Yaga réintroduit sa chronique hebdomadaire YagaDécodeur, qui analyse, déconstruit et explique certains termes ambigus utilisés dans notre société. Pour cette « première » publication, étudions ensemble les concepts abenegihugu et abanyagihugu, dont la connotation politique divise depuis l’avènement au pouvoir du CNDD-FDD.
Les mots umunyagihugu et umwenegihugu sont des expressions couramment utilisées dans le vocabulaire kirundi. Toutefois, depuis un certain nombre d’années, surtout après les élections de 2005, ces vocables ont fait objet d’une récupération politique intense qui prête souvent à confusion. Pour les opposants politiques, « umwenegihugu » veut dire un membre du CNDD-FDD. Ce serait un concept qui « les exclut et qui les humilient ». Pour les proches du pouvoir, c’est un vocable qui reflète le « patriotisme et la démocratie » dont ils seraient les défenseurs au Burundi.
Aux origines des mots
Umunyagihugu signifie selon l’abbé Adrien Ntabona « ceux qui sont natifs du pays, les habitants du pays». Pendant longtemps, ce terme était le plus utilisé dans le langage commun ou même dans les discours officiels. Selon toujours Ntabona, le mot « umwenegihugu » émerge dans les années quatre-vingt-dix au sein du Centre de Recherche pour l’Inculturation et le Développement ( CRID) quand il s’agissait de trouver un concept qui ressort le mieux le rôle que les nationaux étaient appelés à jouer avec la démocratisation du pays qui peinait à s’enraciner. Ainsi, Pour lui, « on va passer d’une logique de ceux qui « habitent » simplement dans le pays vers ceux qui sont propriétaires du pays, conscients qu’il faut contribuer dans l’édification de la nation. Au départ, ce concept umwenegihugu était censé sous-tendre le discours du mushingantahe, qui a son mot à dire sur les grands enjeux du pays ».
Selon le politologue Élias Sentamba, alors que le mot « umunyagihugu » renvoie à l’administré qui n’a pas voix au chapitre et subit avec résignation le pouvoir quel qu’il soit, donc un passif, umwenegihugu, lui, ne resterait pas indifférent quant à la manière dont il est gouverné. Ainsi donc, « umwenegihugu » est un « citoyen » dans le sens moderne du terme tandis que « umunyagihugu » impliquerait un degré d’assujettissement ou de passivité face à la gestion de la « Res Publica ». Dans le pays des « abanyagihugu », le système politique décide unilatéralement ce qui est bon pour les administrés, et ce en leurs lieu et place, sans les avoirs consultés ni informés préalablement.
Le citoyen « mwenegihugu » participe donc, le sujet passif « munyagihugu » subit.
Des perceptions différentes au niveau de la classe politique et des citoyens…
On notera que dans tous les discours officiels du parti au pouvoir ou des mouvements proches de celui-ci, le vocable umunyagihugu a été systématiquement élagué de leur vocabulaire. De même certains opposants ne veulent pas entendre parler de ce mot « umwenegihugu » qui pour eux exprime l’exclusion dont ils seraient victimes. Un politique de l’opposition note : « En kirundi, c’est un mot assez juste mais dans le cas présent, c’est comme si le pays appartenait exclusivement aux militants du CNDD-FDD. Avec ce terme umwenegihugu, on nous fait comprendre que le pays est leur propriété privée et que nous ne sommes pas concernés par sa gouvernance tant que nous ne voulons pas adhérer à leur idéologie ».
Ceux du Parti au pouvoir minimisent la portée de ces accusations. Un député du CNDD FDD indique : « Nous préférons parler d’umwenegihugu pour signifier que nous aimons notre pays, nous sommes des patriotes. C’est dans ce sens que nos militants participent aux projets de développement du pays alors que les autres font tout pour diffamer et détruire. Nous n’excluons personne. Même les opposants sont des benegihugu, à condition qu’ils veuillent bien aimer et construire notre Burundi. Umwenegihugu reflète le mieux la démocratie participative que nous vivons aujourd’hui ». D’autres opposants à l’usage de ce terme vont plus loin en affirmant que c’est un concept à peine voilé qui ne fait que désigner l’ethnie majoritaire au Burundi.
À la lumière des perceptions des différentes tendances politiques sur le sujet, il ressort que le problème n’est pas la signification du mot en soi mais le sens dérivé que les acteurs lui confèrent par rapport à la façon dont ils se représentent les opportunités et l’espace offert pour participer politiquement. Grammaticalement, toutes les tendances politiques reconnaissent que c’est un concept qui est plutôt positif dans la mesure où il place au centre la participation citoyenne dans la gestion de l’État. Toutefois, les récupérations partisanes, la crise de confiance entre acteurs politiques, les violences physiques et symboliques placées au centre de la conquête et de la conservation du pouvoir, auront eu raison d’un consensus autour d’un concept pourtant louable.
A relire : #YagaDécodeur : Mujeri, le politicien « galeux »
Pour moi, abenegihugu, ce sont les fils du pays grâce au prefixe Bene=fils de.
Il aurait fallu parler aussi de Abenigihugu, qui me semble plus approprié pour désigner les proprietaires ou ceux qui possèdent le pays.