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Affaire Emilienne : la justice, quoi qu’il advienne

Plus d’une année que la secrétaire qui avait accusé le directeur du Lycée Christ-Roi de Mushasha d’abuser sexuellement de ses élèves croupit dans les geôles de Gitega. Si les instances inférieures l’avaient condamnée à 5 ans de servitude pénale et au versement de 5 millions Fbu de dommages et intérêts, l’intéressée n’a jamais faibli sur sa ligne de défense. Jusqu’à ce qu’un doute vienne se glisser entre elle et ses avocats ce 13 juin 2024 alors que l’affaire est prise en délibéré. Un revirement de dernière minute ? Reportage.

L’astre doré est bien haut quand nous atterrissons à la prison de Gitega. L’appréhension est à son comble quand nous essayons de franchir la petite barrière de la prison proche de la salle exiguë attenante à la prison où aura lieu le procès. La dernière fois, on a failli se faire éjecter de la salle d’audience à la demande de la partie adverse. Un gardien très à cheval avec le règlement nous interpelle à la barrière : « Vous allez où comme ça ?». « Je viens pour une audience publique ». « Tu es avocat ? ». «Non, mais je suis avec Me Michella». C’est fou ce qu’un nom d’un juriste peut t’ouvrir une porte blindée. L’agent ouvre la barrière et me montre  de lui-même le bâtiment dans lequel Me Michella se trouve. Je n’avais même pas de rendez-vous avec elle. Mais, d’une extrême affabilité, elle me donne un siège et me briefe même sur un problème qui risque de mettre à mal toute sa ligne de défense. « Emilienne veut retirer la plainte en appel ». Je manque d’avaler mon calepin et mon stylo. Retirer sa plainte ? Mais pourquoi ? Elle me met au parfum. Avec le temps qu’elle vient de passer en prison, et la campagne de libération pour ceux qui ont déjà purgé le quart de la peine infligée, elle pense pouvoir sortir rapidement si elle retire sa plainte et sollicite une libération conditionnelle.

Sauf que si elle procède ainsi, elle reconnaît avoir tort et donc avoir proféré des dénonciations calomnieuses. Bref, un aveu de culpabilité. Cette pilule passe mal chez ses avocats. L’un d’eux, ayant eu vent de ce retournement de situation, n’a même pas fait le déplacement pour Gitega. Seule Me Michella essaie de rallumer la flamme.  En même temps, il faut comprendre à quel point l’emprisonnement pèse lourd, surtout pour une dame qui a perdu son boulot en plus. Quand nous approchons de la petite salle d’audience, Emilienne est en conversation au téléphone avec son avocat resté à Bujumbura. Après une demi-heure de  palabre, elle retrouve de la combativité. Me Michella se charge ensuite de lui inculquer les grandes lignes de la défense.

De la cordialité entre les parties, mais pas à la barre…

Le procès commence aux environs de 13h. Alors qu’Emilienne attend son tour à l’extérieur, son mari qui est déjà dans la petite salle lui fait signe d’entrer. Le président du siège veut s’assurer qu’elle est bien présente. Or, à ce moment, les avocates des deux parties se sont éclipsées parce qu’une d’elles a oublié sa toge. Elles se rendent ensemble  au cabinet pour la récupérer. C’est à ce moment que je manque, une fois de plus, d’avaler mon calepin. Depuis quand les avocats des parties opposées au procès se rendent de petits services ?

Cependant, quand arrive l’heure du procès, elles sont de retour, prêtes à en découdre.   Le procès démarre. Après les vérifications d’usage, le président du siège  accorde la parole aux parties. C’est Emilienne qui ouvre les hostilités et revient sur toute l’histoire de son arrestation le lendemain de sa prise de parole devant le ministre de l’Education. « J’avais averti le ministre qu’il s’agit d’une affaire délicate qui pouvait indisposer certaines personnes. J’ai sollicité de lui en parler en aparté, mais il m’a incité à parler en public. C’est pourquoi l’intention de nuire n’a pas lieu d’être dans ce procès ». Son avocat lui emboîte le pas et souligne le fait que dès le départ, son client a été présumé coupable. « Sinon, comment expliquer qu’elle a été arrêtée le lendemain? Quand est-ce que le ministère public a eu le temps d’enquêter sur les griefs contre le directeur pour conclure qu’ils étaient faux ? Par rapport à la dénonciation calomnieuse reprochée à mon client, il manque l’élément matériel et l’élément intentionnel ».

A ce moment, un policier, gardien de prison présent dans la salle attire mon attention de journaleux affamé des faits qui sortent de l’ordinaire. En pleine audience, alors que le président du siège procède à la clarification des propos qui viennent d’être tenus, l’agent sort son téléphone et passe un appel et n’hésite pas de parler à haute voix. Plus de 3 minutes de conversation et il conclut : « Sawa tuzobivugana ninaza ». Ce n’était même pas un appel urgent ! Après l’appel, il prend son AK 47 et sort de la salle nonchalamment.  

« Pas de victime, pas d’infraction »

Quand l’avocate de la partie civile prend la parole, elle s’emploie à détruire méthodiquement la défense de la partie civile. J’ai presque de l’admiration pour elle. « Emilienne a dit elle-même que depuis que le directeur a pris ses fonctions, il lui aurait dit qu’elle va en baver quoi qu’elle fasse.  Cela alors qu’il n’est pas encore question de VBGs. Toute cette histoire n’est basée que sur la rancune (inzigo) qu’elle a développée envers l’abbé. En outre, elle affirme qu’elle était responsable d’un syndicat. Cela suppose qu’elle connaissait la procédure. Pourquoi ne s’est-elle pas adressée à la direction communale de l’enseignement ? Pourquoi a-t-elle choisi le grand déballage devant le ministre alors qu’il y a des autorités hiérarchiquement supérieures ? C’est tout simplement parce qu’elle voulait couvrir de honte celui pour lequel elle garde une rancune tenace. Dans cette histoire, où sont les victimes  ? Pas de victime, pas d’infraction ».

Sur ces propos, le fameux policier sorti plus tôt regagne la salle. Il s’assoie  à côté de moi. Il écoute un instant les dénégations d’Emilienne qui rejette le propos de l’avocate, expliquant que le prêtre (qui ne s’est pas présenté à l’audience de ce jeudi) est un défroqué, qu’il était de notoriété publique qu’il aimait la compagnie de ses élèves. C’est à ce moment que le policier se fend d’un constat : « Abapadiri bakwiye guhabwa uburenganzira bwo kurongora ». Quand il s’approche pour me parler à voix basse, je sens qu’il empeste l’alcool.

La bagarre sans merci

La bagarre continue de plus belle, la partie d’Emilienne essayant de prouver que la procédure a été viciée dès le départ alors que le ministère public et la partie civile jurent, la main sur le cœur, qu’il n’y a aucune once de preuves de ce que l’autre partie avance. On tourne presqu’en rond, jusqu’à ce que l’avocate de la partie civile évoque un point qui éveille particulièrement mon attention. « Emilienne a été arrêtée avec raison pour éviter la continuation de la commission de l’infraction de dénonciation calomnieuse. Malheureusement, la commission de cette infraction continue par le biais des réseaux sociaux. Même dans la salle, il y a des journalistes qui vont diffuser le débat qui se déroule ici ». « Qui est le journaliste qui est dans la salle ? », demande le président du siège. L’avocat se retourne et pointe son doigt vers moi. Un petit moment de solitude et j’entends l’avocate reprendre la parole : « Dans la séance précédente j’ai sollicité qu’il sorte de la salle. Mais il est allé raconter tout ça sur son médium. Il a même raconté comment il a été appelé à la barre. Tout ce qui sera dit ici, il va le rapporter ». Le président du siège tempère et dit à l’avocate que ce cas aurait été traité s’il avait été soulevé au début de la séance et pas au moment où elle s’achemine vers la fin.

Sauvé par le gong

Sauvé par le gong, je me fais tout petit dans la salle. C’est la juriste qui détourne l’attention de tout l’auditoire qui a les yeux rivés sur moi.  Comme une réponse du berger à la bergère, l’avocate d’Emilienne prend la parole : « Maitre, si vous dites que l’infraction de dénonciation calomnieuse continue, on peut retourner la situation dans l’autre sens et dire que le crime de viol continue parce que l’accusé n’a jamais été arrêté ». Une nouvelle bagarre est sur le point de commencer, mais le président du siège siffle la fin de la récréation et met l’affaire en délibéré. A la sortie de l’audience, je veux savoir pourquoi l’avocate de la partie civile m’a pointé du doigt, alors qu’il y avait un autre journaliste dans la salle. De toute évidence, elle n’a pas remarqué la présence d’un confrère. Emilienne a aussi le temps de m’exprimer sa satisfaction sur le déroulement du procès. Elle estime avoir eu un temps de parole suffisant et croise les doigts en attendant la décision de la justice.

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