Les Burundais vont-ils bientôt assister à des cas de transfert d’un malade du niveau traditionnel vers un hôpital moderne et vice-versa, de façon officielle, formelle, transparente et en toute sécurité pour la vie du patient ? C’est le but d’une collecte des données sur les remèdes traditionnels les plus utilisés et les maladies qu’ils sont censés traiter effectuée du 05 mai jusqu’au 10 mai 2024. Toutefois, plusieurs questions sur ce sujet restent en suspens. Le point.
Des études pareilles, ce n’est pas une première au Burundi. En 1989 déjà, il y a eu des recherches éthnopharmacognosiques sur les plantes utilisées en médecine traditionnelle au Burundi. Une liste de plus de 936 espèces que les tradipraticiens utilisent pour traiter différentes maladies et symptômes a même été dressée. À l’origine de ces études, l’ambition d’ajouter de la valeur à la pharmacopée traditionnelle. Dix ans plus tôt, une recommandation des actes du premier congrès national du parti Uprona stipulait : « Le gouvernement revalorisera la médecine traditionnelle et encouragera la connaissance des médicaments traditionnels et prévoit des fonds pour toutes les personnes qui se joindront à développer (sic ) la recherche dans ce domaine ».
Face à ces évidences, il manquait toujours un cadre réglementaire pour paver la voie aux tradipraticiens afin de pratiquer leur science à visage découvert et commercialiser leurs produits dans des officines officiels. C’est le 11 novembre 2014 qu’est sorti le décret portant réglementation de la médecine traditionnelle au Burundi, appuyé par trois ordonnances ministérielles qui ont officialisé cette médecine dans le système de santé du Burundi. Une Direction de la promotion de cette médecine a été créée en 2020 ainsi qu’un document de stratégie de développement de la médecine traditionnelle et un conseil national de la médecine traditionnelle.
Le contre
Bien que des efforts considérables soient faits pour redonner à la médecine traditionnelle ses lettres de noblesse, force est de reconnaître quelques bémols qui posent questions. Le Burundi ne dispose pas encore de laboratoire d’analyses des produits issus de la médecine traditionnelle pour prouver l’efficacité de ces produits. Comment donc ces plantes seront-elles certifiées phytothérapeutiques ou nocifs ? Une chose est sûre, l’absence d’une évaluation scientifique de l’action pharmacologique de ces plantes médicinales rendra difficile l’application d’une posologie rationnelle ou son intégration dans les protocoles nationales de prise en charge. Comment saura-t-on la posologie à prescrire ? Quid des interactions avec les médicaments modernes qui peuvent parfois entraîner des effets indésirables ou diminuer l’efficacité des médicaments prescrits ? Comment ces produits seront-ils conservés pour palier au défi de durabilité ?
De plus, au cours de cette collecte de données appuyées par le bureau de l’OMS au Burundi, quels barèmes les enquêteurs ont-ils utilisé pour la crédibilité des informations recueillies, vue les difficultés de distinguer le guérisseur du féticheur ou encore du sorcier pour une meilleure identification des médicaments traditionnels sûrs, efficaces et de qualité ?
Le pour
Malgré ces questions, cette médecine n’est pas sans valeur ajoutée pour le Burundi. Selon les écrits du professeur Marie Josée Bigendako de l’Université du Burundi, l’intérêt pour les plantes médicinales s’explique. Primo, par le fait que l’introduction de la médecine moderne n’a pas totalement eu le dessus sur le traditionnel. Il suffit de voir comment le mécanisme d’Ishano ( poison, ndlr) se traite au Burundi, ou encore la rapidité avec laquelle les gens se tournent vers le traditionnel lorsqu’ils tardent à s’améliorer dans le cadre d’une prise en charge thérapeutique mderne. Quitte à prendre le médicament moderne et traditionnel de façon concomitante sur le lit de l’hôpital. Une preuve que les guérisseurs sont encore actifs et ont toujours pignon sur rue dans les soins médicaux même en milieux urbains où la médecine moderne est censée être bien installée.
Secundo, les coûts des médicaments modernes sont élevés, pénurie des devises oblige. La médecine traditionnelle se présente comme pneu de secours. Tertio, il existe chez certains patients la volonté d’essayer des traitements alternatifs contre des agents pathogènes résistants aux médicaments usuels ou contre des maladies chroniques pour lesquelles la médecine moderne prescrit une prise médicamenteuse à vie.
Il n’est pas mauvais de concilier médecine moderne et médecine traditionnelle. Toutefois, il s’agirait d’éviter de mettre la charrue avant les bœufs. Concrètement, pourquoi ne pas avoir commencé par l’implantation au sein des facultés de médecine d’un cours sur la médecine traditionnelle ? Ou alors par la création d’un laboratoire ou un centre spécialisé ?