Imaginez un banquet où tout le monde est invité, mais au lieu de servir des plats succulents, on ne trouve qu’une table vide. Pourtant, tout le monde reste assis, intrigué, non par ce qu’il y a à manger (puisqu’il n’y a rien), mais par l’enveloppe qu’on distribue à l’entrée ou par la photo avec la star du banquet à la fin. Voilà la réalité de certaines formations et conférences au Burundi. Coup de gueule.
C’est un mardi, à Gitega. Je me retrouve dans un atelier organisé par un ministère, donc financé par le contribuable ou par un bailleur généreux (je n’en sais rien). Comme à l’accoutumée, un officiel débarque, prononce un discours d’ouverture, puis disparaît aussitôt après le petit-déjeuner. Il repart, laissant derrière lui une pièce pleine de participants vaguement intéressés.
Au fur et à mesure du déroulement des modules, l’engouement et l’intérêt commencent à baisser. Mais laissez-moi vous dire, sans mentir, que l’atelier était si intéressant que le fait d’y participer était un honneur pour moi. Les intervenants étaient au top. Curieusement, au moment des recommandations et des pistes de solutions, les participants sont presque tous plongés dans leurs téléphones et ordinateurs, comme des zombies. En face, le facilitateur, courageux mais désespéré, essaie tant bien que mal de captiver l’audience. Il échoue.
Je suis choqué en jetant un coup d’œil au budget de cette formation. La scène ressemble à une pièce de théâtre où les acteurs lisent des scripts différents, sans jamais regarder le public. Une belle danse bien rodée, mais mal chorégraphiée. Si on distribuait des médailles pour la passivité en atelier, le Burundi serait champion du monde, vu le nombre de têtes baissées sur des téléphones, des regards dans le vide et des départs en douce avant la fin de l’atelier.
Le sacro-saint retard : un art national
Aucune formation, presque aucune, ne commence à l’heure. Le retard est si intégré dans l’agenda burundais qu’il pourrait presque figurer comme un point officiel sur le programme comme-suit : 8h00 à 9h30 : attente des retardataires, 9h30 : ouverture de l’atelier par l’autorité… qui arrivera à 10h30. Et pourquoi l’officiel se presserait ? Il est rarement intéressé par ce qui va être dit dans cet atelier. Il n’est là que pour sa visibilité et pour l’enveloppe qu’il empochera à la fin de son discours. Et si l’officiel n’est pas intéressé, qui suis-je pour rester captivé ?
Soyons honnêtes
Côté participants, leur passion ne réside pas dans les PowerPoint ou les modules de formation. Leur vraie motivation, c’est le perdiem. Voilà pourquoi un fonctionnaire heureux dans le secteur public est souvent celui qui est toujours sur le terrain ou dans des ateliers de formation à l’intérieur du pays. La conjoncture économique actuelle l’explique.
Tant qu’un participant sait qu’il va empocher de l’argent, sa participation active importe peu. Il va même promettre de verser la dîme à son chef hiérarchique pour figurer sur la liste des participants. Raison pour laquelle il n’est pas rare de voir des gens quitter un atelier sans avoir dit un mot, sans lever le doigt pour poser une question ou contribuer.
Côté journalistes, même présents, ils sont absents. Si l’organisateur de la formation n’a pas payé un publireportage, les auditeurs devront se contenter de miettes. Après la prise des photos lors de l’ouverture, ces derniers ne suivent plus rien, restant scotchés à leurs téléphones, et se contentent de récupérer les discours et exposés pour constituer leurs articles. Les connaissances exprimées pendant les débats et discussions, au lieu d’être disséminées par les médias, finissent oubliées dans un coin des esprits aiguisés qui finiront par partir à l’étranger ou resteront enfermées dans un tiroir à jamais clos.
Un éléphant dans la pièce
Certains ateliers de formation et conférences sont devenus des rites sans âme, des spectacles où l’argent coule à flots, mais où les idées restent à sec. Les recommandations s’empilent comme de vieilles lettres qu’on n’ouvrira jamais. Chaque atelier produit son lot de solutions, mais rien ne change en réalité.
Il est temps de transformer ces formations en quelque chose de réellement engageant. Pourquoi ne pas organiser des sessions interactives ? Pourquoi les officiels ne s’approprient-ils pas les débats et recommandations pour donner l’exemple ? Pourquoi ne pas inclure des ateliers pratiques qui obligent les participants à se lever, réfléchir, créer ? Pourquoi ne pas repenser le système de perdiem pour récompenser l’implication réelle plutôt que la simple présence physique ?
Si rien ne change, les formations et conférences resteront ce qu’elles sont : un festin sans nourriture, un spectacle où tout le monde joue son rôle, mais où personne n’écoute réellement.