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Burundi : le cambisme de rue, une épine dans notre économie

En 2016, la BRB  ouvrait les hostilités contre les cambistes (changeurs) ambulants, accusés de « déstabiliser le marché ». Une année après,  ils semblent opérer de nouveau à visage découvert. Notre contributeur Pierre Claver Banyankiye nous parle en long et en large de ce métier informel et ses conséquences sur l’économie nationale.

En passant au centre-ville, sur les bords de la chaussée prince Louis Rwagasore, on remarque souvent  des cambistes de rue   biens habillés, avec des chaînettes et des montres en or. Téléphones portables et liasses de billets à la main, ils déambulent çà et là, à l’affût d’un moindre regard intéressé. «Change !», proposent-ils aux passants. Ils sont toujours là. Ils n’ont pas l’air inquiet. Ces monnayeurs informels manipulent d’importantes sommes en devises. Toujours est-il certain qu’ils amassent des fortunes.  

En lisant la règlementation de change de la BRB, tout est clair. « Il est interdit à toute autre personne physique ou morale non agréée à cet effet d’effectuer de telles opérations sous peine de sanctions ».  Pourtant, les opérations de change sont librement effectuées dans les rues de Bujumbura  en dehors du contrôle du circuit bancaire par des cambistes ambulants.  

Ce cambisme de rue connaît une telle ampleur que je qualifierais de « banques sur la rue », qualificatif  pour le moins convenable si je tiens compte aussi bien du volume d’opérations de change que de la diversité d’agents qui se présentent sur ce marché noir.   

Je retrace, pas d’une manière exhaustive les conséquences du cambisme de rue sur la vie du pays.

Réseaux de trafic de faux billets

Sur ce marché, beaucoup de contractants témoignent avoir acquis de faux billets, des billets troués ou déchirés, ceux dont les séries ne sont plus admises dans le circuit monétaire. En conséquence, lorsqu’un individu acquiert, lors d’une transaction de change auprès d’un cambiste, un billet comportant un défaut, elle ne peut obtenir réparation du préjudice subi. Il perd son argent.

Hausse des prix de biens et services

Je constate que le cours est  fixé par les cambistes clandestins. La preuve en est qu’ils sont les mieux offrants. Un euro s’échange actuellement à 2026 Fbu sur le marché officiel contre 3130 Fbu sur le marché noir. Un dollar américain vaut  1726 fbu, contre 2690 FBU au marché noir.

Les prix de différentes marchandises sont fixés en fonction du taux du jour. Ce taux n’est rien d’autre que le taux du dollar qui prévaut sur le marché noir. Ainsi, pour se protéger contre le risque d’inflation, les entreprises, les commerçants et les opérateurs économiques fixent les prix de leurs produits et services en fonction du taux noir et non de celui indiqué par la banque centrale, ce qui provoque une hausse des prix des biens et services.

Affaiblissement du pouvoir d’achat du consommateur 

La conséquence directe de cet alignement sur le taux du jour est la hausse des coûts des objets importés, l’importateur répercutant toutes ses charges et ses risques de change sur le consommateur final. 

Suite à ce phénomène, la population assiste à la dégradation de ses conditions de vie et à l’effritement du portefeuille. En effet, l’affaiblissement du pouvoir d’achat du consommateur résulte du fait que les prix de la plupart des produits et services sont fixés en fonction du taux de change au marché noir. 

La réduction  des  recettes  fiscales 

Le marché noir entraîne un manque à gagner  pour l’Office burundais des recettes. Le cambisme clandestin qui s’opère au Burundi échappe largement au contrôle de l’État, alors qu’il devrait constituer comme d’autres secteurs, une source de recettes. 

Par ailleurs, au-delà de cette considération, le marché noir de devises, à l’instar d’autres pratiques informelles, viole le principe à la fois général et constitutionnel de l’égalité des citoyens devant la loi. En effet, les cambistes clandestins sont source d’injustice et d’inégalités de traitement. Ils échappent à l’imposition et obligent les  cambistes formels déjà victimes de la concurrence déloyale à supporter un fardeau fiscal additionnel.

Mon humble avis, face à ce phénomène, est que l’Etat devrait restaurer les exigences de la bonne gouvernance et assurer la mise en application de la réglementation de change.  Il devrait aussi revoir cette réglementation de change et l’adapter aux réalités du pays afin de permettre à ces cambistes de rue d’ouvrir les propres bureaux de change.

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Les commentaires récents (1)

  1. L’Etat manquerait il de ressources régaliennes pour redresser ou réguler le caractère informel de ce marché cambiste?
    La description de ce phénomène laisse perplexe et l’absence des mesures coercitives des pouvoirs publics laisse a penser que l’Etat ferme les yeux sur ce phénomène ou que tout simplement l’Etat aurait légué ses pouvoirs a la rue! Si actuellement ce secteur informel et fortement lucratif est exercé par des individus bien habillés, bijoux en or, … au vu et au su de tout le monde, sans être inquiétés, ce que derrière ces individus se cachent des personnalités plus puissantes que l’Etat!… Alors que l’opinion se rappelle, il y a quelque temps, comment les policiers « régulaient » a force du matraque le marché noir de change des devises! Qu’en est il aujourd’hui?
    La BRB qui détermine la politique de change en fixant le taux officiel de change de devises par rapport au Frbu, n’intervient pas curieusement pour parier a ce dysfonctionnement constaté depuis un certain temps.
    Il s’avère, en effet, que cette politique soit lacunaire de la réalité conjoncturelle de l’économie. Si le différentiel de change entre l’Euro ou le dollar et le FBu excède 1000 Fbu (54% plus de gain!) entre le taux officiel et le marché noir, ce que ce différentiel attise plus de trafic et manœuvres frauduleuses pour se faire plus de sous sans effort; et il en résulte que ceux qui profitent de cette anarchie font tout pour la préserver. Ceux-la même qui ont la « main longue » (en opposition de la « main invisible » d’Adam Smith) feront tout ce qui est en leur pouvoir pour préserver cet état de chose.
    Si légalement, les seuls opérateurs économiques pouvant se procurer au sein de la BRB des précieuses devises au taux officiel soient des importateurs des produits vitaux de l’économie (carburant, engrais, médicaments), il s’avère, en outre que certains généraux puissants du régime puisent ces devises au taux officiel pour ensuite les déverser littéralement sur la rue, donc l’autre marché noir parallèle au marché noir connu et régulé par la BRB!
    la surenchère entre les deux marchés fait que le FBu perde inexorablement de sa valeur au grand dam du petit consommateur lambda…