Une pratique agricole méconnue mais extrêmement utile et très bénéfique pour les agriculteurs de la région de l’Imbo est en train de s’éteindre. Il s’agit de Madudu, l’utilisation de la traction bovine pour non seulement labourer la terre, mais aussi herser le champ, transporter les récoltes, puiser de l’eau, etc. D’où est venue cette pratique, dans quelle mesure est-t-elle vraiment utile ? Nous avons pris le bâton de pèlerin. Cap sur Gihanga.
Gihanga, province de Bubanza au nord-ouest du Burundi, la plaine s’étend à perte de vue. Si ce n’était pas le soleil de plomb et la chaleur caniculaire qui y règnent, on se croirait en Flandre, une région de la Belgique connue pour ses vastes étendues plates. On l’appelle d’ailleurs le plat pays.
Un vendredi, 11h30, aux heures où l’astre doré pique droit la terre de ses longs dards brulants, nous empruntons la RN5 qui dessert Gihanga. La verdure des champs de riz se dispute l’espace avec la brume dorée qui reflète le maïs arrivée à maturité. A partir de la 9ème avenue, de gros tas de maïs cueillis attendent d’être évacués au bord de la route. La récolte a été très bonne. Difficile d’imaginer comment on va acheminer toute cette récolte à dos d’homme vers le centre de négoce de Gihanga. Ici, il ne s’agit pas d’habitat dispersé comme le reste de la campagne du Burundi.
Au tour de l’agglomération de Gihanga, les gens vivent en villages. Les habitations sont à 3, 4, 5, voire 8 km des champs. Des hommes costauds poussent lentement, très lentement des vélos ultra-chargés de gros sacs. C’est une goutte d’eau dans un océan compte tenu des vastes étendues de maïs qui ont besoin d’être moissonnées. A la Transversale (TR) 5, nous bifurquons à droite, sur une route en terre battue. Direction : Village 2 (communément appelé V2). 10 minutes plus tard, nous voilà en train de rouler en plein milieu de la paysannerie, exactement à Murira. Les poules caquettent, les chèvres bêlent, les enfants jouent gaiement au bord de la petite route. Plus loin, deux bovins marchent lentement, en parallèle, au même rythme. Ils sont attelés, parjoug au coup, à une charrette qu’ils tirent par le biais d’un tube en fer qu’on appelle timon. La charrette est chargée de plusieurs sacs de maïs. Un salut échangé avec le conducteur juché au-devant de la charrette, et hop la conversation s’engage. Les gens de Gihanga sont accueillants, serviables et loquaces. « On voudrait parler des Madudu ». M. Léonard Ntirampeba ne se fait pas prier deux fois. Il nous invite gentiment à le suivre à sa maison. Le temps de décharger le maïs, de déharnacher ses Madudu et de les conduire dans l’étable et il est à nous. Madudu, voilà un moyen adéquat et accessible aux petits cultivateurs pour exploiter efficacement les grands espaces qu’offre la plaine de l’Imbo.
Madudu, un ancien projet de la Cogerco pour le dressage des bovins
Sous un arbre d’acacias, derrière sa maison en briques adobes, Léonard, la cinquantaine bien entamée, traits marqués par le dur labeur des champs, annonce fièrement : « J’utilise les Madudu depuis 24 ans ». Comment a-t-il eu ses Madudu ? « Les agriculteurs faisaient une demande à la Cogerco. Moi je les ai achetés à celui qui les avait eu de cette société ».
En effet, d’après une petite enquête qu’on a menée, dans le but d’accroitre la production du coton, la Compagnie de Gérance du Coton (Cogerco) avait décidé d’introduire au Burundi le dressage des bovins pour les utiliser dans l’agriculture de cette plante. Les agriculteurs de Gihanga se rappellent avec nostalgie du Centre de Dressage des Bovins qui se trouvait à la TR 6 de la RN5. Dans les années 1990, c’était un centre grouillant d’animation. Aujourd’hui, tout a été détruit. Même pas un mur encore début. On y dressait les bovins avant de les distribuer aux agriculteurs à crédit. Ces derniers payaient progressivement, avec la vente de leur coton. Tout le monde y trouvait son compte.
Madudu, une affaire très rentable
Si Léonard a déboursé une somme de 2,5 millions de BIF pour avoir une paire de Madudu qu’il change tous les 4 ans et le matériel nécessaire, c’est bien pour une raison. Un « Kido », (un champ de 60 mètre sur 60) lui prend 2 à 3h pour le labourer entièrement. « Avant, avec ma femme, moi et mes 5 enfants en âge de travailler, cela nous prenez 4 à 5 jours pour labourer un ‘’Kido’’ entier », explique le quinquagénaire. Plus intéressant encore : il n’utilise pas ses Madudu pour son usage personnel seulement. Il loue ses services aux voisins. Un « Kido » lui rapporte 50 mille Fbu et en cas de forte demande, il arrive qu’il cultive 3 « Bido » (Kido au pluriel) en 2 jours jours. Il peut donc parfois gagner 150 mille BIF en 2 jours jour. Ce n’est pas tout : ses Madudu transportent la récolte des champs vers la maison, 12 sacs par tour. Là aussi, en période de récolte, il loue ses services à raison de 1000 BIF par sac, c’est-à-dire 12 mille BIF par tour, avec un maximum de 2 tours par jour pour permettre aux bêtes de se reposer et de se nourrir. « Mes madudu, c’est comme mes enfants », susurre Léonard après deux gorgées d’eau.
Une fin en queue de poisson
Malheureusement la Cogerco a arrêté le projet. La SRDI l’aurait récupéré un temps, mais elle aussi a fini par jeter l’éponge. Des centaines et des centaines de ménages de Gihanga avaient acquis des Madudu dans le temps. Aujourd’hui, les ménages qui en possèdent encore à Gihanga se comptent sur les doigts de la main. Le matériel utilisé est devenu si rare qu’une charrette peut coûter jusqu’à 700 mille BIF. La houe, Léonard l’a achetée à 200 mille BIF. Comment font-ils pour dresser de nouveaux Madudu quand les anciens vieillissent, maintenant qu’il n’y a plus de Cogerco ou de SRDI pour les aider ? Ils se débrouillent comme ils peuvent. Il y a des gens qui ont appris à les dresser. On leur donne de l’argent et deux semaines après, nos Madudu sont prêts à « mettre la main à la pâte », indique Léonard. C’est regrettable que ce projet se soit arrêté alors qu’il était d’une importance capitale pour les agriculteurs de l’Imbo. Il était à la fois écologique, économiquement très rentable et socialement très utile car il allégeait substantiellement les travaux champêtres et ménagers (certains utilisaient les Madudu pour puiser de l’eau ce qui faisait aussi l’affaire des femmes).