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Internat : la face cachée du bizutage

Ayant été premier au concours national à notre établissement, j’ai eu droit à un lycée. Aussitôt le désir de fréquenter l’internat exprimé, aussitôt exaucé. Moi qui croyais y aller juste étudier, une surprise m’attendait là-bas. Récit.

On est en 2009. Un après-midi d’un dimanche de septembre, papa et maman sont fiers d’accompagner le nouveau séminariste que je suis. Le vieux Hammer, nom taquin qu’on avait donné à la vielle Carina de mon père, arpente les collines de Bubanza. Fier de mes 178 points obtenus au concours national, je ne me voyais pas comme n’importe qui. J’étais prêt à porter le pantalon. Maman avait pris soin de m’acheter tout ce qu’il fallait jusqu’à la plus petite des choses : l’aiguille pour coudre. 

Arrivé à l’école, la petite chapelle nous accueille à l’entrée.  Devant elle, se tient Victor. Il est de la neuvième année. Gros et court sur pattes, je descends gaillardement de la voiture vêtu en complet complet comme on disait dans notre tendre enfance. Une grosse culotte 3/4 et un gilet tous aux couleurs d’Arsenal. Après avoir payé tous les frais qu’il fallait, déposé mon argent de poche chez le préfet de discipline, mes parents partent, me laissant entre les mains de Victor l’ancien. 

Un nouveau vocabulaire

En attendant l’heure de faire entrer les affaires dans les dortoirs, Victor me fait visiter les environs du petit Séminaire. « Massacre urayizi? » (tu connais  le massacre ?), me demande-t-il. Et moi qui commence à jouer les petits Molières en essayant de trouver le sens encyclopédique du mot. Très calmement, il me répondit : « Aaanh urayibona mw’ijoro » (aaaanh tu verras ça là nuit). Ce n’est pas ma première surprise. 

À l’heure du déjeuner, j’apprends que tous les aliments vont changer de nom. Le riz s’appelle agafyisi. La banane s’appellet akayaga (vent : de part son incapacité à rester dans le ventre quelques heures après sa consommation), la pâte de manioc s’appelle ibumba (argile) etc. Le gazon même : ibiharage vya Musenyeri (les haricots de Monseigneur). Qui les piétine s’expose à une sanction. S’il est nouveau bien sûr.

« Moi tel, je m’engage à être le premier au réfectoire, de manger ma part et la part des autres », telle est aussi la promesse de consécration au réfectoire qu’on fait faire aux nouveaux avant d’aller à table.

Rencontre avec les bapware

Je ne me souviens plus de comment je me suis ou j’ai été séparé de Victor pour me retrouver aux mains des bapware de la 8ème qui se nomment eux-même les « poètes ». Mbozi, mbozi m’appellent-ils. Et j’apprends que pour répondre, je dois crier la bouche fermée, usant plus de ma gorge que de ma langue : « Uuuumrrh, uuuumrrh ». Les nouveaux du cycle supérieur (qui viennent d’intégrer l’établissement) ont eux aussi un nom plus ou moins humain : inyukama (de l’anglais new comers, nouveaux venus en français). Ils ne sont pas non plus épargnés.

Donc à la rencontre d’un mupware , c’est presque le même cirque : « Unama mbarate » (courbe toi que je te frappe). Certains frappent vraiment, d’autres miment de frapper et d’autres veulent juste s’amuser et ne frappent vraiment pas. 

L’heure du « massacre» arriva…

Ayant déjà connu assez de tortures dans la soirée du dimanche, les imbozi et les nyukama, croyons qu’au lit ce sera quand même le repos. Cri ici, cri là-bas, le massacre dont Victor m’avait parlé vient de commencer. En effet, le massacre est une pratique des anciens qui s’organisent pour frapper les bizuths la nuit. Les lits sont localisés. Ils n’ont pas droit à l’erreur. Restes des pneus de voitures, freins de motos, mains,… telles sont les armes utilisées par les « assaillants» pour nous « intégrer ».

Cette première nuit-là, j’ai un peu de chance par rapport à mes autres camarades car sur le lit à côté de moi dort un poil modéré. Il décide de me protéger et s’interpose quand ses amis viennent prolonger mon supplice comme si ça n’avait pas été suffisant.

Quid de l’intégration 

Censée être une simple initiation à une nouvelle vie, c’est dommage que dans certains établissements scolaires et académiques, l’intégration soit devenue une pratique digne d’un peuple barbare que certains qualifieraient de pratique d’un autre âge. Le souci des « intégrateurs » est-il vraiment d’initier les nouveaux ou est-ce un moyen de se défouler ?

Dans un pays qui a traversé tant de guerres civiles, et des haines ethniques qui n’en finissent jamais, le bizutage ne serait-il pas une pratique dangereuse, dans la mesure où il pourrait réveiller le vieux démon de la violence ? 

 

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Les commentaires récents (3)

  1. Moi-même ayant subi cette barbarie,je trouve que derrière cette ignominieuse pratique se cachait une haine sans nom! C’était en 2005 quand je réussis au concours national.Mais puisque nous étions en Tanzanie 🇹🇿 dans le camp de réfugiés,je n’ai pas eu l’occasion de fréquenter une école à régime d’internat.Mais là-bas aussi,le bizutage faisait rage!On nous battait comme des condamnés à mort, même en présence des autorités et des enseignants!Mon calvaire fut compliqué par ceux qui voulaient en découdre avec mon grand frère,qui était un des abapoils les plus virulents de l’établissement !Donc j’étais repéré par tout le monde!Mais mon grand frère est venu me secourir.
    En 2007,nous sommes retournés au pays natal !Je devais alors fréquenter le Collège Communal le plus proche. Les traitements que je reçut le premier jour de la rentrée scolaire m’ont poussé de penser à regagner encore le camp des réfugiés,mais j’ai tout accepté !Ce qui m’a le plus choqué,c’est j’ai été battu et humilié par des petits garçons qui redoublaient en 7è année,alors que moi j’étais en 9è🤔🤔🤔!Et j’ai fini par détester cette pratique ignoble, implorant le Seigneur Tout-puissant que je ne sois pas orienté dans un lycée où on pratiquait encore le bizutage!
    Ma prière fut exaucée et je fus orienté à l’Ecole Paramédicale, où je fus accueilli avec amour et gentillesse,car le bizutage y était strictement interdit 👏👏👏!