La montée des eaux du lac Tanganyika revêt une allure inquiétante, cette année. Les pouvoirs publics, les experts comme les citoyens, tout le monde semble assister, impuissant, à ce phénomène. Tout ce beau monde a fait fi des multiples alertes lancées par les environnementalistes dans le passé. Il faut, certes, parer au plus pressé, mais ne faut-il pas tirer des leçons maintenant ? Yaga vous a préparé une édition spéciale.
Par Spageon Ngabo
« Quel saint pouvons-nous évoquer encore ? Qui s’apitoie encore de note sort ? Sommes-nous toujours des citoyens d’un quelconque pays qui a le devoir de nous protéger ? », devine-t-on sur les visages des habitants de Gatumba.
Ce samedi, j’ai passé plus de 4 heures à patauger dans de l’eau et la boue, à Gatumba. Je m’y étais rendu pour suivre des travaux en cours sur une parcelle de la famille. Dans les rues de cette zone, les voitures semblent perdre leur utilité. Les inondations ont pris le dessus, jusqu’à effacer même les routes. C’est seulement à pied qu’on peut traverser. J’ai été arrosé d’une pluie impitoyable, en même temps. Croyez-moi se promener là-bas n’est pas une partie de plaisir.
Les gens erraient dans tous les sens. Les hommes, les femmes comme les enfants. Certains avec des matelas, d’autres avec des ustensiles de cuisine sur leurs têtes. Nul ne semble savoir où aller. Il faut juste occuper le moindre centimètre de terrain sec que l’eau épargne encore. Mais, jusqu’à quand ?
7 vies ont déjà été perdues à cause de ces foutues intempéries. « Après la pluie, vient le bon temps », dit-on. Cet adage ne s’applique pas, ici. Désormais, chez nous, après la pluie, vient les réseaux sociaux. Les images des dommages inondent la toile. Comme quoi ces eaux ne veulent point nous laisser aucun répit. Nos champs, nos plages, nos routes et ruelles, nos cabanes et nos villas, tout est maintenant sous l’eau. Et notre port, pourquoi pas ?
Un malheur ne vient jamais seul. Voilà que la rivière Kanyosha vient d’en rajouter une couche en semant la désolation à Kibenga-Lac et aux alentours. Un bébé de 8 mois a perdu la vie, arraché du dos de sa maman par les eaux diluviennes. Jusque quand les citadins vivront ces tragédies ? Qui doit faire quoi et quand ?
L’homme averti …
Pourtant, les experts environnementalistes ont alerté depuis des années. Albert Mbonerane avertissait déjà en 2018 : « Le lac nous parle, nous ne voulons pas écouter. Les arbres nous lancent des messages, nous ne voulons pas en décoder. Le Tanganyika souffre, vous le verrez par les vomis qu’il fait à ses abords ».
D’autres voix de la société civile avaient alerté depuis longtemps, non ? Qu’avons-nous fait de leurs analyses et annonces ? Des coupables ?
Comment en est-on arrivé là ? C’est la question qu’on devrait se poser. Les pouvoirs publics ont le devoir de protéger les citoyens, dans leur personne et dans leurs biens. Au cas contraire ils échouent à leur mission. Maintenant que les dégâts sont déjà là, il faut parer au plus pressé, limiter les dégâts. La priorité doit être de protéger la vie des gens, certes. Mais se contenter de les parquer dans des sites de transit ne suffit pas. Il faut penser à leur avenir. Que vont devenir les gens qui ne pourront plus retourner dans les zones sinistrées ?
C’est bien fait, l’Etat doit lancer un appel à l’aide, il n’y a pas de honte à ça !
Après les urgences à gérer, il faudra peut-être penser à établir les responsabilités avant de tirer des leçons et se préparer pour l’avenir. S’il faut agir, c’est maintenant !
En attendant, contentons-nous, peut-être pour le moment, de cette édition spéciale de Yaga.
Inondations : des pertes humaines aggravent la situation
Les récents débordements des eaux du lac Tanganyika ont fait des dégâts dont se remettront difficilement les riverains. Derrière les chiffres et les statistiques, se cachent des vies. Des vies bouleversées, des destins brisés, des histoires poignantes des gens qui ont tout perdu. Parmi eux le petit Bryan, âgé seulement de 8 mois, mort dans la nuit du 9 avril 2024, suite aux crues de la rivière Kanyosha qui ont inondé les habitations de Kibenga-Lac. Retour sur ces événements tragiques qui ont endeuillé des familles.
Par Ghladis Ntihemuka
Samedi 13 avril, il est 13 heures. Je quitte chez moi à Kanyosha, pour aller m’enquérir de la situation des victimes des inondations. Ma destination, Kibenga-Lac. Un peu de peur au ventre, j’essaie de me rassurer. Peut-être que ce n’est pas aussi grave que ce qu’on dit sur les réseaux sociaux. Des fois, les créateurs de contenus exagèrent, me dis-je. Mais tout de même, ma mission est de rapporter les probables cas de pertes humaines. Ma petite cervelle refuse de l’admettre, mais je dois le faire. Le métier l’oblige. Je mets mes vêtements les plus sobres, vu les circonstances.
J’arrive donc à destination, mais à ma plus grande stupéfaction, le quartier est méconnaissable. Tout est dans l’eau. Des maisons détruites, d’autres en dure, mais submergées par l’eau. Les visages des gens sont pâles, les femmes pleurent. Certains enfants, innocents qu’ils sont, font des plongées dans l’eau orangée par les débris et le sol emporté par la rivière. Je ne sais pas par où commencer mon reportage, j’ai du mal à approcher les victimes, tellement de pleurs et de chagrins se lisent sur leurs visages.
Bryan, 8 mois, emporté par la rivière Kanyosha
Une source me dit qu’une jeune dame peut me dire quelque chose. Il se pourrait qu’elle ait perdu un enfant. La jeune dame se trouve assise dans un bar communément appelé « Ku ngurube». A seulement la voir, l’empathie m’envahit. Mon cœur bat si vite. Elle a l’air désemparée. A côté d’elle, deux petits enfants. Ce sont ses enfants. Du moins, ceux qui lui restent, après avoir perdu tragiquement Bryan, son bébé 8 mois.
Après un bon bout de temps de silence suivi de pleurs, Emelyne Miburo de son nom, la trentaine, accepte de se confier, passant d’abord par des lamentations :« Ese umwana wanje… Mon Byan n’avait que 8 mois. » Et de révéler qu’elle vivait dans une maison non encore achevée avec ses 3 enfants, sans mari (il les a abandonnés) sur les rives de Kanyosha, avant que la rivière n’emporte tout, son bébé avec, la nuit du 9 au 10 avril, vers 1h du matin.
« On s’est réveillé la maison complètement inondée. L’eau nous avait déjà envahis, tout avait déjà été emporté. Les enfants criaient. C’était la panique totale. J’ai pris le bébé, Bryan, je l’ai mis au dos pour aller secourir les 2 autres. Tandis que je me bâtais pour eux, un courant d’eau très fort m’a arraché mon petit du dos, et l’a emporté avec les murs de la maison. », confie-t-elle. Je retiens mon souffle et mes larmes, mais la jeune dame n’en peut plus. Elle éclate en sanglots.
J’attends un moment en silence, ne sachant que faire. Elle m’indique alors qu’elle a passé toute la journée à chercher désespérément partout, en vain. Le soir du 10 avril, elle avait perdu tout espoir de retrouver son fils en vie. Elle voulait au moins retrouver le corps. Ce n’est que deux jours après, le vendredi donc, vers le soir, qu’ils ont retrouvé le corps déjà en décomposition. « Je n’étais pas du tout soulagée, car mon petit n’était plus avec moi. J’aurais aimé l’enterrer dignement, mais les moyens et la situation ne me le permettaient pas. Je n’ai même pas fait mon deuil. Où le faire ? Puisque je suis actuellement sans abris ? Je dois me battre pour les deux restants. Mais comment ? Seul ciel sait. Je suis au bout de ma vie. », termine-t-elle, complétement abattue.
La désolation, il n’y a plus que ça
Fleurise Mugisha, 25 ans, est aussi victime de ces inondations, elle et sa famille. Habitant elle aussi à Kibenga-Lac à quelques mètres du Tanganyika, elle indique que chaque fois que la pluie tombe, c’est comme un poignard dans son cœur, car elle sait que la famille passera la nuit débout, à essayer de lutter contre les eaux du lac, sans jamais y parvenir. Mais pour cette fois-ci, elle commence à intégrer dans son cœur qu’elle ne reverra plus jamais les couleurs de sa belle maison, les murs de sa tendre chambre. « Notre maison est complétement dans l’eau. Mes parents logent partiellement dans un hôtel, et moi, je suis hébergé chez ma grande sœur. C’est très dur pour nous. »
Kibenga n’est pas la seule zone touchée par les inondations. À Gatumba et Kajaga, de nombreuses familles sont dévastées par la disparition de leurs proches. Anicet Nibaruta, secrétaire de direction chez Plateforme Nationale de Prévention des Risques et de Gestion des Catastrophes, confirme qu’il y a eu sept victimes depuis cette montée des eaux du lac et les crues de la rivière Rusizi. Les animaux aussi sont dans de mauvaises conditions. Parmi ces sept victimes, cinq ont été dévorées par les hippopotames et deux par les crocodiles.
Selon l’OMS, plus de 52 000 personnes ont été touchées par les inondations depuis le mois de mars 2021. On peut s’imaginer la courbe des statistiques actuelle. Ainsi, le Burundi figure parmi les 20 pays les plus vulnérables aux changements climatiques et est l’un des moins bien préparés pour y faire face, en raison de la gravité exceptionnelle des risques naturels.
Montée des eaux du lac Tanganyika : le chaos qui aurait pu être évité
Le Burundi connait bien des crises cette année, mais la montée des eaux du lac Tanganyika enfonce le clou. Pourtant, tout avait été révélé depuis fort longtemps, que le lac aux eaux douces allait tôt ou tard réclamer justice, et d’une façon pas très diplomatique.
Par Pacifique Bukuru
2018. Je participe dans un panel de réflexion sur le changement climatique, dans les enceintes de l’American Corner au campus Kamenge. L’honneur m’échoit de passer un bon avant midi à écouter l’ambassadeur Albert Mbonerane, avec sa voix douce, digne d’un consacré à la cause divine. Mais dans ses propos, quelques mots sèment la confusion : « Le lac nous parle, nous ne voulons pas écouter. Les arbres nous lancent des messages, nous ne voulons pas en décoder. Le Tanganyika souffre, vous le verrez par les vomis qu’il fait à ses abords.»
Pour le faire bien comprendre, il illustre cela par une petite vidéo, un film de création, montrant dans le futur, l’humain souffrant de la désertification, la nature dévastée, le manque d’oxygène, et tous les malheurs qui puissent exister. On voit l’humain le désarroi total, regretter l’héritage que ces aïeux lui ont légué.
Le sage Mbonerane a capté notre regard. Les choses sont devenues alors intéressantes et vraisemblables. Le danger est là. Il aborde alors le sujet du jour, la probable révolte imminente du lac Tanganyika, au vu de ce qui s’était passé de par l’histoire.
La tragédie qui devrait arriver
Mbonerane fait d’abord le topo de ce qui s’était passé, il y a bien longtemps. Les années 1870, cette époque est marquée par la rencontre de Stanley et Livingstone, deux explorateurs qui se sont rencontrés au Burundi, une rencontre historique qui a par ailleurs mérité un symbole en l’honneur des deux scientifiques, la pierre Livingstone et Stanley à Mugere, non loin de Bujumbura la capitale économique. Par coïncidence, le lac Tanganyika marque son premier phénomène inhabituel, voire étrange. Les eaux du lac sont montées jusqu’au niveau de la pierre Livingstone et Stanley. Heureusement, les dégâts n’ont pas été très remarquables, car jusqu’à cette zone, il n’y avait pas encore d’habitants, ni d’infrastructures considérables. L’eau a tranquillement reculé sans causer de dégâts majeurs.
Comme si cela avait été un clin d’œil, un avertissement, cinquante ans après, en 1938, le phénomène refait surface. Encore une fois, les dégâts ne sont pas assez alarmants. Ce n’est qu’en 1963, encore une cinquantaine d’année après, que les choses deviendront sérieuses. Il faut comprendre que Bujumbura est dans son accroissement, les quartiers sont en train d’être érigés. Le phénomène va alors être alarmant. Les eaux du lac sont montées à un niveau très inquiétant. Tout le quartier asiatique est dans l’eau, sans parler de Gatumba. La fureur du lac le mène jusqu’au niveau de la Radio Télévision Nationale du Burundi (RTNB), et au niveau du Chanic. La route menant vers Rumonge est inondée. C’est la panique totale.
Illico facto, une conférence d’urgence réunissant les pays qui se partagent le Tanganyika, (le Burundi, le Congo, la Zambie et la Tanzanie), sous financement de la Belgique, est convoquée à Bujumbura, du 21 au 22 avril 1964, pour évaluer l’état des lieux, et les secours d’urgence. La population affectée par les inondations est délocalisée vers Ngagara et Cibitoke, et les dégâts matériels réparés.
Pourtant, aucune leçon apprise
Au vu de ce qui s’était passé depuis les années 1878, le lac Tanganyika avait fait de son mieux pour avertir que dans un intervalle de 50 ans, ses eaux allaient monter, montrant son espace à ne pas franchir. Conformément à la convention de Rio de Janeiro de 1992 sur le changement climatique et la protection de la biodiversité et le code de l’eau qui date de 2002, des textes sont bien établis pour se protéger contre les montées des eaux.
Ainsi, il est interdit de construire ou d’ériger des infrastructures avant 150m, pas à compter depuis les rives du Tanganyika, mais à partir du dernier niveau auquel les dernières montées des eaux sont arrivées. Ici, il faut alors comprendre que, normalement, la RTNB devrait être un bon repère.
Malheureusement, force est de constater que des quartiers comme Kibenga, Kabondo ouest, Kajaga, et bien d’autres, ont été créés en connaissance des dangers imminents.
Comme l’indique Mbonerane, il n’y a encore pas de technique de dicter à l’eau de ne plus nous jouer des tours. Depuis 2020, le lac Tanganyika réclame son territoire, et contrairement aux années antérieures, les eaux ne semblent malheureusement pas retourner à la case départ. C’est peut-être un ras le bol du lac. Et si par bonheur les eaux retournaient, l’humain prendra-t-il une leçon une bonne fois pour toute ? J’en doute fort.
Montée des eaux du lac Tanganyika : quelles leçons tirer ?
Les eaux du lac Tanganyika sont en montée spectaculaire. La situation est dramatique. Ceux qui ont des maisons dans les zones submergées sont en pleine désolation. Ce n’est pas la première fois que le niveau du lac monte d’un cran. C’est un phénomène naturel cyclique, mais s’en prévenir n’est pas du tout une affaire facile. Est-ce que le rôle de l’humain n’y est pas pour quelque chose ?
Par Hervé Irankunda
Le lac d’eau douce semble être en colère ces derniers jours. Au Burundi, les habitants des quartiers côtiers vivent le désarroi. Le niveau de ce lac, qui abrite une biodiversité extrêmement riche, augmente de manière fulgurante depuis quelques années. La situation a atteint son point culminant. Les faits se sont aggravés au début de cette année 2024. Selon les experts, en l’espace de 4 mois, de janvier à avril, le niveau de l’eau est passé de 776, 26 cm à 776, 98 cm, un niveau qu’ils qualifient de pic.
Cette catastrophe a de graves conséquences. Les victimes de ces inondations se comptent par milliers. Ceux qui ont des moyens cherchent des résidences secondaires pour échapper à la situation. Les plus démunis subissent ces malheurs, ils n’y peuvent rien. Les habitants ont tenté de bloquer la progression des vagues, mais en vain. Les eaux du lac Tanganyika continuent à gagner du terrain. Les infrastructures riveraines qui contribuent dans la vie socio-économique du pays sont menacées par ces crues du lac. Certaines plages ont disparu. Les gens craignent que nous puissions bientôt dire adieu à l’atmosphère festive au bord du lac Tanganyika.
Un phénomène naturel mais…
Bien évidemment, il est très difficile de stopper un phénomène naturel comme la montée des eaux du lac Tanganyika. Résoudre la question du changement climatique, ce n’est pas du tout une simple affaire. Mais soyons conscients du rôle de la personne humaine dans tout ça. Les experts ont lancé à plusieurs reprises des cris d’alarme. Selon Albert Mbonerane, ancien ministre de l’environnement et amoureux de la nature, le chaos qui sévit actuellement sur le littoral du Tanganyika s’était déjà produit en 1964. Les habitants de Gatumba assistent aujourd’hui à une répétition de ce qui s’est passé il y a 60 ans.
Une conférence régionale a eu lieu en avril 1964 sur la question de la montée des eaux du lac Tanganyika, l’environnementaliste Mbonerane se souvient que la situation était similaire à celle d’aujourd’hui. La question principale était de savoir comment faire face à cette situation. Alors pourquoi les quatre pays partageant le lac Tanganyika ne peuvent-ils pas s’inspirer de ce qui s’est passé à l’époque ?
De la rigueur dans l’application des règlements
De plus, il est essentiel de respecter strictement les règlements en vigueur dès le départ. Il est primordial, par exemple, de maintenir une distance de 150 mètres pour protéger à la fois le lac et les riverains. Il est également indispensable d’éviter toute construction dans les zones non constructibles.
Il est impossible de ne pas remarquer la façon anarchique dont les maisons sont construites dans la ville de Bujumbura. De quoi remettre en question le rôle de l’institution en charge de l’urbanisme.
L’urbanisation de Bujumbura, caractérisée par son pavage, ses routes bitumées et l’extraction de sable et de pierres des rivières, semble être responsable de l’augmentation du niveau du lac Tanganyika. Certains pensent que ces activités contribuent à accélérer ce phénomène. Nous devrions tirer des leçons pour éviter que la catastrophe actuelle ne se reproduise à l’avenir.
Montée des eaux du lac Tanganyika : l’activité économique frappée de plein fouet
La montée des eaux du lac Tanganyika menace les activités économiques. Mis à part les investissements privés déjà touchés, les risques pourront être sévères sur l’économie du pays en cas de mise hors service des ports de Bujumbura et de Rumonge. Analyse
Par Nobel Ndirariha
Le lac Tanganyika ne décolère pas. Les eaux montent et menacent l’économie. Les activités sur différentes plages de Bujumbura sont presque toutes suspendues. Les propriétaires sont dans le désarroi. Des pertes non négligeables sont enregistrées. Cela affecte également les caisses de l’Etat. Les recettes qui devraient être perçues pour ces activités génératrices des revenus ne le sont plus.
Ce n’est pas seulement les plages. D’autres activités se déroulant près du lac Tanganyika sont paralysées. C’est le cas d’une imprimerie qui se trouve dans le quartier industriel de la zone Ngagara dans la commune de Ntahangwa. Les activités de l’imprimerie HP se trouvant sur la route de Gatumba piétinent depuis mercredi de la semaine passée, selon l’un des responsables de l’imprimerie. Cela suite au débordement des eaux de la rivière Mutimbuzi mélangées avec les eaux du lac Tanganyika. « La situation s’est empirée la veille de l’Eid-el-fitr, la fête des musulmans. L’atelier a été inondé et une grande partie des différentes sortes de papiers utilisés dans l’imprimerie a été détruite », explique-t-il, tout en ajoutant que les machines risquent d’être endommagées. Selon lui, une perte de centaines de millions est déjà enregistrée. A cela, il faut ajouter des pertes liées à l’arrêt des activités depuis mercredi. Ce n’est pas seulement ça. Depuis deux ans, il y a toujours des maçons qui sont là pour construire quelque chose pouvant aider à contraindre l’eau. « Malheureusement, cela n’a pas suffi ». Il faut également ajouter le coût des motopompes utilisées tous les jours pour chasser l’eau.
Des pertes énormes sont également signalées dans un garage de poids lourds se trouvant dans le même quartier. Il est quasi impossible pour les mécaniciens de travailler, car le terrain est quasi envahi par l’eau.
Les conséquences économiques de la montée des eaux du lac Tanganyika affectent aussi d’autres secteurs. Dans la province de Rumonge, une perte de 2 milliards de Fbu a été estimée en 2023 pour les cultivateurs de palmiers à huile, suite à l’inondation des champs de cultures par le lac Tanganyika et les eaux des rivières affluentes du lac. 200 ha de palmiers ont été inondés alors que 10 millions de Fbu est enregistrée sur un ha.
Quels risques en cas de suspension des activités aux ports de Bujumbura et de Rumonge ?
Dans une vidéo publiée le 05 avril de ce mois, le journal Burundi Eco informait que les travaux de manutention continuaient normalement au port de Bujumbura qui accueille « 10 bateaux chaque semaine ». Le déchargement des bateaux se faisait comme à l’accoutumée. Toutefois, un grand risque pourrait survenir au cas où les eaux du lac déborderaient et envahiraient la piste de déchargement. « L’accostage des bateaux et le chargement et le déchargement des marchandises seraient impossibles. Cela signifierait l’arrêt momentané des activités », explique un employé du port de Bujumbura. Cela toucherait de facto le commerce du ciment au Burundi. Le port de Bujumbura accueille une grande partie du ciment importé Une pénurie du ciment et une hausse des prix de ce produit incontournable dans la construction suivraient.
La situation économique du pays sera touchée. Au moment où le pays traverse une crise de devises, la situation pourrait s’empirer par exemple quand le port de Rumonge suspendrait ses activités. Ce dernier est connu pour avoir embarqué les produits de la Brarudi et différentes sortes de jus vers la RDC. Il n’y aurait donc pas le retour des devises que les hommes d’affaires ont tant besoin.
En plus de ces risques qui pourraient survenir, le gouvernement est contraint de débourser une cagnotte d’argent dans des activités visant à faire face à ces eaux, et à protéger les infrastructures publiques les plus menacées. Lors de sa visite au port de Bujumbura et à la station de pompage d’eau de la Regideso, Prosper Bazombanza, vice-président de la République, a révélé que 2500 litres de carburant sont consommés chaque jour par les engins utilisés pour freiner l’eau.
Une lettre au Maire de la ville de Bujumbura : sauvez-nous du déluge !
La population fait encore une fois face au déchaînement de la nature. Les citadins qui ont eu la chance de ne pas vivre les récents déferlements des eaux des pluies diluviennes ont découvert sur les réseaux sociaux les images de désolation d’une rare violence. Kibenga-Lac, Buterere, Gatumba et certaines zones riveraines du lac Tanganyika sont devenues des terres immergées. Les conséquences sont terribles, de quoi pousser ce blogueur à lancer un SOS au maire de la ville de Bujumbura.
Par Parfait Nzeyimana
M.le Maire,
C’est avec horreur qu’on a découvert les images de désolation et de chaos de Kibenga-lac, de Buterere et de Gatumba, pour ne citer que ceux-là. Les dégâts sont immenses. Les gens qui y vivaient se remettront difficilement de cette difficile épreuve. Le comble du malheur est que nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge. On devrait s’attendre au pire.
Ce n’est sûrement pas le moment de se jeter le tort, sauvons d’abord ce qui peut encore l’être. A ce sujet, à notre grande satisfaction, les travaux sont en cours pour aménager la rivière Kanyosha à l’origine des malheurs des gens de Kibenga-Lac. Tiens, Kibenga-Lac, puisqu’on en parle, appesantissons-nous un peu sur ce cas, puisque, selon moi, il représente le mal qui ronge la ville de Bujumbura depuis des années. Un mal qui est l’origine des tribulations que connaît la ville et qui, selon toujours moi, aurait pu être évité.
M. le Maire,
Kibenga-Lac est devenu un beau quartier, avec de belles maisons qui ont poussé comme des champignons. Des villas cossues, des appartements en étages, des jolis bars, des commerces, tout ça au bord du lac. C’est beau tout ça, c’est un bon espace de vie, sauf que ce développement s’est fait au mépris des règles élémentaires d’urbanismes et aux lois en vigueur. On n’a pas besoin d’avoir fait de hautes études d’urbanisme pour comprendre qu’avant de construire un nouveau quartier, il faut d’abord viabiliser l’endroit. Qui dit viabilisation, dit effectuer des travaux d’aménagement indispensables à l’urbanisation d’un terrain ou d’une zone pour le rendre habitable, donc apte à la construction. Or, à Kibenga-Lac, les rues du quartier serpentent à travers de belles maisons, pas de canalisations dignes de ce nom. Qu’est-ce que c’est que cette manie de construire d’abord et de chercher des voies de communication après ?
Peut-être que s’il y avait eu des canalisations dignes de ce nom, les dégâts auraient été moins importants. Mais encore, le Code de l’eau, dans son article 5, dispose qu’on ne doit pas construire endéans 150 m à partir du dernier niveau atteint par les eaux du lac, or Kibenga-Lac jouxte le lac Tanganyika. Pour ce quartier, cette zone tampon n’est pas respectée. Un collègue a d’ailleurs écrit un jour que pour éviter les dégâts, Gatumba, Kibenga rural, ou Nyabugete n’aurait dû jamais exister. On jette la pierre à Kibenga-Lac, pourtant les constructions anarchiques à Bujumbura sont légion. Il suffit de se rendre à Buterere, Gatunguru, la liste est très longue.
M. le Maire,
Nous savons que ce n’est pas facile de combattre la nature quand elle se rebelle. Mais cela ne doit pas nous empêcher d’anticiper. Maintenant que le mal est fait, essayez de rectifier le tir. Nous vous avons entendu lancer un appel aux gens de Gatumba de déguerpir, mais ce n’est qu’un début, nous espérons. Il faut trouver une solution durable, et nous vous croyons capable d’y arriver. Il faut penser à ces gens qui vont tout abandonner, les reloger, leur assurer un habitat décent. Ce n’est pas en les parquant dans des zones de transit que le problème sera résolu. Encore que les reloger n’est que parer à l’urgence, sortir ces gens de la détresse dans laquelle ils sont plongés. Evitez-nous le prochain déluge, M. le Maire !
Après avoir paré à l’urgence, nous vous saurions gré de trouver des solutions durables. L’aménagement du territoire fait partie des responsabilités des pouvoirs publics. Un administratif, qui voit l’installation des constructions sauvages, devrait agir sans délai, parfois contre l’avis des administrés, a fortiori s’il s’agit d’un milieu urbain. Le citoyen donne les moyens d’agir aux pouvoirs publics à travers les taxes. S’ils ne le font pas, ces derniers échouent à leur mission.
L’ampleur des dégâts a prouvé que le coût de l’inaction est très élevé. Remettre à demain ce qu’on aurait pu faire hier, voilà ce qui est en train de nous coûter cher. De par l’histoire, on sait que la montée des eaux du lac Tanganyika a atteint les environs de la RTNB, et du rond-point dit ‘’Chanic’’. On sait aussi que la montée des eaux du lac Tanganyika est cyclique, ce qui sous-entend que c’était prévisible. Si les pouvoirs publics avaient agi en conséquence, il y a quelques années, peut-être qu’on n’en serait pas là aujourd’hui.
M.le Maire,
S’il y a des villes construites sur l’eau comme Venise (Italie), Amsterdam (Pays-Bas), Bruges (Belgique), etc., on peut bien trouver un moyen d’aménager les 3 principales rivières (Ntahangwa, Muha et Kanyosha) qui traversent la ville de Bujumbura. Il faudra peut-être faire preuve d’inventivité. Sans aller jusqu’à construire un autre Arche de Noé, on peut apporter des solutions durables, et nous comptons sur vous pour nous éviter la noyade, M. le Maire.