Il y a peu, un verre à la main, j’ai revisité les galeries de ma mémoire. Quelques poussières de doutes plus tard, j’ai tourné l’une après l’autre quelques pages de ma petite vie dans mon quartier natal. Des visages, des lieux, des rencontres, des ombres et des lumières ont soudainement pris corps. Récit.
Au commencement, il y avait David*. Je nous revois gamins, adolescents, et jeunes adultes. Notre première rencontre remonte littéralement à la maternité. Quelques heures et quelques chambres d’intervalle séparaient nos naissances. Je revois la fierté sourde de son père face au carton de son rejeton au concours national. Ecriture illisible, aptitudes footballistiques très en dessous de la moyenne, il reste tout de même le plus gauche de tous les gauchers que j’ai connu.
Clarisse et Clarette étaient à la fois sœurs, amies et camarades de classe. La première était brillante en classe et médiocre en relations interpersonnelles. La seconde était tout l’inverse. Quant à moi, sans aucun scrupule, je menais une compétition impitoyable à la première en classe et en dehors, et j’entretenais les sentiments les plus tendres pour la seconde. De toutes les façons, pour moi et mes copains, les deux sœurs étaient clairement les plus belles créatures à mes six, sept ans. Aujourd’hui, je pense qu’elles étaient juste mieux vêtues.
Le souvenir de la beauté de Rosaline reste toutefois indélébile. Regard presque toujours absent, sourire mi- arraché mi- volontier, elle avait cette beauté que seuls les tourments de la vie savent rendre discrète. Et puis un jour, alors que le pays, l’école et les camarades avaient les yeux tournés ailleurs, elle a échappé au système scolaire. Je l’ai rencontrée quelques années plus tard. Un bel enfant agrippait fermement le pagne de mon ancienne camarade de classe. Combien d’autres en a-t-elle eu par la suite ? Sont-ils aussi beaux que leur maman ? Eux au moins, laissent-ils la face de soleil en eux luire par-delà l’indigence qui nous entoure ?
« Iyo yinjiza ico gitsindo ntitwomukize », s’est écrié Patrick soulagé. Dans la cour de jeu de l’école primaire, je venais de dévier un centre venu du côté droit du terrain. La balle, perfide, avait échoué sur un vieux tambour qui faisait office de poteau. Patrick avait de quoi être soulagé. Un but marqué au cours de ces championnats de quartier était souvent accueilli par des scènes de liesse qui débordaient sur le terrain pendant un bon quart d’heure. Il y avait quelque chose de spirituel dans les noms des équipes. On avait les « Lions de la 1ère avenue », les « 11 Rapides », les « 22 Chaines », « Makomora F.C ».
Bon, nos amis musulmans de la sixième avenue avaient poussé le bouchon de l’esprit un peu trop loin. Comme nom de l’équipe, ils avaient proposé « Al Qaeda ». Ni plus ni moins. Inutile de préciser que tout le monde trouvait ce nom tout à fait normal.
Aujourd’hui, beaucoup de choses ont changé. Pour les autres, mon quartier natal est devenu la cité dortoir à bas coût par excellence. Pour nombre de mes amis, il était simplement devenu un vaste mouroir.
Le corps de David gît aujourd’hui quelque part entre Kampala et Bujumbura. Patrick a dû suivre la première participation du Burundi à la CAN depuis l’exil. Clarisse si brillante s’est finalement taillé une place au soleil…à l’étranger. Rosaline ? Pas de nouvelles.
Les souvenirs, c’est comme la roulette russe. A chaque coup, c’est soit l’horreur, soit l’aurore. C’est soit l’ombre, soit la lumière.
* : Les noms ont été changés pour garder l’anonymat.
Nostalgique, émouvant! Les souvenirs ! 🥺
Bientôt on va revivre la fête scolaire de l’EPKII t’inquiètes!!!
Wow, Yaga t’as failli fondre mon cœur. Habuze gato vrt. Iyo passage yanyuma yoyo ni 😥😢👌
Je connais le nom de « David »,merci Yves de rendre hommage à notre ami d’enfance,à qui nous partagions beaucoup de rêves,je pleure toujours pour lui »Kagauché »(le surnom) qu’on l’appelait souvent.Que son âme repose éternellement.C’est Boya qui parle.