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Carnet de voyage : sur les routes du nord

Ne cherchez pas loin, sur les routes du nord est une simple expérience d’un gars qui vient de faire une virée au nord du pays. Découvrir de nouveaux coins est déjà passionnant. Mais quand, en plus de ça, vous tombez sur des gens très enthousiastes, accueillants et plein de bienveillance, le voyage devient inoubliable. Parfois, une envie irrésistible d’immortaliser ces moments vous prend à la gorge. Et, comme je ne suis pas photographe…Vous avez deviné. 

Vous pouvez toujours essayer de conter les beautés de Ngozi, mais vous n’égalerez jamais Saidi Brazza, parti précocement au grand dam des amateurs de la bonne musique. Ce virtuose, qui a caressé ma jeunesse avec ses mélodies, avait sa manière à lui de malaxer les mots pour en faire une poésie si captivante que j’ai presque honte de prendre une plume pour parler des sols que ses pieds ont foulés. ‘’Kugasaka’’, ce sonnet parfait traduit cet amour incommensurable qu’il avait pour cette terre qui l’a vu naître. Mais quel rapport, vous dites-vous, sûrement. Aahh oui, j’allais vous dire que j’ai écouté ce morceau en boucle de Bujumbura à Ngozi, pour trouver l’inspiration. Et quand je suis arrivé tout près du rond-point, j’ai crié au chauffeur : ‘’Unsige kuri province’’

En fait le bureau provincial de Ngozi jouxte ce lieu mythique et symbolique que Saidi Brazza chante avec tant d’adoration. Quelques minutes de recueillement silencieux devant ce symbole de la mythologie burundaise, et voilà ma curiosité assouvie. Tout ça a chamboulé l’agencement de mon billet. Commençons donc par le commencement. 

Au commencement, c’était une mission de routine

Un mercredi donc, je quitte mon bureau pour me rendre au nord du pays où je devais passer deux ou trois jours pour faire ce que je fais depuis plus de 18 ans, c’est-à-dire raconter (pas de bobards), mais des histoires. Un gars à moi qui passait par là, me propose de me déposer. Soiffard qu’il est, je sens qu’il va m’en proposer une pour la route. 

Direction gare du nord, il faut tout de même rester près de la route pour ne pas oublier que je voyage. Difficile de se garer à la gare du nord, route protocolaire exige. Nous allons à quelques mètres de la route, après s’être assuré qu’il y a bien une chèvre pendue, tête en bas. Bon bref, on s’en jette une…non deux. Et je m’arrache au sens propre du terme, car connaissant mon ami, il pourrait m’embarquer dans une beuverie jusqu’au lendemain. Un chauffeur de Jeep, me propose de me prendre contre bien sûr une rémunération. Cela fait mes affaires, car chaque fois que je peux éviter de voyager en Probox, je le fais volontiers. Ces petites voitures, qui roulent à tombeau ouvert, sont toujours bondées. Arriver sain et sauf à destination, c’est possible, mais arriver avec des habits toujours propres, jamais !

Un paysage jauni

Nous grimpons les montagnes abruptes de Bugarama sans problème, le Jeep est en bon état et le chauffeur est très fier de son bolide. En cours de route, il nous raconte tout de son véhicule : l’année de fabrication, comment il l’a sorti tout neuf du garage Toyota, la façon dont le rodage s’est passé, le jour où il a eu un accident avec, etc. Assis à côté de lui, j’écoute religieusement tout ce qu’il dit, tellement il en parle avec enthousiasme. 

Bon, voilà qu’on est déjà à Bugarama. Nous n’achetons rien aux vendeurs ambulant qui courent sur plusieurs mètres derrières notre véhicule. Un passager lance que Bugarama est devenu une vaste arnaque parce tout y est devenu cher, bien plus cher qu’à Bujumbura. Tout le monde opine, mais moi, je me tais, car je n’achète que de la bière et de la viande à Bugarama quand je m’y arrête. J’ai tout de même remarqué qu’il n’y avait pas de différence de prix entre la brochette de Bugarama et celle de Buja. 

Plus loin, mes yeux s’égarent sur le paysage montagneux du coin. Ahuri, je découvre que le vert habituel du paysage a disparu par endroit pour laisser place à une végétation jaune, parsemée de vert par endroit. Mon cerveau me rappelle rapidement que ce jaune provient des plantations de blé qui sont en train de mûrir. Voyager dans un véhicule commun comporte un inconvénient : vous ne pouvez pas vous arrêter quand vous voulez si vous n’êtes pas au volant, sinon je me serais bien arrêté pour prendre une photo. 

Bukeye, la douce

Pour une raison qu’il ne nous avait pas expliquée, le chauffeur roule vite, mais pas aussi dangereusement que les Probox. Une vingtaine de minutes plus tard, nous sommes déjà à Bukeye. Quelqu’un crie à l’arrière qu’il a une lettre à laisser à Bukeye, une façon polie pour dire qu’il voulait se soulager. Ça tombe bien, parce que les deux Beshu que j’avais avalées au départ, se sont déjà transformées en lettres que je voudrais délivrer moi aussi. J’ai le temps de remarquer que les gens de Bukeye sont polis et bienveillants quand j’entre dans un bar pour demander où est le petit coin. Une dizaine de gens, chacun en discussion serrée avec une bouteille de bière, parlant à voix douce, me salue en chœur : « Mwiriwe, mwiriwe ! ». Je leur réponds et je file au cabinet qu’un serveur m’indique. 

Quelques minutes plus tard, l’homme au volant reprend la route. J’ai le temps d’acheter une petite Energie que je regarde avec un œil compatissant. J’aurais voulu m’acheter une autre Beshu, mais il faut acheter la bière et la bouteille. Et si la bière est devenue chère ces derniers jours, les bouteilles sont encore plus chères.  

Kayanza, le business dans la peau

Pourquoi la ville de Kayanza est toujours bondée la journée ? Ce n’est pas sorcier, les gens viennent pour faire du business. Petits et grands, hommes et femmes, tous carburent au Fbu. Et le Fbu ne les boude pas. C’est pourquoi Kayanza est le berceau des commerçants prospères. Je pense à feu Camporoto, dont la route qu’il a fait construire (la bifurcation vers le lycée Kayanza) porte toujours son nom, je pense à Arthur que je n’ai jamais connu, mais qui faisait partie des hommes riches, il y a quelques années. Je pense aussi à Albert que je connais et qui est originaire de Cibitoke qui avait la réputation d’être malin en affaires. La liste est très longue. 

Kayanza se développe à vue d’œil. Des hôtels, des maisons et des petites entreprises poussent comme des champignons. Si vous voyez donc un petit vendeur ambulant, respectez-le, car c’est peut-être un milliardaire en devenir. Je ne vais pas vous les casser encore avec Ngozi, car je vous ai expliqué comment j’y suis débarqué. Mais je dois quand même vous parler de Maridadi et Rukeco que nous avons traversées à vive allure. Ces deux localités n’ont rien d’anormal, sauf que leurs noms m’intriguent. Leurs sonorités me font toujours penser qu’ils pourraient avoir été empruntés à une langue étrangère qui a fini par être absorbée par notre cher Kirundi. Toponymistes, au travail !

Muyinga se refait une beauté

Après avoir traversé les localités poussiéreuses de Gashoho, Gasorwe, Rugari, Murama, je découvre Muyinga sous son bon jour. A Mukoni, à l’entrée de la province, les arbres formant les haies aux bords de la route semblent vouloir offrir aux visiteurs la clé de voûte de la ville de Muyinga. J’observe, je note les noms des lieux à défaut de pouvoir m’arrêter pour saluer tous ceux qui croisent mon chemin. Comme un sphinx qui renaît de ses cendres, Muyinga fait peau neuve. Les engins ronronnent en terrassant les routes partout. Le nouveau building qui abritera les bureaux provinciaux trône au milieu de la cité comme les pyramides de Gizeh veillant sur l’immensité du désert. 

Tout d’un coup, le chauffeur annonce que le niveau de carburant est dangereusement bas et qu’il doit donc fait la queue pour faire le plein. Contre mauvaise fortune bon cœur. Je décide de m’offrir une petite vadrouille au cœur de Muyinga. Je découvre de petits motels aux bars accueillants. Je flâne joyeusement dans les rues en chantiers. Je sillonne le quartier Swahili. Je reviens sur mes pas et avant d’arriver sur la route goudronnée, je m’engouffre dans un petit bar pour m’en jeter une. Sauf qu’après avoir décapsulé ma petite Beshu, mon téléphone sonne, et la voix du chauffeur tonne : on y va ! Je la bois au goulot et je cours vers mon destin. Nous fonçons vers Kinazi, Mugano, Rutongo avant d’arriver kwa Bitwi, Kukabonero, et enfin, nous atteignons Kizungu où nous faisons une autre pause bière bien méritée. 

Ruzo et Rweru, pour boucler la boucle

C’est au crépuscule que nous arrivons à Giteranyi où j’avais prévu de passer la nuit, mais quand on m’a informé que le mystérieux Ruzo était à quelques encablures de là où nous étions, j’ai décidé d’aller voir à quoi il ressemble. Ruzo a l’air d’une cité naissant de nulle part. On est pris d’une compassion en parcourant ses rues en terre battue. Et pour cause : Ruzo sue sang et eau pour se développer, mais il lui manque l’essentiel : l’eau, l’électricité et une route bitumée. Mais les Ruzoyens et les Ruzoyennes sont extraordinaires. On a trinqué jusqu’aux heures avancées de la nuit. A un certain moment, j’ai eu l’impression que nous nous connaissions depuis toujours. 

Je me suis glissé dans le lit le sourire aux lèvres. Mais, au lever du soleil, ma tête pesait des tonnes. Après une douche froide, me voici remis d’aplomb, prêt à vivre d’autres aventures. Impossible de faire demi-tour sans voir Rweru, ce lac qu’on dit poissonneux. Affaire vite conclue avec un motard matinal, je me remets sur la route. Le temps de zigzaguer à travers Nzove, Tura, Rukusha et Kiyove, nous voici au bord du lac Rweru. Les pêcheurs venaient d’amarrer leurs pirogues sur la rive. J’ai donc eu le temps de voir des quantités plus que satisfaisantes de poissons. Un des pêcheurs a vite attiré mon attention. Il tenait un de ses trophées de ‘’chasse’’ de la journée : un très grand Tilapia aux écailles bien saillantes. Je m’approche de lui. Quel poids ? 6 kg. Combien ? 50 mille Fbu ? Le prix a refroidi instantanément mes ardeurs. 

Une autre information a failli bouleverser mes plans : on peut rallier Kirundo en bateau à partir de là où on était. J’ai vite fait le calcul de la bourse qui me restait, j’ai constaté que j’avais déjà consommé la moitié de mes ressources alors que je n’avais encore fait que le ¼ du travail qui m’attendait. Ma fièvre aventureuse est morte à cet instant aux abords de Rweru. Je me remets vite en selle, direction : Cankuzo, mais ça, c’est une autre aventure que je vous raconterai prochainement. 

 

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