’un système éducatif qui, au lieu de sacrifier des budgets sacrifié ses enfants; victimes de nous- mêmes qui nous taisons comme s’il allait de soi pour un pays comme le Burundi, de délaisser aussi subitement l’éducation humaniste. A se demander si la pédagogie de l’intégration n’est pas compatible avec l’humanisme… Ils nous ont eus, ils nous ont, ils nous auront toujours.