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Anas Aremeyaw Anas, un modèle pour les journalistes burundais?

Au Ghana, le journaliste d’investigation Anas Aremeyaw Anas, célèbre pour avoir enquêté pendant une dizaine d’années caché derrière un masque, est devenu un très influent leader d’opinion, avec raison. Ses investigations , comme le récent documentaire Number 12, n’épargnent pas les puissants de son pays. Une inspiration pour les professionnels des médias burundais.

Dans la grande salle du Centre International de Conférence de la capitale ghanéenne défilent sur l’écran géant installé pour la circonstance des images montrant de l’argent frais circulant dans le milieu du football ghanéen. En sachet ou dans des emballages « take away », des liasses de cedis local ou de dollars US sont remis à des arbitres ou à des responsables du football censés, en retour, influencer des matches au profit de certaines équipes, faciliter l’obtention de visas à des jeunes joueurs ou de simples migrants cherchant à se glisser parmi les sportifs pour rejoindre l’Australie ou l’Europe. On y voit même le président de la fédération ghanéenne de football et aussi vice-président de la Confédération africaine de football, Kwesi Nyantakyi, promettre de juteuses affaires à un « homme d’affaires » (en réalité un journaliste déguisé ainsi), pourvu que ce dernier avance 15 millions de dollars US pour arroser des hommes politiques du pays, à commencer par le président du pays et son adjoint. Au fil des images, résonnent, dans la salle de conférences, des Ouhh d’étonnement suivis quelques fois de silences ou même d’éclats de rires, voire d’acclamations qui peuvent cacher la tension suscitée dans le pays par l’annonce de la diffusion de ce film documentaire intervenue le mercredi et jeudi 06 et 07 juin à Accra.

C’est le « Number 12 ». Énième fruit des investigations du très influent Anas Anas Aremeyaw Anas avec son agence d’investigation privée « Tiger Eye  Pi» (œil de tigre). Journaliste d’investigation dites-vous ? Au Ghana, Anas est désormais plus qu’un journaliste. « Combattant des crimes des temps moderne », se définit-il lui-même.  Cela fait 19 ans que ce journaliste, qui a dû quitter sa rédaction où il s’ennuyait des tâches routinières de reportage d’actualité, pour se lancer dans l’investigation à caméra cachée. Depuis il parcourt le Ghana, l’Afrique et le monde, à l’assaut des criminels et malfaisants de tout acabit, bâtissant une célébrité qui lui vaut l’admiration des puissants du monde entier, et raflant de nombreux prix internationaux pour sa lutte contre la corruption.

L’enquêteur aux milles visages

En 1999, grâce à Anas, les Ghanéens découvrent, images à l’appui, que des policiers rackettent les commerçants installés illégalement le long d’une principale route de la ville. C’était le coup d’essai qui devint coup de maître.  En 2003, le journaliste s’introduit par immersion dans un navire de pêche où des Ghanéens sont maltraités par leur employeur coréen. La vidéo choque le pays. Tout comme celle qui, deux ans plus tard, révélera comment des « rebelles ivoiriens » envahissent des villages ghanéens frontaliers de la Côte d’Ivoire où ils sèment terreur et kidnappent des chefs locaux.

Depuis, Anas multipliera ses audacieuses investigations, allant jusqu’en Thaïlande, se faisant passer pour un prêtre ghanéen venu prier pour des Ouest-africains (y compris des Ghanéens) condamnés à mort ou soumis à des sévices dans des prisons à Bangkok. Au Nigeria, en partenariat avec la chaîne britannique BBC, Anas révèle en 2015 les dessous d’un réseau de trafic de bébés, en se faisant passer, avec une autre journaliste d’investigation, pour un couple désespéré, incapable de concevoir et à la recherche d’enfants à adopter.

En général, au Ghana, les investigations d’Anas poussent à des actions et entraînent des conséquences pour les personnes mises en cause. C’est le cas d’une vingtaine de juges dont les actes de corruption ont été dévoilés en 2015. Plusieurs ont dû être suspendus de leurs postes.

Informé du contenu « Number12 », le président ghanéen Nana Akufo-Ado, a demandé, avant même sa diffusion au public, l’interpellation du Président de la fédération de football pour l’avoir cité comme destinataire d’une enveloppe de 5 millions de dollars de corruption. À son retour d’un voyage, Kwesi Nyantakyi sera brièvement interpellé à l’aéroport par la police criminelle  avant d’être libéré quelques instants plus tard. Le jeudi 7 juin, le gouvernement annonce la dissolution de la fédération de football. Dans la foulée, pour avoir reçu 600 dollars en amont d’un match, un arbitre kényan a perdu sa sélection pour la Coupe du Monde Russie 2018. Il comptera désormais parmi les « victimes » de « Tiger Eye », ainsi que bien d’autres.

À 48 ans, Anas est l’une des personnalités les plus influentes de son pays, avec comme devise, devenue populaire : « Dénoncer nommément, honnir et envoyer en prison ». Sur son site, le journaliste reprend, non sans fierté, des citations de célébrités comme Barack Obama, Desmond Tutu, Bill Gates et autres le félicitant pour son travail. Un travail, mais surtout une démarche de recours systématique à la caméra cachée, qui interroge de plus en plus la corporation des journalistes au Ghana, en Afrique et dans le monde. Seulement, malgré tout, « il obtient des résultats », salue son confrère et compatriote Emmanuel Dogbévi.

 


A relire : L’impossible mission des journalistes au Burundi

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