A l’ère des droits de l’homme (et des femmes), de la conquête de l’espace (mars est dans le viseur de certaines nations) et des TIC, certaines femmes n’ont pas le droit de prendre des décisions en rapport avec la contraception. La culture burundaise contraint-t-elle les femmes à accepter, sans broncher, toute décision du mari ? Nous avons parlé avec certaines d’entre elles…
Dans une équipe composée de journalistes et d’animateurs, nous nous rendons dans la commune Mutaho, en province de Gitega. Je suis subjuguée par la beauté des lieux tout le long de la route. De beaux paysages majestueux défilent sous nos yeux. Le ciel et les nuages semblent être à notre portée. Quand nous arrivons à la colline de Nzove, des yeux tout curieux et ahuris nous suivent partout. Un peu intimidée par ces campagnards, je me résous quand même à les aborder.
J’aperçois une femme, vêtue de pagne qui avance timidement vers moi. Son caractère réticent me met la puce à l’oreille. « Amahoro » Je la salue dans l’espoir d’engager la conversation avec elle. D’emblée, elle esquisse un sourire qui trahit sa gêne et prend quelques minutes pour enfin me demander : « Comment utilise-t-on le calendrier menstruel ? ». Elle se prénomme Béa*, elle a 28 ans. Je lui conseille de se rendre dans un centre de santé pour plus d’éclaircissements. D’ailleurs, lui dis-je, calculer la période probable de fécondation grâce au calendrier menstruel est une méthode à risque parce qu’il est facile de se tromper.
« Mon mari m’a interdit d’utiliser les méthodes contraceptives modernes »
Béa ne bouge pas et reste sur place avec son demi-sourire avant de me souffler, peureuse : « Mon mari risque d’être en colère si je tombe enceinte de si tôt. » Sa voix est à peine audible mais je parviens à capter le message.
« Je vous en prie enseignez-moi cette méthode », insiste-t-elle en levant les yeux vers moi pour la première fois. Elle ajoute : « Mon mari m’a interdit d’utiliser les méthodes contraceptives modernes. » Elle m’explique que selon son époux, les méthodes contraceptives que les professionnels de santé enseignent ne sont pas fiables. En plus de l’exigence de son mari pour ne pas utiliser les moyens de contraception modernes, il ne veut pas avoir un autre enfant avant que le petit, âgé de 5 mois, n’ait grandi.
Cette femme me touche du plus profond de mon cœur. J’ai soudain l’intime devoir de lui dévoiler tout ce que je sais à propos du calendrier menstruel. Tremblotant d’émotions, elle m’explique d’abord ce qu’elle sait sur le calendrier menstruel. Je remarque quelques erreurs puis je lui montre à l’aide d’une feuille et d’un stylo comment calculer. Je m’appuie sur ses erreurs pour lui expliquer que cette méthode est sujette à des confusions. Aussi, l’abstinence dans la période de fécondation n’est pas toujours respectée par le partenaire comme me l’a relaté une femme de Makebuko, Jeanine*, 33 ans : « Nous nous étions mis d’accord avec mon partenaire sur les jours où nous devrions nous abstenir. Mais, des fois, il rentrait un peu ivre et insistait pour que nous consommions l’acte. C’est pourquoi j’ai abandonné le calendrier menstruel et opté pour les contraceptifs injectables. »
Les hommes règnent en maîtres à Mutaho
Je suis déçue par l’attitude de ces hommes qui ont trop d’exigences envers leurs femmes. Ces mêmes hommes qui mettent leurs compagnes dans des situations difficiles. Pourquoi sont-ils les premiers à jeter leur dévolu sur elles quand il advient une grossesse non désirée ou un quelconque imprévu ? C’est le cas d’Alice, 30 ans qui a mis au monde un enfant handicapé. « Iwacu ntituvyara ibimuga » (Chez nous, nous ne mettons pas au monde des handicapés, Ndlr) furent les derniers mots qu’elle a entendu de son mari avant qu’il ne prenne la poudre d’escampette, abandonnant sa femme et son fils handicapé. Cette jeune mère qui dégage de la sympathie mêlée à de la peine me confie qu’elle s’est réjouie en apprenant l’installation des cliniques mobiles dans sa colline. « C’est une occasion pour moi de me faire dépister le VIH car je crains qu’il m’ait transmis ce virus quand il vivait avec moi vu qu’il allait souvent voir ailleurs ». Cela fait une année qu’ils ne vivent plus ensemble, selon les propos d’Alice.
Des badauds s’approchent de moi quand je tiens encore la feuille et le stylo. « Dusigurire natwe » (Explique-nous aussi) demandent-ils en chœur. Je suis sceptique. Soudain, un homme, la quarantaine, murmure dans le creux de mon oreille : « Quels soins procure-t-on à ceux qui viennent de faire la vasectomie pour qu’ils demeurent normaux après l’opération ? ». La question me paraît singulière. Je lui réponds que c’est une méthode sans risque qui se déroule en milieu hospitalier et que les professionnels de santé sont là pour de plus amples informations. Mais il me répond qu’il ne pourra jamais utiliser cette méthode. Intriguée, je lui pose la question de savoir pourquoi.
Un homme, le plus âgé du groupe, qui a tendu l’oreille depuis le début de l’entretien répond brusquement : « Gupfunga burundu ku mugabo yoba ari umukoshi » (La vasectomie serait une malédiction pour un homme). Il explique sa conviction par ces mots : « Si un malheur décime tous les enfants, comment pourrait-on mettre au monde d’autres enfants ? ». Après tout, me dit-il, nous les hommes, nous sommes les maîtres de la création. J’abandonne l’idée d’argumenter contre lui.
Ces témoignages me taraudent considérablement l’esprit. Ces hommes irrespectueux et misogynes me désolent. Ceux qui exigent que leurs femmes n’utilisent pas les méthodes contraceptives modernes sont ceux-là même qui abandonnent leurs conjointes quand elles donnent naissance à un enfant. Ils considèrent qu’ils doivent décider du moment de la fécondation ou du recours à la contraception. Les femmes n’ont rien à dire, selon eux.