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Thérence Nzeyimana, sur le point de devenir médecin… à 49 ans!

C’est un rêve assez anodin pour certains mais il aura fallu près de 30 ans à Thérence avant de le voir s’accomplir. Voici le parcours incroyable d’un homme dont la persévérance force l’admiration.

Lorsqu’il était élève au Petit Séminaire Sainte Famille de Mugera, les prêtres catholiques encourageaient leurs poulains à entrer dans les ordres. Mais le jeune Thérence savait déjà ce qu’il voulait. « Je rêvais de devenir médecin depuis la classe de troisième (du cycle supérieur de l’enseignement secondaire). Chaque fois que j’allais à l’office, je n’avais qu’une prière sur les lèvres : décrocher la faculté de Médecine à la fin de mes études secondaires », confie-t-il. En cette année 1992 où il termine ses études secondaires, sa joie est proportionnelle aux efforts consentis durant l’année scolaire écoulée lorsqu’il découvre sur la liste d’orientation la faculté de Médecine inscrite en face de son nom. Dès ce moment, il n’a qu’une idée en tête. « À l’époque, il suffisait de réussir deux années académiques avec mention distinction pour avoir droit à une bourse de spécialisation à l’étranger ». Hélas, les citoyens lambda ont leurs ambitions que l’Histoire déshonore.

Année académique 1992-1993. Thérence intègre sa première année de Médecine. Le 18 octobre 1993, les résultats de la deuxième session lui donnent le droit de passer en deuxième année. Il retourne vers son Gitega natal avec le sentiment des lendemains prometteurs. Mais voilà, trois jours après, le président Melchior Ndadaye est assassiné. La situation chaotique qui s’ensuit impose un report sine die du début de l’année académique 1993-1994. Il devra traverser cette crise sur sa colline natale. « Je gardais l’oreille toujours scotchée à la radio. Au fond de moi, je me disais que les choses allaient rentrer rapidement dans l’ordre», raconte-t-il. Il faudra attendre février 1994 pour que débute la nouvelle année académique.

La fuite

À son retour, Thérence ne reconnaît plus son campus. Les extrémistes de tous bords ne se gênent plus pour proférer leurs messages de haine. À la cantine, les files sont séparées en fonction de l’appartenance ethnique. La nuit tombée, les étudiants dont les dortoirs sont à proximité des rues du quartier Nyakabiga peuvent être témoins d’un macabre concert. « C’était les cris des gens qu’on égorgeait », raconte le cinquantenaire. Des rumeurs persistantes font également état d’un massacre imminent des étudiants hutus. Désormais, Thérence passe certaines nuits en dehors du campus et ne rentre que quand il estime les tensions retombées. « Et puis un jour je me suis réveillé et tout le campus était désert. Il ne restait plus que la locataire d’une chambre avoisinante qui elle non plus ne comprenait rien à la situation. Nous avons donc décidé de décamper».

Aujourd’hui encore, Thérence ne sait pas ce qui s’est passé en cette journée d’avril 1994. Toujours est-il que lui et son amie passent la semaine suivante sur l’une des collines qui surplombent Bujumbura où une âme charitable accepte de les héberger. Durant cette période, il se dit que le pire peut arriver à tout instant. Quand il revient finalement au campus, c’est pour faire ses valises et quitter l’Université du Burundi. La traversée du désert va durer 12 ans.

Le retour compliqué

Après une courte période passée sous le toit familial, il décroche un poste d’enseignant dans l’une des écoles secondaires de la plaine du Moso en province Ruyigi. Une école dont il deviendra plus tard directeur. Au fil du temps, toutefois, certaines situations ne le laissent pas indifférent. « Mes anciens élèves effectuaient des descentes à leur ancien établissement dans le cadre des associations des étudiants natifs de la localité. Certains d’entre eux me faisaient des remontrances sur la gestion de l’école. Certains de mes collègues également qui intégraient l’enseignement supérieur revenaient avec un grade et un salaire plus élevés. N’ayant pas eu bonne fortune dans mes études universitaires, ces situations me complexaient». Blessé dans son amour-propre, sa passion pour la Médecine toujours intacte, il décide de regagner les auditoires. On est en 2006 et Thérence marche déjà sur ses 37 ans.

Au moment de sa réintégration à l’université, les réactions de ses proches sont mitigées. « Les plus compréhensifs me conseillaient de choisir une autre faculté où le cursus est moins long et moins ardu », se souvient-il. Mais il tient bon. « Quitte à atterrir à la retraite au sortir de l’université », ajoute-t-il. Il intègre donc la deuxième année de la faculté de Médecine. Mais il échoue. Le doute s’installe. Il reprend donc l’année mais là aussi en vain. Et il n’est pas encore au bout de ses peines. Quand il finit par passer en troisième année, il rate ses examens de deuxième session pour cause de maladie grave mais les autorités de la faculté ne sont pas informées. C’était l’erreur à ne pas commettre. À la fin de l’année, la décision du jury tombe. Ce sera deux ans d’exclusion de la faculté de Médecine de Bujumbura. « Pendant un temps j’étais complètement perdu et j’ai cru que ceux qui me décourageaient avaient raison », reconnaît-il aujourd’hui. Ce n’est qu’en 2011 qu’il réintègre les auditoires pour la deuxième fois. Il reprend donc la troisième année mais là encore sans succès. L’année suivante sera finalement la bonne, et depuis plus rien ne l’arrête.

Vingt-quatre ans après ses premiers pas à la faculté de Médecine, Thérence est aujourd’hui en train de rédiger sa thèse de fin d’études médicales. Récemment encore, pendant que nous descendions ensemble les marches qui mènent vers la sortie de la faculté de Médecine au Centre Hospitalo-Universitaire de Kamenge, il lâche, comme s’adressant à lui-même : « Pendant longtemps, j’ai vraiment cru que plus jamais je ne remonterai ces escaliers ».

 


A relire : Exode des médecins burundais : quelles sont les raisons de cette hémorragie ?

 

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Les commentaires récents (10)

  1. Ce monsieur force l’admiration. Merci de nous partager son expérience, qui montre que rien n’est impossible pour autant qu’on ait de la volonté, un reve et…… de l’endurance.

  2. sa persévérance m’a bcp enseigné…ne jamais abandonner ses rêves malgré ttes les difficultés
    « it seems impossible until it is done » ..

      1. Je tiens mordicus à te féliciter pour cette grande marche que tu as pu effectué et qui aujourd’hui porte et portera encore des fruits malgré les jugements de gens sur ton choix et ta personne. T’es vraiment une source de référence comme le sous attend de le dire mon éminent professeur docteur Alexis ndabarushimana que je respecte bien. L’homme qui dans le secteur du développement communautaire fait la fierté du Burundi dans au travers son ouvrage « Histoire d’une paysannerie caféicole meurtrie ». Grand respect à vous mon professeur.

    1. Thérence Nzeyimana est un homme exceptionnel.il a confiance en lui.sa détermination devrait nous servir de modèle.le président Buyoya a dit que rien ne viendra au bout de sa détermination.courage Thérence.tu est un vaillant .on ne peut pas donner son numéro à une personne anonyme

  3. La persévérance finit par payer. Bravo M. Nzeyimana.
    Comme médecin, vous n’êtes pas obligé d’exercer la médecine dans un bureau médical. Il y a d’autres secteurs quasi cliniques qui pourraient vous intéresser.
    Enfin, cela montre à quel point l’issue peut être excellente pour les uns et cruelle pour les autres. Pensez donc à ces jeunes, peu importe l’ethnie, fauchés dans la fleur de l’âge, souvent par leurs enseignants!
    Bonne chance, cher compatriote.

    1. En lisant ce pourcours de Dr. THERENCE j’ai fait mon possible pour retenir mes larmes mais en vain. IL est le symbol du courage, de la tenacite, de la determination, une source d’inspiration pour les generations montantes.
      Je le felicite de tout mon Coeur.