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[Réaction ] Le Burundais, la foi… et le virus

« Urya mu type, il a dépassé les limites », dit l’un. « Est-il réellement croyant celui-là ? », se demande l’autre. « Et pourtant, ce qu’il a dit est véridique», conclut un autre au terme d’une discussion sur l’article paru sur Yaga. Et moi en soliloque, je me garde de confronter l’auteur. Le billet est une démonstration implicite de sa vision du monde et/ou de la vie. Il rend également compte du monde pluraliste dans lequel nous vivons.

Comme toute autre crise individuelle ou collective, la lutte contre la pandémie du Covid-19 nous aura permis de discerner notre vision du monde (worldview et/ou lifeview). Quoi de plus bénéfique que de discerner la période de l’Histoire dans laquelle nous vivons. Ce billet sur la relation du Burundais avec le « Divin » en ces temps de crise nous aura poussés à un certain degré d’introspection. 

Mais l’occasion semble malvenue. Le temps est à l’action et non à la philosophie. Cependant, comme l’un informe l’autre, permettons–nous une petite pause de réflexion. Nous sommes actuellement dans une période à caractère philosophique postmoderniste caractérisée par un sens aigu de la critique et de la méfiance, une rupture avec la tradition de la modernité (c’est-à-dire une culture scientifique, la croyance en une vérité certaine, objective et bénéfique). Un déni de toute autorité, une absence de vérité objective, le tout couronné par le pouvoir de la raison, peuvent mieux rendre compte du postmodernisme. Cette époque se démarque par une assertion implicite ou explicite, dans nos paroles et actions, selon laquelle la vérité est relative et que celle-ci dépend de la communauté dans laquelle on participe. L’un des points distinctifs sera donc le pouvoir de l’argument, puisque rien n’est absolu et objectif. De ce fait, qui sait argumenter gagnera la confiance de plusieurs et la rhétorique sera la discipline phare.

C’est dans ce contexte que pour ma part, après analyse du fond et la forme du billet, je ne pourrais nier la capacité à observer et à analyser la réponse individuelle et collective au  Covid-19 de l’auteur. Qui pourrait nier que la pandémie, dans toute sa virulence, appelle l’attention de toute personne dans toute nation ? Qui serait aussi aveugle pour ne pas réaliser que la situation présente suscite des réponses diverses, allant de la reconnaissance de la souveraineté de Dieu à la prise de responsabilité humaine par les gouvernements et les individus, cette dernière faisant objet, me semble-t-il, de l’insatisfaction de l’auteur du billet dans le cas de notre pays ? Qui s’opposerait à l’affirmation selon laquelle le Burundi est un pays laïc, et que la Constitution du pays en est la preuve marquante (du moins par écrit) ?

Et pourtant !

Je me demande si un lecteur assidu du réformateur Calvin ne se demandera pas si justice lui a été faite en le citant au début du billet. Au plus haut degré de ma connaissance, son enseignement sur la souveraineté de Dieu n’exclut nullement la responsabilité humaine et ne gagne pas en clappements de mains dans nos églises. Bien plus, une interaction avec ses écrits révélerait sa croyance au rôle de la raison, l’utilité de la science, et donc en la responsabilité humaine avec une ferme croyance dans le Dieu qui a créé, maintient et contrôle toutes choses. Toute dichotomie lui est étrangère. Les effets positifs de son enseignement holistique dans le développement des grandes puissances en sont l’exemple.

Il me semble donc que les effets de l’Aufklarung (l’éclaircissement, ndr), datant du 18ème siècle en Europe, persistent. Ce courant philosophique exaltant la raison, l’expérience et l’observation comme guide suprême dans la connaissance de la vérité. À cette perception du monde comme divisée en deux, Dieu s’occupant de la sphère spirituelle et les hommes du monde matériel, non seulement les Burundais mais le genre humain succombe et est coupable. Une des racines de cette façon de voir Dieu, le monde, et soi-même est attribuée à cette période. Là se trouve en grande partie la source de cette fracture entre les cieux et la Terre qui, en ces temps de pandémie, pousse certains à vouloir appliquer leurs présuppositions dans la lecture des événements et conditionne la réponse à envisager, « kwimenya ».

Face à une conception rigide et abstraite du Dieu du  rationalisme du 18ème siècle, considérant la religion comme une affaire purement cognitive, quoi de plus normal que certains aient développé un extrême opposé du Rationalisme, le Romanticisme (bien que certains éléments de son début peuvent être tracés à une période antérieure). Pour les partisans de cette philosophie (des fois à leur insu), dans un rejet du rationalisme, nombreux ont opté pour mettre l’emphase sur l’intuition, le sentimentalisme, la place des émotions dans l’expérience religieuse.  La réalité est explorée non par le biais de la raison, mais de l’expérience, de l’illumination spirituelle. Le subjectivisme y est donc au rendez-vous. Dans ce courant philosophique et théologique, non seulement les Burundais mais aussi le genre humain tombent dans le piège, celui de se forger un Dieu à notre convenance selon notre propre expérience. Rien donc d’étonnant de voir qu’en temps de pandémie, les adeptes du Romanticisme agiront conséquemment et opteront pour« kwegera  Imana », et rechercher des expériences personnelles d’hyper-spiritualité, d’une façon étrange et douteuse lorsqu’on considère la vérité même des Saintes Écritures qu’ils clament suivre à la lettre.

Raison et foi, faut-il choisir ?

Quelle attitude donc serait adaptée dans cette période, sans succomber aux extrêmes opposés ? À quoi peut nous servir cette pandémie dans la prise de conscience de notre spiritualité (une partie de notre vision du monde et/ou de la vie) ? Faudrait-il donc trancher entre rationalisme et romanticisme, raison et expérience (et/ou foi) ? Cette crise mondiale, comme bien d’autres sur le plan personnel ou collectif, nous révèle la nature de notre spiritualité. Elle nous renseigne sur notre philosophie de la vie, le regard que nous portons sur le monde, l’idéologie dominante, notre credo. Bref, notre vision du monde (Weltanschauung). Et la grande tâche, je pense, est de s’interroger sur les présuppositions qui sous-tendent notre vision du monde et/ou de la vie. De là nous trouverons la source des croyances qui éclairent nos actions.

Et face à cette pandémie, le piège est pour ceux de la religion chrétienne de dissocier raison et foi, science et piété. De même, la souveraineté de Dieu et la responsabilité humaine doivent toujours aller de pair. Une croyance en Dieu qui «  se révèle » comme Créateur et Souverain nous rappelle son désir en nous créant d’être ceux qui entretiennent une relation avec lui et reflètent son image en prenant soin de la création.Une balance biblique est nécessaire en ce temps. Il en découle par conséquent que je ne trouve aucun fondement, ni en quoi serait profitable, même en cas de pandémie d’épouser l’idée selon laquelle Dieu, après avoir créé le monde,

a cessé d’être impliqué et/ou engagé à contrôler, veiller et pourvoir à sa création (déisme).

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