Les petites pilules bleues font des miracles, paraît-il. Destinées à ceux qui souffrent de troubles érectiles, ces précieux comprimés, censés booster une libido défaillante, sont en vente libre dans les pharmacies de Bujumbura et de l’intérieur du pays. Faciles d’accès, la “potion magique” se vend comme des petits pains. Pire, certains jeunes en seraient devenus accro, ce qui n’est pas sans conséquences. Nous avons mené l’enquête.
Je suis d’âge mûr, pour ne pas dire plus. Avant ma dernière mission, je n’avais pas encore vu le fameux viagra, sauf sur internet. Mais tout ça, c’était avant. Récemment, un supérieur m’a demandé de faire le tour des pharmacies pour vérifier l’état de la commercialisation de ce remède miracle. Je ne lui en tiens pas rigueur, c’était pour les besoins de la cause. Par ailleurs, j’aime ce genre de challenges.
Le papier étant en souffrance depuis quelques semaines, je décide de partir à la “chasse au trésor” après les heures de boulot. Les déplacements à Bujumbura étant ce qu’ils sont, j’ai la chance de tomber sur un lift qui me dépose dans mon quartier de résidence aux environs de 17 heures. Le problème avec cette histoire, c’est qu’il est assez gênant d’aller acheter du Viagra là où l’on a ses habitudes. Pire encore, je suis célibataire. Si, par malheur, le pharmacien raconte que j’achète fréquemment du Viagra à une fille sur laquelle je compte faire main basse (excusez l’expression, c’est pour pimenter l’article), l’affaire est morte ! Ne parlons même pas du fait que le pharmacien pourrait en parler à une sœur ou une cousine. Connaissant mes proches, je passerais pour un pervers et l’épisode me hanterait pendant une décennie !
4 000 BIF pour une nuit de galipettes non-stop
Bon bref, après toutes ces réflexions, je me dirige vers le marché de Musaga, où je repère une pharmacie où le vendeur est un homme (de quoi faciliter les échanges). Je me lance : « Nashaka wa muti usubiza abagabo ku buriri ». Je réprime un éclat de rire en m’entendant moi-même prononcer cette phrase teintée d’une pudeur feinte. Mon interlocuteur ne laisse poindre aucun sourire. « Ego, ni 4000 BIF», me répond-il, d’un ton neutre, comme s’il me vendait un savon ou un stylo. Je relève qu’il ne me demande pas d’ordonnance. Je sors vite deux billets de 2 000 BIF et je paie. Il me tend une plaquette de 4 comprimés en forme de losange, de couleur bleue. Je tente une question d’une voix basse : « Je les prends comment ? ». A quoi il répond du tac au tac: « Tu en prends deux, 30 minutes avant de… passer à l’acte » avant de se remettre à pianoter sur son smartphone. Aucun avertissement ni contre-indication ! Je l’observe quelques secondes, puis j’ose une autre question : « Ces comprimés se vendent-ils souvent ? ». Il relève immédiatement le menton et me regarde attentivement. Je viens d’attirer son attention. Avec un air soupçonneux, il grogne : « Bah, tu n’es pas le seul à en avoir besoin », et il continue à m’observer.
Je lui fais savoir que je suis journaliste, ce qui détend l’atmosphère, à ma grande surprise. « Je pensais que tu cherchais des ennuis ! Tu travailles pour quelle radio ? Yaga ? Je connais… sur Facebook. » J’enchaîne : « Qui sont les acheteurs ? ». Il répond, un peu plus prudent, que ce sont des hommes d’âge mûr, mais aussi et surtout des jeunes. Je sors la grande artillerie : « Ça marche au moins, ce truc ? ». Il esquisse un sourire avant de rétorquer, rassurant : « Tu ne vas pas te plaindre ». Je sens qu’il n’est pas à l’aise et je sors de la pharmacie pour aller voir ailleurs.
« On vend aux diabétiques »
Je marche sur une centaine de mètres avant de trouver une autre pharmacie. Là aussi, le vendeur est un homme. Après les salutations de rigueur, je lâche une autre phrase énigmatique qui m’étonne moi-même : « Nashaka wa muti utuma umugabo akora neza ». Il répond rapidement que c’est 4 000 BIF, et me tend la même plaquette que celle que j’ai déjà en poche. Même posologie, même mutisme. Je tente une dernière question : « Nanyoye inzoga, si bibi kuwufata ? ». Surpris, il me conseille de ne pas prendre d’alcool ni de drogue avant d’avaler les comprimés. Je m’éclipse au moment où un autre client entre dans la boutique. Je suis maintenant près de la 12è avenue de Kinanira, non loin de la bifurcation qui continue vers Kanyosha. Plus loin, je repère une autre pharmacie, mais cette fois-ci c’est une femme qui me reçoit avec un sourire au comptoir. J’opte pour une approche différente. Je me présente et précise que je suis journaliste, à la recherche d’informations sur la vente de médicaments aphrodisiaques. La dame m’écoute en silence et me demande ce que je veux savoir. « Ceux qui viennent les acheter ? Ce sont surtout des hommes. Nous, on ne les vend pas aux jeunes. Seulement aux hommes qui présentent une ordonnance médicale ou aux diabétiques qui peuvent le prouver. Le prix ? C’est 750 BIF par comprimé, 3 000 BIF pour la plaquette. » Je sens que ses réponses sont mesurées. Je la remercie avant de quitter les lieux.
Savoir faire profil bas
Dans une troisième pharmacie, je décide d’adopter ce que j’appelle la méthode choque. J’entre, je me tiens devant une femme trentenaire derrière un comptoir blanc et, sans ménagement, je lui demande : « Murafise viagra ? ». La pauvre n’en croit pas ses oreilles et me fixe, abasourdie, avant de me lancer un « NON » très sec, visiblement choquée par ma manière brusque. Le viagra, il y en a sûrement. Il était disponible dans toutes les pharmacies que j’ai visitées. Morale de l’histoire : pour acheter paisiblement la pilule bleue, il faut « y aller doucement », c’est-à-dire être délicat et faire profil bas.
Il est maintenant 19 heures. La fatigue commence à se faire sentir. Je décide de rentrer, mes deux plaquettes de viagra en poche. J’espère que la cheffe me remboursera l’argent que je viens de dépenser. Mais maintenant, j’ai un autre problème sur les bras : que vais-je faire de mes deux plaquettes ?
Yaga ecrit moi , j ai un contenu á vs donner pour travailler desus