Les Éditions Iwacu ont récemment annoncé la vente sur Bujumbura de ce livre témoignage qui retrace le parcours de Lydia Sentamo Ininahazwe. Un récit poignant qui retrace le parcours de l’auteure qui a perdu son père et ses deux frères à l’aube de la tragédie qu’a connue le Burundi après l’assassinat du président Ndadaye.
Une jeune femme qui vous fixe des yeux, un regard légèrement en biais et surtout une expression des lèvres énigmatiques. Va-t-elle sourire ? Les anatomistes nous disent que dix sept muscles du visage sont mis en branle pour enclencher un sourire. « Lesquels sont activés chez elle sur la photo ? », que je me demande en contemplant la couverture de l’ouvrage. Le psychologue américain Paul Ekman a beau être classé parmi les personnes les plus influentes de notre siècle pour ses travaux, sa classification des dix-huit sortes sourires ne m’aide en rien.
Ce ne sont pas des circonlocutions d’une personne qui inspecte la Joconde. Dieu seul sait combien de fois j’ai interrompu ma lecture pour scruter la couverture de La cicatrice. Au fil des pages, on suit la dure odyssée de l’auteure. Une cavale familiale jonchée d’atrocités et quelques clairières d’humanité. Mais que diantre signifie ce sourire ? Je vous épargne toute psychanalyse à deux sous mais je crois y avoir décelé ce que son éditeur Antoine Kaburahe a appelé « la force de la résilience. »
Les pages de La cicatrice nous brossent l’horreur vue avec des yeux d’une enfant. À côté, Stephen King m’a paru un écrivain de contes pour enfants. La littérature nous a (malheureusement) montré tant d’autres exemples de ce genre. Plus proche de nous, dans le temps et dans l’espace, le petit Gabriel de Petit pays qui se retrouvait embarqué dans les arcanes des frictions entre hutus et tutsis.
Bien que le style littéraire choisi par Lydia Sentamo soit différent, ses confidences font penser au journal d’Anne Frank, une petite fille qui se retrouve cloîtrée pour seul sacrilège d’être née juive et qui doit se créer une amie imaginaire à qui elle se confie à travers son journal.
Le « je » de La cicatrice n’est pas non plus loin de celui de Black boy de Richard Wright, une histoire qui se passe aux États-Unis aux temps de la ségrégation. Dans son innocence, le narrateur (noir) se retrouve en train de vendre des journaux faisant l’apologie du Ku Klux Klan, un mouvement suprémaciste blanc qui proposait le lynchage des noirs.
Se défaire de la banalité d’un mal burundais
En avril 1961, la philosophe, politologue et journaliste américaine d’origine allemande Hannah Arendt a été mandatée par le New Yorker pour couvrir à Jérusalem le procès d’Adolphe Eichmann, un haut fonctionnaire nazi. Elle s’attendait à voir un monstre, un être répugnant à l’image des crimes qui lui étaient reprochés.
À sa grande surprise, elle voit un homme des plus normaux. La philosophe en elle prend le dessus sur la reporter et la pousse à développer un concept sur la méchanceté de l’homme. Qu’est-ce qui pourrait pousser un homme à commettre les actes les plus abjects ? Voici comment elle formule la réponse : la banalité du mal.
Pour Arendt, la banalité du mal, c’est l’absence de pensée, et penser, c’est juger si nos actions sont bonnes ou mauvaises, cela revient à dire que penser c’est justement écouter sa syndérèse (chez Thomas d’Aquin, la voix de notre conscience morale.) Cette expression ne disculpe pas la personne du mal qu’elle a fait, parce qu’elle n’aurait pas pensé car c’est une posture volontaire. »
Quel lien avec notre histoire en s’appuyant sur le témoignage de Lydia Sentamo ? L’assassinat à Bujumbura du président Melchior Ndadaye a suffi pour que des gens réveillent en eux ce que la philosophe appelle « la possibilité de l’inhumain ». Des voisins se sont coupés les têtes, des voisins pourtant effroyablement normaux pour reprendre l’expression d’Arendt.
Le 22 octobre 1993, les Sentamo trépignaient à l’idée des petits fours dont ils allaient se gaver pour l’anniversaire du petit Divin. Ils ne souffleront pas les bougies, ils souffriront le martyre. La banalité du mal a tué l’Ubuntu. Nous avons été sourds à la voix de la tolérance, de la cohabitation.
La cicatrice est une histoire qui sert de fenêtre pour entrevoir un pan de notre Histoire. Antoine Kaburahe l’exprime bien quand il affirme que « l’histoire de Lydia peut être dupliquée, il y a beaucoup de Lydia. » Comme l’auteure arbore sa cicatrice sur sa couverture, ce livre est une occasion d’appréhender notre passé douloureux sans complexe, ne pas céder au mirage de l’amnésie mais sans pour autant en rester esclave. Comme il est si bien dit dans le dernier paragraphe du livre, « En tant que témoins de l’innommable, nous devons avoir la force d’être parmi ceux qui proclament l’unité […] Il faut semer l’amour, c’est le seul moyen de changer le monde. »
C’est une Prologue ou bien? Donne nous au moins le résumé de cette histoire ?