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Les silos de Gitega à l’abandon : l’autre éléphant blanc ?

Erigés majestueusement sur la colline Rukoba, ces monstres d’acier rouillés semblent veiller infatigablement sur la capitale politique. Plus de 30 ans après leur construction, revenons sur l’histoire de ces vestiges d’un passé ambitieux.

Conçus pour assurer la sécurité alimentaire du pays, les silos de Gitega sont tombés en ruine alors qu’ils ont nécessité un investissement de plus de 400 millions de BIF de l’époque (à peu près 9 milliards à la valeur actuelle du franc burundais).

Construits par la Société burundaise d’entreposage et de commercialisation des produits vivriers (SOBECOV), ces silos modernes, autrefois symboles d’une politique agricole ambitieuse, ne sont plus aujourd’hui que des épaves à l’abandon. Avec une capacité de stockage de 25 000 tonnes de céréales, dont 12 000 tonnes de stock rotatif et 13 000 tonnes de stock permanent, ces infrastructures étaient censées nourrir 600 000 personnes pendant deux mois en cas de disette.

Un peu d’histoire

Aujourd’hui, ces colosses d’acier se dressent comme des fantômes perdus. L’espace abandonné est envahi par les eaux stagnantes et la végétation. Agé de 75 ans, Emmanuel Kiboyogo a participé à la construction de cette infrastructure. Il nous a affirmé qu’elle a été faite entre 1984-1985, c’est-à-dire bien avant la construction des entrepôts pétroliers de Songa.

Le rapport de la BAD indique que le coût total du projet, estimé à 4,11 millions d’unités de compte (UC), s’est finalement élevé à 3,25 millions d’UC (soit environ 400 millions de Fbu de 1992). Malgré cet investissement massif, les silos n’ont jamais rempli leur fonction. Actuellement, ces équipements sont hors d’usage, les bâtiments se dégradent lentement mais sûrement. Actuellement, seuls les agents de sécurité de la société Itracom assurent la surveillance des lieux. Selon certaines informations recueillies sur place, Itracom prévoit d’exploiter ces hangars pour une durée de 50 ans.

Le site, jadis animé par le ballet incessant des camions, est aujourd’hui silencieux. La bascule, pièce maîtresse de ce carrefour économique, est tombée en ruine, tout comme la cellule de pesage où s’activait autrefois l’agent chargé de contrôler le tonnage.

Et pourtant, l’absence de structures de stockage adéquates a un impact certain sur les fluctuations saisonnières des prix déstabilisent les revenus des producteurs et exacerbent les pénuries alimentaires. La mise en place de l’Anagessa est venue pour combler cette lacune. Les silos de Gitega auraient pu contribuer à la réussite de cette politique.

Les causes de l’échec

Plusieurs facteurs expliquent cet échec du projet qui date de l’époque de Bagaza. D’abord, la gestion défaillante des structures chargées du projet. La SOBECOV, dissoute en 1986, a été remplacée par la SOGESA, elle-même dissoute en 1987. Cette instabilité institutionnelle a empêché la mise en place d’une stratégie de gestion à long terme. Ensuite, l’absence de maintenance et de suivi a conduit à la dégradation rapide des infrastructures.

Le rapport d’évaluation de la performance du projet (REPP) souligne également des problèmes logistiques majeurs, notamment l’incapacité à constituer un stock important de produits vivriers. Les circuits de distribution internes, mal organisés, et le mauvais état des communications ont limité l’efficacité du projet. Enfin, l’absence de volonté politique à soutenir les initiatives agricoles à long terme a condamné les silos à l’abandon.

Gitega pourrait en tirer profit

Il est urgent de repenser l’utilisation des silos de Gitega et de l’ancrer dans les projets agricoles en cours. Plutôt que de laisser ces infrastructures à l’abandon, il serait intéressant de les réhabiliter et de les intégrer dans une stratégie nationale de gestion des récoltes. Un tel projet pourrait non seulement réduire les pertes post-récolte, mais aussi offrir une réponse pérenne à l’insécurité alimentaire.

Les décideurs doivent tirer des leçons de cet échec pour améliorer la gestion des projets d’infrastructure. La construction seule ne suffit pas, un suivi constant, une maintenance régulière et une gestion efficace sont essentiels pour garantir la pérennité des infrastructures.

Les silos de Gitega sont le symbole d’un échec criant de la gestion publique et d’un gaspillage colossal de ressources. Ces infrastructures, conçues pour améliorer la sécurité alimentaire du Burundi, sont aujourd’hui des monuments à l’oubli et à l’inefficacité. L’État burundais doit prendre conscience de l’importance de la gestion à long terme de ses projets d’infrastructures agricoles et réorienter les efforts vers des solutions durables pour soutenir l’agriculture et assurer la sécurité alimentaire. Sans une réforme profonde de la gestion publique, les silos de Gitega resteront un rappel douloureux des opportunités perdues et des rêves brisés.

 

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