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Toujours en quête de légitimité, la CVR a du mal à convaincre

Avec ce mois de mars 2023, la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) lance la phase des audiences publiques sur les violences commises en 1972-1973 dans tout le pays. Presque deux ans après avoir présenté son rapport sur les évènements de 1972. Entre ceux qui saluent le travail de la CVR et ceux qui sont sceptiques, le débat reste de mise. Quelle lecture faut-il alors faire du travail de la CVR à l’heure qu’il est ?

Lent et difficile. Deux adjectifs qui résument bien le travail de la CVR en presque 10 ans d’existence. Son aventure débute le 10 décembre 2014. Ce jour, onze commissaires prêtent serment pour un mandat de quatre ans. Dirigée par un prélat, feu Mgr Jean Louis Nahimana, la commission devrait enquêter sur une période allant de 1962 à 2008. Elle commence ses activités dans un contexte difficile. Juste quelques mois après sa mise en place, le 26 avril 2015, le Burundi bascule dans une nouvelle crise : la crise du troisième mandat. Comment va-t-elle enquêter sur des crimes du passé alors que d’autres sont en train d’être perpétrés ? Admettons qu’elle peut le faire. Mais avec quels moyens ? 

Depuis sa création, la CVR souffre d’un manque de moyens financiers. Cela se remarque même dans son fonctionnement. Seuls les commissaires basées à Bujumbura doivent sillonner tout le pays. Faute de moyens, elle n’a aucun démembrement à l’intérieur du pays. Entre le mois de décembre 2015 et juin 2017, trois commissaires de la CVR ont quitté la commission pour diverses raisons. Mais ces postes vacants n’ont pas été pourvus jusqu’en fin novembre 2017. Ceci a rendu davantage pénible son fonctionnement à tel enseigne que le bilan de son premier mandat est trop mitigé.

Seul 1972 a retenu l’attention de la CVR

En 2018, une nouvelle loi a étendu les pouvoirs de la CVR jusqu’en 1896, date du début de la colonisation. Dans la foulée, Pierre Claver Ndayicariye (ancien président de la Ceni), une personnalité pas très consensuelle, a remplacé Jean Louis Nahimana. Pendant 4 ans, lui et son équipe vont s’atteler au travail d’exhumation des restes se trouvant dans les fosses communes. En 2021, la CVR a sorti un rapport qualifiant les crimes commis en 1972-1973. Ils ont été qualifiés de génocide contre les hutus du Burundi et crime contre l’humanité pour les tueries commises contre les tutsis. 

Malgré moults protestations, la loi de 2018 confère à la CVR de suggérer la qualification des crimes. « Depuis toute cette période la CVR a travaillé sur un aspect : la vérité. Quand est ce qu’elle va embrayer sur les autres aspects notamment la justice, les réparations et les garanties de non répétition ?  Et même sur cette vérité, elle ne travaille que sur des exhumations. Pour faire éclore la vérité, il faut faire parler ces restes humains, et il semble que cet agenda n’est pas à l’ordre du jour de la CVR. En outre, elle s’est concentrée exclusivement sur les évènements de 1972. Est-ce que les autres crises auront le même degré d’attention ? », s’interroge Bosco Harerimana, expert en justice transitionnelle. La loi sur la CVR prévoit la mise en place d’un conseil consultatif international. Ledit conseil n’a jamais existé. En faisant fi de cet organe, et selon une certaine opinion, le pouvoir en place n’a pas voulu de partenaire encombrant. Il a voulu mener tous le processus comme bon lui semble. « Les gouvernements forts, sinon autoritaires, ont canalisé les CVR en fonction de la poursuite de leur objectif et de leur définition très encadrée de la « vérité » et de la « réconciliation ». », explique Pierre Hazan, Chercheur en Justices transitionnelles, dans son article « Les Commissions vérité et réconciliation en Afrique : un laboratoire pour le meilleur et pour le pire »

2023, place aux audiences publiques

Selon Bosco Harerimana, la réconciliation ne se trouve pas dans les bureaux. Il faut que la CVR aille à la rencontre des communautés pour que les langues se délient. Il fait remarquer que la CVR a toujours eu un problème sérieux de faire participer les bourreaux. « Le type de mécanisme que nous avons besoin, c’est ce qui se passe dans le diocèse de Ruyigi. Où une personne vient devant sa victime et confesse ses crimes. Ce travail ne peut être la seule initiative de la CVR. Il faut inclure d’autres partenaires. », estime-t-il. L’appel de cet universitaire a déjà peut-être trouvé écho. Le président de la CVR vient d’annoncer le début des audiences publiques, très prochainement, à Ruyigi. 

 

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