Au Nord-Kivu, dans l’Est de la République démocratique du Congo, de nombreux pygmées ne veulent plus vivre de la chasse, de la pêche et de la cueillette, comme dans les temps passés. Ils veulent désormais s’adonner à l’agriculture et mener une vie sédentaire. Mais ceux qui embrassent cette option déchantent vite. Ne détenant pas de titres fonciers pour cultiver tranquillement les lopins de terre mis à leur disposition par les propriétaires terriens, ces peuples autochtones sont vite chassés des champs, souvent avant même la récolte.
Ce mardi d’août, le nommé Dudu Mobua Romain est assis sur le canapé installé devant sa maison de fortune. Dudu est un sexagénaire qui habite Isigo-Matutu, cette contée dans laquelle vivent les Bambuti [les pygmées, NDLR] dans le territoire de Lubero, en province du Nord-Kivu. Il vient de passer trois jours sans se rendre au champ. Pourtant, depuis un certain temps, Dudu Mobua Romain a déjà opté pour la culture du maïs, du manioc, du riz, des arachides et d’autres vivres.
Pygmées comme parias
« Si je me venge en utilisant la violence, l’on taxera le pygmée de tous les maux. »
Désolé, son rêve ne va plus prendre corps. Il pensait travailler dur en vue de récolter abondamment les jours suivants. Mais il a été chassé par un autre homme qui lui avait passé une portion de terre à cultiver.
« Je viens d’être chassé de mon champ par un Piri [une tribu locale, NDLR] se réclamant propriétaire de la concession dont j’exploitais une petite partie, raconte Dudu. Quelques mois avant la récolte, j’ai été contraint de quitter mon champ. Ici chez nous, un Mbuti peut cultiver un champ pour y être chassé quelques jours après. Cela ressemble à une sous-estimation dont nous sommes victimes de la part d’autres communautés avec lesquelles nous vivons », se plaint Dudu Mobua Romain. Se sentant lésé, il ne décolère pas : « Et si je me venge en utilisant la violence, l’on taxera le pygmée de tous les maux. »
Nombreux sont les pygmées dans la région à s’être tournés vers l’agriculture. Mais avec l’instabilité foncière, ils se sont découragés. Dans d’autres villages, on voit des pygmées être chassés des champs et qualifiés de voleurs. Il apparaît alors qu’on leur refuse le droit à un champ comme on empêcherait des bêtes sauvages de s’installer sur une propriété. C’est un refus délibéré de les faire vivre dans conditions dignes.
L’impossibilité d’une terre
« La poussée démographique alimente l’étouffement des autochtones »
« Depuis l’époque coloniale jusqu’à ce jour, les pygmées ont perdu le contrôle de leurs terres par des mécanismes subtils, constate Kahindo Kambalume, enseignant d’histoire et universitaire de la ville de Butembo. On peut notamment citer les expulsions pour création et extension des parcs nationaux, la spoliation de leurs terres pour l’installation des industries minières ou encore l’interdiction d’accès aux forêts classées réserves naturelles. La poussée démographique consécutive à l’arrivée massive des étrangers sur le sol des pygmées alimente aussi ce phénomène d’étouffement des autochtones », ajoute-t-il.
Ainsi, selon ce scientifique, les peuples autochtones ont toujours beaucoup de difficulté à acquérir des terres face à d’autres communautés tribales aussi laborieuses. « Nous avons fait le choix de vivre de la houe et de la machette, de travailler le champ, témoigne Kilyopa Laumba, un pygmée qui précise avoir passé plusieurs années en secteur Ruwenzori. Sauf que nous butons face au manque de champs. Ici à Bahatsa, en localité de Kyavikere en territoire de Beni, nous nous en remettons aux chefs de nos entités de base pour qu’ils nous tirent d’affaire ».
Combat indispensable
« Dudu Mobua Romain aime se faire photographier aux côtés des autres membres de sa famille car le combat qu’il mène est le leur, affirme Elie Muhindo, un membre du bureau de liaison de la fédération des organisations des producteurs agricoles du Congo à Butembo ayant participé à plusieurs ateliers sur l’agriculture avec Dudu. Dudu fait partie des rares pygmées à avoir très vite compris que la chasse, la pêche et la cueillette avaient perdu de leur superbe face aux différents défis que leur a lancé la société moderne ».
Face à ces défis énormes, l’association paysanne pour la réhabilitation et la protection des pygmées, PREPPYG en sigle, a déjà peaufiné un certain nombre de stratégies pouvant offrir une stabilité foncière aux pygmées. « La première stratégie consiste en la dotation d’un champ aux pygmées, explique Butelezi Kakevire, secrétaire exécutif de PREPPYG. Tout part d’un échange avec un propriétaire terrien qui finit à la longue par accepter que les pygmées travaillent sur telle ou telle étendue de terre. L’étape suivante consiste au bornage et à la dotation d’un titre foncier. De cette manière, les pygmées seront reconnus comme propriétaires avérés d’une terre donnée ». Il précise que cette seconde approche consiste à borner les forêts en faveur des pygmées.
Ces stratégies, bien que difficiles à mettre en place, apparaissent aujourd’hui indispensables pour contrecarrer l’étouffement de ces populations et l’annihilement de leur intégrité.