A l’approche de la période électorale, les partis politiques tendent à avoir un cachet identitaire, voire ethnique ou même régional. Comment élever la raison au-dessus des émotions et du tapage sociopolitique qui tend à tourner en exclusion et en violence ?
Selon le penseur James Freeman Clarke, un politicien pense à la prochaine élection, un homme d’Etat pense à la prochaine génération. Et John Rawls d’ajouter que le penseur pense à un avenir indéterminé. La question de la démocratie pourrait être pourtant une préoccupation commune pour les trois acteurs ci-haut citées. Dans nos pays où la démocratie n’est pas encore mûre, un aspect qui est d’abord souligné avant les autres, c’est le pluralisme politique raisonnable. Comme l’expérience nous l’a montré dans notre pays, là où la raison dort au point de se faire absente, elle laisse le vide aux monstruosités, en témoignent les crises que notre pays a traversées dans le passé à l’approche, pendant et après les élections.
Comment canaliser ces identités pour converger vers une culture de citoyenneté et de pluralisme politique où les droits et les devoirs se réclament, non pas sur une base identitaire mais sur une base légale ? Ce n’est pas qu’on ignore les émotions tant dans la vie ordinaire des humains que dans la vie politique, car disait Aristote, un homme sans émotion est comme un monstre. Mais nous voulons que ces émotions soient soumises à une orientation qui serve une finalité morale et politique. Selon le Professeur Symphorien Ntibagirirwa, on peut proposer trois voies pour élever la raison au-dessus des émotions en politique :
1. Etablir les règles de jeux avantageux pour tous
La période comprise en 1963 et 2000, plus de 26 conflits armés se sont déroulés sur le continent africain. Le bilan qui en fut établi par la commission de l’Union africaine est lourd : 7 millions de mort, 3 millions de réfugiés et plus de 20 millions de déplacés (série n°8 du journal « Jeune Afrique l’Intelligent », intitulé l’Etat de l’Afrique 2005, p.35). Ce n’est pas donc étonnant que cette période fut dominée par aussi des conférences nationales, des négociations, des gouvernements d’union nationale, des accords de tout genre.
Souvenez-vous des Accords d’Arusha signés le 28 août 2000, sous l’égide de Nelson Mandela, pour mettre fin à la crise sociopolitique au Burundi. Tout cela s’inscrit dans la recherche des règles de jeu d’une politique qui puisse transcender les organisations sociopolitiques partisanes. C’est dans la loi fondamentale où est supposée être la garantie contre l’arbitraire et l’égoïsme des volontés particulières. Pour ce, il faut une réflexion permanente des chercheurs et des scientifiques pour éclairer les points qui méritent l’attention soit qu’ils soient flous, soit qu’ils soient caduques et nécessitent une mise à jour dans cette constitution. L’établissement des règles de jeux n’est pas un acte qui est statique, mais dynamique.
2. Respecter les principes
Dans les jeux comme le handball et le football, si les joueurs ne respectent pas les principes du jeu, les matchs tournent au chaos. Ici, il faut considérer aussi la facilitation des arbitres. Même en politique, il faut des citoyens de principes qui respectent et se soumettent aux règles qu’ils ont eux-mêmes élaborés avec les autres. Il faut sortir de cet égoïsme qui hante souvent ceux qui sont au pouvoir. Il y a toujours une invitation de laisser de côté ses intérêts, ses visées en faisant confiance aux autres et à leurs capacités. En tout cas, comme l’ont dit récemment les chefs des partis politiques dans le colloque national des leaders d’opinion à Gitega, sur la cohabitation pacifique, la consolidation de la paix pour une démocratie inclusive, les leçons tirées des élections passées pourront nous aider à mieux préparer celles de 2025 et 2027. Dans le cas de non-respect des règles, la justice doit faire son travail. Malheureusement, l’institution judiciaire, qui pouvait agir de sa propre initiative, s’est laissé prendre dans le piège de la politique, en n’osant pas prononcer des mots qui pouvaient faire réagir des politiciens.
3. Sortir du court terme
Pourquoi vouloir sortir du court terme ? Quelle est son importance ? Sortir du court terme, c’est envisager des horizons lointains d’une société. Sénèque disait que si on ne sait pas où l’on va, on ne va nulle part. Nous voyons qu’au Burundi depuis l’indépendance, depuis l’époque du parti unique, les grandes questions ne trouvent pas de solutions durables. Oui, dans pas mal des pays africains, la seule créativité politique consiste, hélas, à créer un parti politique, souvent en reprenant les idées et rêves des partis existants, et cela, souvent, à l’approche des élections.
Pouvons-nous croire qu’ils sont animés par la volonté de bâtir une société durable ou c’est la recherche de l’emploi pour soi ? Or, c’est la raisonnable qui aide de sortir du court terme et de la violence qui lui est associée par la créativité et l’innovation dans le domaine politique. Les forums et plateformes d’échange et de concertation de partis politiques et sociétés civiles comme ce colloque qui vient de s’achever à Gitega entre leaders politiques conduit à un consensus entre les idées divergentes qui constitueront l’horizon de la vision d’un Burundi émergent en 2040 et développé en 2060.
Tout compte fait, au Burundi, un cadre normatif est nécessaire à l’approche des élections pour que la démocratie soit bien mûrie, non seulement comme régime qui envisage seulement la question de distribution des droits, mais aussi comme cadre politique où s’appliquent des décisions politiques raisonnables,æ capables de transcender l’arbitraire et l’égoïsme des volontés particulières.