D’intenses moments de méditation, des mots forgés dans la solitude de la nuit, le syndrome de la page blanche, des heures interminables de répétition, les slameurs suent sang et eau pour faire plaisir au public de Gitega. Hélas, très peu de monde vient les soutenir le jour fatidique. Un vrai spleen pour ce faiseur de mots qui nous parle de sa tristesse.
Un matin, je me réveille. Après mon petit-déjeuner, je me sens d’attaque, car cet après-midi c’est un grand jour. J’ai une scène slam donc je me prépare pour servir au public une prestation digne d’un vrai et bon slameur-poète. Après les derniers préparatifs, je chemine vers le lieu de l’événement serein et confiant, convaincu que tout ira bien.
De la première à la cinquième prestation, il n’y a qu’une dizaine de spectateurs dans la salle. Nous qui étions si confiants après une si large campagne de médiatisation du spectacle, on se retrouve avec un aussi faible soutien. Avec un cœur meurtri, je me dirige vers la scène et, en dépit de tout, je déclame mes plus beaux vers pour ce gentil public présent, lui qui a pu braver ce soleil de septembre et cette forte chaleur.
19 h, on remercie le public d’avoir été là, les artistes pour leur travail, et quand les lumières s’éteignent chacun prend son chemin. Direction : le bar pour noyer mon chagrin dans les larmes de Bacchus. Et mes amis qui me demandent comment c’était. Comment me sentir à cet instant ? Je réponds du tic au tac : « Vous, où est-ce que vous étiez ? »
Gitega et son public insaisissable
Gitega est une ville de renommée culturelle. Depuis longtemps, elle a toujours vécu au son du tambour royal, au rythme du reggae et au mouvement du rastafarisme. Voilà qu’un autre art fait son bonhomme de chemin, j’ai nommé le slam-poésie. Pas mal de jeunes sont friands de ce nouvel art oratoire. Malgré l’engouement qu’il suscite, le public n’est pas encore au rendez-vous.
Paradoxalement la demande des textes romantiques ne cesse de monter en flèche. Celui qui veut un poème pour son bien aimé, un poème d’anniversaire, ils nombreux à recourir aux « faiseurs de mots » pour faire plaisir à leurs proches. Sur les réseaux sociaux la présence du public se ressent notamment pour les posts Facebook. En lisant les commentaires, le poète se sent soutenu. Mais au moment de la présentation des spectacles, ce n’est pas la grande affluence.
Le poète et des mots forgés dans la douleur
Braver la phobie de la page blanche, aligner des mots qui sonnent mieux, rythmer les phrases, des vers qui riment, c’est le pain quotidien des poètes. Peindre vos jours ensoleillés, parler des orages de la vie ? Egayer vos journées des douceurs de l’amour ? Conter ardemment vos convoitises ? Les slameurs le font volontiers quitte à vivre dans le chagrin, celui de ne pas sentir la reconnaissance de leurs semblables. Ce plaisir qu’ils procurent, ils ont besoin d’un retour sur investissement. Ils ne demandent que votre présence. Cela fera d’eux des poètes heureux. Un poète sans public est un art triste.
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