Il y a plus d’un an, les enfants en situation de rue avaient été rassemblés et envoyés à Cankuzo, précisément à Munzenze. Mais les voilà de retour. Leurs silhouettes frêles hantent les trottoirs à l’aube, leurs corps s’entassent dans les caniveaux à la tombée de la nuit. Ce retour soulève une série de questions : s’agit-il des mêmes enfants que l’on croyait avoir mis à l’abri ? Le programme a-t-il échoué ? Ou assistons-nous à une nouvelle vague de détresse sociale ? Ce blogueur s’interroge.
L’air frais de l’aube à Gitega charrie plus que la rosée matinale. Il transporte le souffle de vies brisées. Il y a plus d’un an, une décision courageuse et pleine d’espoir avait été prise : celle de retirer les enfants en situation de rue de la capitale économique, de la capitale politique et d’autres villes, pour les orienter vers un centre de rééducation situé à Munzenze, dans la commune de Mishiha, ancienne province de Cankuzo, aujourd’hui Buhumuza.
L’initiative, saluée par beaucoup, promettait un nouveau départ : une chance de réinsertion pour des centaines de mineurs dont l’enfance se consumait sur l’asphalte. Pourtant, aujourd’hui, le spectacle est troublant, voire déchirant. Ces jeunes visages, souvent marqués par la faim et un manque de sommeil, sont de retour. Ils errent, en quête d’un abri, d’un morceau de pain, d’un peu de chaleur humaine. Que s’est-il réellement passé ? Et surtout, qu’en est-il des engagements pris à leur égard ?
Cankuzo, une réinsertion qui tourne court ?
Lorsque le programme de Cankuzo a été lancé, l’espoir était de mise. On imaginait des éducateurs dévoués, des formations adaptées, un accompagnement psychologique, un chemin vers une vie meilleure. Mais la réalité semble avoir pris une tout autre tournure.
Le retour de ces enfants dans les rues de Gitega, souvent les mêmes que ceux que l’on avait vu partir, soulève de sérieuses interrogations sur l’efficacité de l’initiative. Ont-ils fui le centre ? L’initiative a-t-elle manqué de moyens, de personnel, d’une vision à long terme ou d’un suivi ? Les témoignages de ceux qui sont revenus sont rares et fragmentés, mais leur seule présence suffit à alerter. Certains évoquent des conditions de vie difficiles, un manque d’accompagnement personnalisé, une adaptation complexe à un environnement qui, bien qu’encadré, n’a peut-être pas su répondre à leurs besoins profonds, souvent liés à des traumatismes.
Il est impératif de faire toute la lumière sur ce qui n’a pas marché à Cankuzo. Une évaluation transparente et rigoureuse est indispensable pour comprendre les lacunes du programme et identifier les causes de ce « retour à la case départ ». Sans cette analyse critique, toute nouvelle initiative sera vouée à l’échec. La réinsertion des enfants en situation de rue ne peut se réduire à un simple déplacement géographique, elle exige une approche holistique, intégrant un accompagnement psychosocial, éducatif et professionnel durable.
Face à l’urgence sociale, une politique de l’enfance à repenser
Le retour des enfants de Cankuzo et l’apparition de nouveaux visages dans les rues de Gitega, de Bujumbura et d’autres villes du pays est un signal alarmant. Cette situation met en lumière l’absence de mécanismes de prévention et de structures de soutien familial efficaces. La pauvreté, la perte des parents, les violences domestiques poussent ces enfants vers la rue, qu’ils perçoivent comme leur seul refuge.
Il est essentiel d’aller au-delà des solutions temporaires. Le Burundi a besoin d’une politique publique de protection de l’enfance solide, cohérente et coordonnée. Cela suppose des centres de réinsertion bien dotés en ressources humaines et matérielles, des programmes de soutien aux familles vulnérables, ainsi qu’une large campagne de sensibilisation communautaire. Ces enfants représentent l’avenir du Burundi : Burundi bw’ejo, dans la vision 2040-2060. Ils interpellent notre solidarité. Leur véritable réinsertion nécessite dignité, écoute et respect de leurs droits.
En fin de compte, la question n’est plus de savoir si les enfants de Gitega sont « revenus » de Cankuzo ou s’il s’agit de nouveaux visages de la misère. Ce débat masque une réalité plus profonde : le cycle de l’abandon social continue. Nous devons interroger notre capacité collective, gouvernants et citoyens, à briser cette spirale.
L’histoire de ces enfants résonne dangereusement avec d’autres réalités régionales. À Kinshasa, les « Kuluna » sont passés d’enfants en situation de rue à bandes organisées. À Port-au-Prince, les « Gangas » sont nés du chaos et de l’indifférence. Le Burundi ne peut ignorer cette menace.
Chaque enfant dormant dans un caniveau à Gitega ou à Bujumbura est une promesse d’avenir qui s’éteint, une alerte silencieuse. Leur détresse n’est pas seulement un échec social ; elle est le miroir d’une crise morale profonde. Les lumières de nos capitales brillent-elles si fort qu’elles nous empêchent de voir ces jeunes vies en perdition — ou avons-nous simplement choisi de détouner le regard ?