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[Opinion] Accord d’Arusha : et si la nouvelle génération décidait de tourner la page ?

Entre ceux qui brandissent l’Accord d’Arusha comme un texte sacré et ceux qui le relèguent au passé, une génération se lève et interroge : que reste-t-il réellement de cet héritage ? Pour des jeunes qui n’ont connu Arusha qu’à travers les livres, le texte semble figer l’ethnie, protéger une élite et ignorer les réalités économiques du pays. Et si l’heure était venue de tourner la page pour écrire notre propre histoire ?

Mettons les choses au clair dès le départ : l’auteur de ces lignes était trop jeune lorsque l’Accord d’Arusha a été signé. Sa compréhension vient des bancs de l’université et de longues heures de lecture. Et cette lecture, personnelle mais approfondie, l’a amené à se poser plusieurs questions qui l’ont profondément interpellé.  L’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation est-il encore notre boussole ? Entre une opposition qui réclame le respect « de l’esprit et de la lettre » et un pouvoir qui le juge « obsolète », le débat s’enflamme. Mon constat est que l’accord porte en lui-même les germes des blocages actuels. Peut-être est-il temps de dépasser le symbolique pour enfin écrire notre propre chapitre.

L’économie, angle mort de l’accord

L’Accord d’Arusha a diagnostiqué le conflit burundais comme étant « fondamentalement politique, avec des dimensions ethniques extrêmement importantes » (Protocole I de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi, 2000). Vrai. Mais à mon avis, il a occulté le nerf de la guerre : les enjeux économiques liés à la conquête et à la conservation du pouvoir. L’élite burundaise, politique et affairiste, a instrumentalisé le levier ethnique pour se maintenir au sommet, assurant l’accumulation de richesses et de privilèges. Les signataires n’ont pas abordé cette dimension… car beaucoup d’entre eux étaient ou font encore partie cette élite. La crise économique actuelle, sans précédent, ne fait que confirmer que ce point était crucial.

Impunité : la faille fondatrice

Soyons aussi directs : je crois que l’Accord d’Arusha a planté les graines de l’impunité qui sévit aujourd’hui. Les principaux acteurs présents autour de la table étaient aussi, pour la plupart, ceux qui avaient tenu les commandes lors des différentes crises. L’objectif inavoué n’était-il pas de se couvrir mutuellement (gukingiranira ikibaba) pour garantir un avenir paisible… pour eux-mêmes ? Imaginez un match de football où deux équipes, disons G7 et G10, se livrent à des coups bas. À la mi-temps, les coachs demandent à l’arbitre (un Nelson Mandela, par exemple) d’arrêter de distribuer des cartons, promettant de « se tenir tranquilles ». Le jeu reprend, sans sanction pour les fautes passées. Résultat : personne n’est réellement responsable, et le peuple, simple spectateur, en paie le prix. Je suis convaincu que le Burundais lambda n’a jamais été la priorité autour de cette table de négociation.

Le CNDD-FDD, le grand absent

Un autre argument difficile à contourner. Le CNDD-FDD, aujourd’hui au pouvoir, n’a pas participé au processus d’Arusha. Dès lors, comment exiger d’eux qu’ils appliquent scrupuleusement un texte alors qu’ils n’ont pas participé à son élaboration, à une époque où ils combattaient précisément pour le pouvoir en place ? Cela me paraît irréaliste.

Le plus grand problème, selon moi, réside dans l’institutionnalisation des quotas ethniques. En 2025, est-il encore pertinent d’organiser notre vie politique sur cette base ? On parle des 60 %-40 % (Hutu-Tutsi) dans les postes électifs, du 50 %-50 % dans les forces de sécurité, de 3 Twa au Parlement… Mais sur quoi reposent ces chiffres ? Sur le fameux 85-14-1 ? Or aucun recensement ethnique n’a jamais été réalisé au Burundi.  Ce système, qui cantonne notamment les Twa à une présence symbolique, est-il vraiment la clé d’une gestion moderne de la res publica ? Je m’appuie ici sur les travaux de la politologue Hanna F. Pitkin sur la représentation. Ces quotas relèvent d’une représentation « descriptive », un miroir supposé de la société burundaise. Mais l’histoire de notre pays montre que cette représentation est souvent plus symbolique que substantielle. Une fois en place, l’élite a trop souvent tendance à défendre ses propres intérêts plutôt que ceux des citoyens qu’elle prétend incarner. Même le progrès concernant les femmes (au moins 30 %) soulève une question : une femme élue représente-t-elle vraiment les femmes marginalisées… ou les intérêts de son parti ?

Arusha, un faux pilier

Pour certains, Arusha supplante même la Constitution. Pourtant, l’expert en droit international Pacifique Manirakiza a rappelé qu’un arrêt de la Cour de l’Afrique de l’Est (2021) en a fait une norme de droit interne, et non un traité international. Si Arusha figure dans la Constitution, c’est donc cette dernière qui prime, et non l’accord lui-même. L’économiste Jean Ndenzako affirme qu’abandonner Arusha a nui à notre économie en augmentant les risques pour les investisseurs. Il compare 2002-2014 (âge d’or supposé) et 2015-2025 (déclin). Mais ces périodes sont-elles vraiment aussi claires ? La période 2002-2014 correspondait-elle à une application parfaite d’Arusha ? Peut-on attribuer tous les succès économiques de cette époque à ce seul accord ? Mais surtout est-il impossible de consolider la crédibilité économique sans se raccrocher à un texte datant de 2000 ? N’avons-nous pas d’autres leviers pour rassurer les investisseurs ?

Refonder le contrat national ?

Non, je ne nie pas la valeur historique d’Arusha. Les Accords ont mis fin à une série de conflits atroces et ouvert la voie au dialogue. À ce titre, ils méritent respect. Mais près d’un quart de siècle plus tard, en tant que jeune Burundais de 2025, je suis convaincu que ce texte ne peut plus être notre unique boussole. Son processus de négociation exclusif, son silence sur l’économie, son héritage d’impunité et son institutionnalisation de l’ethnicité en font un document appartenant au passé. Notre défi n’est pas de nous enfermer dans des débats infinis sur sa « lettre », mais d’oser repenser ensemble l’avenir du Burundi. Construire une démocratie authentique, fondée sur la citoyenneté plutôt que sur les quotas, et une économie inclusive qui profite réellement à tous. L’enjeu n’est pas de ranger Arusha au placard par dépit. Il s’agit de tourner résolument la page, pour écrire, enfin, un nouveau chapitre pour notre nation.

 

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